Analysons le 20e siècle pour comprendre notre monde

Publié le 04/08/2023 à 12:02

Analysons le 20e siècle pour comprendre notre monde

Publié le 04/08/2023 à 12:02

Le premier ministre britannique Winston Churchill, le président américain Franklin Delano Roosevelt et le leader de l'Union soviétique Joseph Staline, lors de la conférence de Yalta, en février 1945, durant laquelle ils ont discuté de la réorganisation de l'Allemagne et de l'Europe de l'après-guerre. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. «Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter», a écrit le philosophe hispano-américain George Santayana. Cette maxime est simple, mais ô combien juste pour ceux et celles qui essaient de comprendre notre monde.

Aussi, comme ce blogue fait relâche pour un mois, je vous propose une réflexion sur le 20e siècle, et ce, afin de se rappeler de l’une des périodes les plus agitées de l’Histoire. Un siècle qui a été le théâtre de deux guerres mondiales, de la chute d’empires puis de l’avènement du communisme, du fascisme et du nazisme.

Si ce siècle terrible est derrière nous, ses matrices continuent toutefois de structurer en grande partie la vie politique et nos schèmes de pensée. C’est sans parler de la création de l’ordre international de l’après-guerre créé par les États-Unis, et que la Chine et la Russie contestent aujourd’hui.

Je ne suis pas vraiment de l’école des lectures estivales légères.

Bien au contraire, je pense que les vacances sont justement l’occasion rêvée pour des lectures sollicitant davantage nos méninges, parce que nous avons le temps et l’énergie pour le faire.

C’est pourquoi j’aimerais vous proposer cinq lectures, disons, costaudes. Cinq essais qui aident à mieux comprendre le passé, à saisir plus intelligemment notre époque et à éviter, souhaitons-le, de refaire les mêmes erreurs collectives.

 

1. Cas Mudde, The far right today 

Ce livre est essentiel pour comprendre les notions d’extrême droite et de droite radicale, dont nous entendons souvent parler. L’auteur est une sommité mondiale de l’histoire de ces deux mouvances, qu’on regroupe sous le vocable far right, en anglais.

Alors que l’on confond souvent extrême droite et droite radicale sur la place publique, Cas Mudde explique bien leur différence fondamentale, même si ces deux mouvances sont xénophobes et racistes.

L’extrême droite «rejette l’essence de la démocratie» que sont la souveraineté populaire et la règle de la majorité. Historiquement, l’extrême droite s’est surtout incarnée dans le nazisme de l’Allemagne hitlérienne et le fascisme italien de Benito Mussolini, souligne l’auteur.

Aujourd’hui, les partisans de l’extrême droite sont les néonazis et les néofascistes, ou les dirigeants de dictatures de droite dans certains pays.

Pour sa part, la droite radicale «accepte l’essence de la démocratie», mais elle s’oppose aux éléments fondamentaux de la démocratie libérale comme les droits des minorités, la règle de droit et la séparation du pouvoir.

Selon Cas Mudde, cette droite radicale est au pouvoir actuellement en Hongrie et en Pologne, et elle a été aux commandes à la Maison-Blanche durant l’administration républicaine de Donald Trump.

(Polity, 2019, uniquement en anglais)

 

2. Philippe Raynaud, L’extrême gauche plurielle 

Tout comme Cas Mudde, Philippe Raynaud, un politologue français, fait aussi dans son essai la différence fondamentale entre l’extrême gauche et la gauche radicale, deux expressions qu’on entend aussi régulièrement sur la place publique.

Grosso modo, la première rejette la démocratie, tandis que la seconde l’accepte tout en étant antilibérale, à mi-chemin entre la gauche sociale-démocrate et la gauche autoritaire, inspirée de la révolution russe de 1917.

Aujourd’hui encore, des régimes d’extrême gauche communistes sont par exemple au pouvoir en Chine, en Corée du Nord ou à Cuba. Quant à la gauche radicale, elle a été par exemple au pouvoir en Grèce de 2015 à 2019.

L’essai de Philippe Raynaud, qui s’intéresse avant tout à l’extrême gauche, explique comment cette mouvance — sous l’influence de Moscou durant la guerre froide — a renouvelé son discours depuis la fin de l’Union soviétique, en 1991.

Parmi les partisans de cette gauche aujourd’hui, on retrouve notamment les néo-trotskistes, un courant politique du communisme, du nom du révolutionnaire russe Léon Trotski.

L’auteur souligne que «le trotskisme s’est toujours présenté comme l’héritier légitime d’une révolution bolchévique fondamentalement saine, qui aurait été trahie par Staline et ses alliés».

(Perrin, 2010)

 

3. Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme? 

Le fascisme est responsable du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale et de l’extermination de 6 millions de Juifs par les nazis.

Dans son essai, Emilio Gentile, spécialiste mondialement reconnu du fascisme, décrit bien ce qu’est cette idéologie.

Selon lui, le fascisme est «un phénomène politique moderne, nationaliste, antilibéral et anti-marxiste, organisé en parti-milice [partito milizia], avec une conception totalitaire de l’État […], avec une vocation belliqueuse à la politique de grandeur, de puissance et de conquête, visant à la création d’un ordre nouveau et d’une nouvelle civilisation».

Certes, il y a encore aujourd’hui des nostalgiques du fascisme ou du nazisme.

En revanche, les régimes portant ces idéologies ont été vaincus durant la Deuxième Guerre mondiale, et aucun pays n’est dirigé aujourd’hui par des fascistes ou des nazis, soulignent des spécialistes comme Jean-Yves Camus, co-auteur de Les droites extrêmes en Europe (Seuil, 2015), et Marie-Anne Matard-Bonucci, autrice de Totalitarisme fasciste (CNRS, 2018).

(Gallimard, 2004, pour la traduction française de l’italien)

 

4. François Furet, Le passé d’une illusion: essai sur l’idée communiste au XXe siècle 

Cet essai de l’historien François Furet, grand spécialiste de la Révolution française, est sans doute l’un des meilleurs livres pour comprendre l’histoire troublée du 20e siècle, et ses impacts qui se font encore sentir aujourd’hui.

À travers son histoire de l’idée communiste, l’auteur retrace les moments charnières du 20e siècle: la Première Guerre mondiale, la révolution russe de 1917, la grande dépression des années 1930, la montée du fascisme et du nazisme, la Deuxième Guerre mondiale, la Guerre froide puis la dissolution de l’empire soviétique.

François Furet tente aussi de comprendre comment l’idée communiste a pu avoir une emprise si forte sur tant d’esprits en Occident, malgré les expériences tragiques (camps de travail, déportations, assassinats) des régimes communistes en Union soviétique et ailleurs dans le monde, comme en Chine.

Dans la dernière page de son essai publié en 1995, l’historien a d’ailleurs une intuition qui explique sans doute pourquoi l’idée communiste est toujours vivante de nos jours, notamment auprès de la gauche radicale, démocratique, mais antilibérale.

«La fin du monde soviétique ne change rien à la demande démocratique d’une autre société, et pour cette raison même il y a fort à parier que cette vaste faillite continuera de jouir dans l’opinion du monde de circonstances atténuantes, et connaîtra peut-être un renouveau d’admiration.»

(Robert Laffont, 1995)

 

5. Hannah Arendt, Le système totalitaire 

Le grand mérite de cet essai publié juste après la Deuxième Guerre mondiale (il s’agit en fait de la troisième partie de Les origines du totalitarisme) est d’avoir identifié et décrit un nouveau système politique mis en place dans l’Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne: le système totalitaire.

Un système violent et meurtrier qui allait bien au-delà d’une simple radicalisation des méthodes de dictatures au fil de l’histoire.

Hannah Arendt, une philosophie politique allemande d’origine juive qui a immigré aux États-Unis en 1941, explique que ce système tend à la destruction complète de la société et de l’individu, en favorisant la transformation des classes sociales en masses de personnes sans lien social.

C’est l’instauration de la «désolation organisée» et d’un principe «qui détruit toute communauté humaine», écrit-elle dans le chapitre Idéologie et terreur: une nouvelle forme de gouvernement.

Plus de 70 ans après sa publication, ce grand classique d’Hannah Arendt est encore lu et analysé aux quatre coins de la planète, malgré la dureté de son contenu.

Pourquoi? Peut-être parce qu’il montre comment des idéologies poussées à l’extrême, de gauche ou de droite, peuvent broyer des vies humaines sans retenue, et qu’aucune société n’est vraiment à l’abri de la résurgence d’un tel déferlement de violence.

(Seuil, 1972, pour la traduction française de l’anglais)

 

Bonne lecture!

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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