Comment Trump alimente les tensions dans le golfe Persique

Publié le 20/09/2019 à 19:49

Comment Trump alimente les tensions dans le golfe Persique

Publié le 20/09/2019 à 19:49

Le président américain Donald Trump (source: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Le golfe Persique entre dans une nouvelle zone de turbulence à la suite de l’attaque de sites pétroliers en Arabie saoudite. Les Américains accusent l’Iran d’être derrière cette attaque. Or, ils sont en grande partie responsables de la détérioration du climat politique dans la région.

Le 14 septembre, des missiles et des drones ont frappés les installations du géant pétrolier saoudien Aramco, qui représentent 50% de la production pétrolière de l’Arabie saoudite et 5% de la production mondiale.

Des groupes yéménites (originaires du Yémen, un État situé au sud de l’Arabie saoudite) ont revendiqués l’attaque. Ils sont en guerre contre l’Arabie saoudite depuis 2015, et ils sont soutenus par l’Iran.

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Sceptiques, Washington et Riyad accusent les Iraniens d’être d’une manière ou d’une autre derrière cette attaque. Leur argument : la portée limitée des missiles de croisière qui ont frappés les installations d’Aramco, et qui exclut de facto le territoire yéménite.

Cette attaque survient alors que les tensions sont vives au Moyen-Orient entre l’Arabie saoudite sunnite (et ses alliés sunnites) et l’Iran chiite (et ses alliés chiites), deux puissances rivales depuis des siècles.

Le Monde diplomatique parle même d'une «guerre froide régionale» entre les deux pays.

Cela dit, peu importe qui est responsable de cette attaque, la question qu’il faut se poser, c’est comment nous en sommes arrivés là.

Les principales puissances avaient pourtant réussi à réintégrer l’Iran dans la communauté internationale avec l’accord sur le nucléaire iranien en 2015, et ce, pour empêcher le pays de se doter de la bombe atomique.

Pourquoi l’Iran voudrait-elle alors attaquer aujourd’hui l’Arabie saoudite pour faire bondir les prix du pétrole et, du coup, nuire à l’économie mondiale? Essentiellement pour forcer les Américains à réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien de 2015.

En 2018, Washington s’est retiré de l’entente conclue entre l’Iran et une coalition formée des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la Russie et la Chine.

Ce retrait a mené à l’imposition de nouvelles sanctions économiques américaines contre l’Iran, dont l’économie commençait à peine à reprendre du poil de la bête depuis 2015 après des décennies de misère.

L'accord sur le nucléaire était efficace

Pourtant, l’accord sur le nucléaire iranien donnait des résultats. Pourquoi Washington s’en est-il donc retiré ?

Pour deux raisons, disent les spécialistes.

Premièrement, l’accord a une durée de vie limitée de 10 ans. Par conséquent, le président Trump affirme que cela permet à l’Iran de relancer son programme nucléaire à des fins militaires après 2025.

Deuxièmement, Washington soutient que l’accord laisse toute la latitude aux Iraniens de développer leur programme balistique, ce qui lui permet donc de fabriquer des missiles capables de transporter un jour d’éventuelles ogives nucléaires.

L’accord sur le nucléaire iranien repose sur trois piliers, qui sont le résultat de 12 ans de négociations intenses.

 

  • Une limitation du programme nucléaire iranien pendant au moins une décennie.
  • Une levée des sanctions internationales contre l’Iran.
  • Un renforcement des contrôles.

 

À l’époque, les Iraniens étaient de toute manière en voie de se doter de la bombe atomique. Dans ce contexte, les grandes puissances ont convenu qu’il était plus sage de désamorcer le conflit qui s’envenimait depuis une dizaine d’années.

Comme tout accord, celui sur le nucléaire iranien n’est pas parfait. Par contre, jusqu’en 2018 (année du retrait des États-Unis), il livrait la marchandise, selon Le Monde.

Bref, l’Iran respectait les termes de l’accord, selon tous les rapports de vérification.

Les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique pouvaient inspecter les installations iraniennes.

Ils pouvaient aussi surveiller pendant 20 ans les centrifuges utilisées pour enrichir l’uranium, sans parler de garder un oeil pendant 25 ans sur la production de concentrés d’uranium.

La programme balistique iranien n’était pas non plus dans un angle mort de l’accord de 2015. En fait, rien n’empêchait les grandes puissances d’adopter des sanctions additionnelles en marge de l’entente.

Paris, Londres et Berlin ont bien tenté de faire valoir cet argument à la Maison-Blanche, mais sans succès.

Même de nombreux experts de la Défense aux États-Unis et en Israël ont affirmé qu’il fallait maintenir l’accord sur le nucléaire iranien, selon le média en ligne The Intercept.

L'Iran a toujours été une puissance au Moyen-Orient

Enfin, pour justifier leur décision, les Américains ont aussi reproché à Téhéran de tenter d’accroître son influence au Moyen-Orient, grâce aux nouveaux revenus pétroliers générés par la levée des sanctions internationales après 2015.

Or, comme on oublie souvent que la Chine a déjà été une grande puissance en Asie, on oublie aussi que l’Iran (qu’on a longtemps appelé la Perse) a toujours été une puissance influente au Moyen-Orient depuis des millénaires.

Aussi, c’est pourquoi la volonté de Téhéran de vouloir étendre son influence est une situation normale, selon le magazine américain Foreign Affairs, dans une longue analyse (Iran Among the Ruins : Tehran’s Advantage in a Turbulent Middle East).

Dans le même temps, il est normal qu’Israël et l’Arabie saoudite se sentent menacés par les visées géopolitiques des Iraniens au Liban, en Syrie, en Iraq et au Yémen. L’Iran d’ailleurs dans le passé menacé l’existence même de l’État hébreux.

En revanche, en se retirant de l’accord sur le nucléaire iranien, les États-Unis n’ont fait qu’envenimer les choses au Moyen-Orient, affirment la plupart des analystes.

Bref, la décision de l’administration Trump n’a pas contribué à pacifier et à stabiliser le Moyen-Orient.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand