Il émet alors une hypothèse très intéressante : on peut changer de point de vue sur un sujet exactement comme l’on peut changer de point de vue dans l’espace. Ainsi, quand on découvre un nouvel objet, on a le réflexe de le prendre en main et de le tourner dans tous les sens pour voir tous ses aspects, opération qui nous permet de nous faire une première idée de cet objet. Et on devrait agir de la même façon avec une idée, en la scrutant sous tous les angles imaginables pour en décortiquer le plus d’informations possible. «La manipulation des points de vue sociaux se manifesterait donc en même temps que la capacité à manipuler le point de vue spatial et partagerait des mécanismes, en partie, communs : il s’agit de la théorie spatiale de l’empathie», avance-t-il.
Un moyen pratique de mener à bien cette opération est de «sortir du chemin mental tracé par le conditionnement». Et ce, exactement comme l’on change de trajet pour se rendre à un même endroit. Le professeur rappelle qu’il y a deux moyens pour visualiser un chemin à prendre. Le premier revient à imaginer le mouvement à faire (traverser à tel endroit, prendre à droite ou à gauche, rencontrer quelqu’un,...) ; il s’agit d’une mémoire séquentielle des actions. Le second vise à se décentrer, en retraçant le chemin parcouru grâce à une carte, par un survol mental indépendant de nos perceptions.
«Pour être capable de changer de point de vue – de trouver un chemin différent, de changer de perspective – il faut donc pouvoir changer de méthode de visualisation», explique M. Berthoz. Si, par exemple, vous avez l’habitude de vous souvenir d’un trajet par les mouvements nécessaires pour l’accomplir, faîtes donc l’exercice de prendre une carte et de visualiser un nouveau chemin à partir de celle-ci. Vous aurez alors réussi à changer de point de vue.
En fait, vous aurez alors fait fonctionner des parties de votre cerveau que vous utilisez moins habituellement. Vous aurez davantage utilisé les réseaux qui vont du cortex pariétal (grosso modo, le siège du traitement de l’information venant de nos sens) vers des aires frontales (responsables de notre perception de l’espace). Vous aurez, oui, déclenché un nouveau mécanisme cérébral, susceptible de vous faire voir les choses sous un autre jour.
À noter que les hommes et les femmes ne fonctionnent pas de la même façon dans ce processus mental. Chez les femmes, il y a une plus grande utilisation «des circuits pariétaux frontaux égocentrés», tandis qu’on note chez les hommes «une préférence pour la stratégie allocentrée», selon le professeur du Collège de France. En clair, ça signifie que les femmes sont généralement plus à l’aise avec la visualisation mentale des mouvements à faire pour accomplir un trajet, et les hommes, avec une carte.
D’où la théorie spatiale de l’empathie d’Alain Berthoz : «L’empathie consiste à éprouver l’émotion d’autrui en se mettant à sa place, c’est-à-dire en changeant de point de vue, tout en restant soi-même. L’empathie est donc bien plus complexe que la sympathie. L’empathie, c’est :