Montréal au coeur du boom de l'intelligence artificielle


Édition du 08 Octobre 2016

Montréal au coeur du boom de l'intelligence artificielle


Édition du 08 Octobre 2016

Par Alain McKenna

[Photo : 123RF/faithie]

Montréal possède le plus important centre de recherche sur l'intelligence artificielle du monde, l'Institut de valorisation des données (IVADO). Les subventions pleuvent. Mais le défi demeure : pourra-t-on transformer les découvertes scientifiques de l'Institut en entreprises durables ?

L'objectif est ambitieux : faire de Montréal le berceau mondial de l'intelligence artificielle. La «Silicon Valley de l'apprentissage profond», comme le dit couramment Yoshua Bengio, directeur de la Chaire de recherche du Canada en algorithmes d'apprentissage statistique. Et pour y arriver, le chemin semble tout indiqué : «La solution est d'attirer les meilleurs chercheurs de la planète et les aider à transformer leurs recherches en applications socialement positives», dit-il.

On doit la naissance du deep learning, en 2006, au passage de ce Français d'origine et de ses collègues, son compatriote Yann LeCun et le Britannique Geoffrey Hinton, à l'Institut canadien de recherches avancées de Toronto. C'était le premier pas crucial vers ce qu'on appelle aujourd'hui, plus généralement, l'intelligence artificielle (IA).

Le deep learning, ou apprentissage profond, recourt à des algorithmes décomposant une information, par exemple le contenu d'une photo, en plusieurs couches de données séparées à être traitées simultanément. C'est ce qui permet à des ordinateurs de reconnaître les objets (par exemple, un chien, une porte) sur une photo, puis, à un niveau d'abstraction supérieur, de savoir ce que font ces objets (par exemple, le chien se déplace vers la porte).

Le phénomène est plus vaste que la reconnaissance d'images : si Uber et Volvo parviennent à faire circuler des voitures autonomes à Pittsburgh, si l'ordinateur AlphaGo de Google peut remporter un tournoi au jeu de Go et si les émetteurs de cartes de crédit peuvent plus aisément repérer des cas de fraude bancaire, c'est essentiellement grâce à cette technologie.

L'apogée de 50 ans d'investissement technologique

Yoshua Bengio a depuis migré à Montréal, où il enseigne au Département d'informatique et de recherche opérationnelle de l'Université de Montréal. Yann LeCun dirige quant à lui le FAIR, le centre de recherche en intelligence artificielle de Facebook, et Geoffrey Hinton est à la tête de la recherche en apprentissage machine chez Google. Tout ça n'est pas un hasard : vu le potentiel commercial de l'IA, les sociétés technos se disputent la domination dans ce créneau.

M. Bengio le constate chaque jour : «Mes élèves quittent l'université pour des emplois à l'étranger mieux payés que le mien. Des chercheurs sont régulièrement recrutés par le privé. Il y a en ce moment une course effrénée pour embaucher les cerveaux derrière l'IA», dit-il. Ça dépasse évidemment les frontières du Québec : au cours des deux dernières années seulement, le secteur des technologies a investi 29,1 milliards de dollars américains dans la R-D, selon Gartner. C'est près du double des sommes investies par le deuxième secteur le plus entiché d'IA, celui de la santé (18,2 G$ US).

Amazon, Apple, IBM, Microsoft, Samsung... toutes les grandes sociétés technologiques misent gros sur l'IA. Des start-up émergent aussi dans tous les secteurs. À Montréal, on en compte déjà quelques-unes : LANDR applique l'IA à la production musicale. Maluuba veut apprendre la lecture aux ordinateurs via l'apprentissage profond. Imagia mise sur la reconnaissance d'images et le traitement de données massives pour soigner plus efficacement certains types de cancers.

Les fonds d'amorçage portent eux aussi beaucoup d'intérêt à l'IA. «C'est une technologie qui capitalise sur l'investissement fait dans l'ensemble des TI ces 50 dernières années : logiciel libre, infonuagique, mobilité, données massives, jeu vidéo, médias sociaux», constate Jean-Sébastien Cournoyer, associé au fonds montréalais Real Ventures.

C'est donc très prometteur. Son émergence encore toute récente et son niveau de complexité très élevé en limitent la croissance, avertit M. Cournoyer. «L'expertise, celle capable de connecter la recherche de pointe aux entreprises qui créeront des applications concrètes, est encore très limitée en dehors des laboratoires de Facebook et de Google.»

C'est, conclut-il, ce qui fait de Montréal, et de ses universités, un endroit attrayant où développer des applications, puisque l'expertise en IA y est plus accessible.

Yoshua Bengio, directeur de la Chaire de recherche du Canada en algorithmes d’apprentissage statistique, à l’Université de Montréal. [Photo : Martin Flamand]

Objectif : pousser l'IA en entreprise

Créé au printemps 2015 par l'Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique, l'IVADO est le plus important regroupement de chercheurs spécialisés en intelligence artificielle du monde. Cet été, il a été doté d'une enveloppe de 234,1 millions de dollars afin d'exploiter les technologies émergentes de l'IA et des données massives (big data). De ce montant, 110 M$ proviennent de 70 partenaires commerciaux, des entreprises comme CAE, Hydro-Québec, Pratt & Whitney et la Banque Nationale.

Le travail des quelque 900 chercheurs affiliés à l'IVADO pourra ainsi être appliqué rapidement à quatre secteurs : la santé, le transport, la finance et l'énergie. On cherche des bénéfices commerciaux rapides, mais on pense aussi à long terme : «Avec la présence de nos chercheurs dans leurs bureaux, nos partenaires vont en bénéficier directement. Mais on a aussi l'intention de créer de nouvelles entreprises et de stimuler l'entrepreneuriat par ce projet», dit Michel Patry, directeur de HEC Montréal, manifestement emballé par le potentiel des algorithmes dans «son» secteur, celui du commerce et de la finance. «Ça va de la prévention des fraudes bancaires à la gestion d'horaires de travail dans l'aviation, et ça ira de plus en plus loin.»

L'effet transformateur pourrait être profond. En finance seulement, l'émergence des technologies financières, les fintechs, des données massives et de l'IA est perçue par plusieurs comme une révolution inédite qui rendra les transactions plus sécuritaires. Cette révolution éliminera les cas d'abus et de fraude à tous les échelons - du vol d'identité aux courtiers peu scrupuleux - et décentralisera la finance internationale, du marché des changes aux places boursières.

En médecine, les soins sur mesure traiteront plus efficacement le cancer, le diabète, l'épilepsie et d'autres maladies graves. En ville, les systèmes d'éclairage et de signalisation s'adapteront à l'achalandage, optimiseront leur consommation d'énergie et assureront une plus grande sécurité autour des places publiques.

Du jamais vu au Québec

Au Québec, le maillage entre la recherche universitaire et le secteur commercial a toujours été problématique. Avec l'IVADO, la concertation entre les universités, les grandes entreprises et le secteur technologique prend des airs de jamais vu.

Interrogé sur l'impact de cette nouvelle sur son entreprise, Marc St-Hilaire, vice-président, innovation et technologie pour CAE, un des partenaires fondateurs de l'IVADO, va beaucoup plus loin : «C'est un moment unique dans l'histoire du Québec. On a intérêt à en profiter !»

Tout ça pourrait se produire plus tôt que prévu, avertit Yoshua Bengio... «On pensait que l'intelligence artificielle prendrait des dizaines d'années avant de voir le jour, et voilà qu'on observe déjà les premières applications. Et ce n'est pas fini : même si on arrêtait la recherche aujourd'hui, on en aurait pour quatre ou cinq ans encore à trouver les applications concrètes de ce qui a été découvert jusqu'ici. En matière de recherche, on a atteint une masse critique. Il faut maintenant transférer tout ça aux entreprises.»

Intelligence artificielle, croissance bien réelle

Les revenus générés par les technologies issues de l'intelligence artificielle iront en grandissant au cours des prochaines années partout dans le monde.

→ 2015 : 553 M$ US

→ 2020 : 6,65 G$ US

Source : Research and Markets, 2016 AI Market, avril 2016

La santé domine

Les trois secteurs qui affichent les plus importantes dépenses en R-D liées à l'IA dans le monde :

→ Santé : 18,2 G$ US 

→ Informatique et électronique : 12,8 G$ US

→ Logiciel et Internet : 10,1 G$ US 

Source : Gartner

MONTRÉAL, PÔLE MONDIAL DE L'IA

À l'ombre du Mont-Royal, toute une industrie commence à prendre forme

→ 900 chercheurs

→ 3 campus

→ 234 M$ en recherche

→ 70 entreprises privées

Onze partenaires fondateurs : CAE, Cogeco, Thales, Hydro-Québec, Ville de Montréal, Gaz Métro, Aimia, Pratt & Whitney, La Great-West, Banque Nationale, Intact Assurance.

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