COVID-19: attention, trop de PME anticipent une reprise normale

Publié le 03/04/2020 à 20:58

COVID-19: attention, trop de PME anticipent une reprise normale

Publié le 03/04/2020 à 20:58

(Photo: Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE (mise à jour le 5 avril) - Même si le Québec est au cœur de la tempête de la COVID-19, les entrepreneurs doivent dès maintenant commencer à se préparer à l’éventuelle réouverture de leur entreprise ainsi qu’à la reprise économique. Par contre, ils doivent se préparer à une reprise très inhabituelle et à déployer des mesures sanitaires temporaires dans le temps en attendant un vrai retour à la normale.

Car cette reprise sera très différente de celles qui ont suivi des récessions classiques comme la crise économique de 2008-2009, du début des années 1990 ou du début des années 1980. Il ne suffira pas de reprendre confiance dans les perspectives de croissance économique pour repartir la machine.

Il faudra avant tout restaurer la confiance sanitaire des Québécois.

Rétablir la confiance qu’ils ne risquent pas de tomber malades lorsqu'on commencera à rouvrir graduellement les entreprises et les lieux publics ou que la majorité des employés actuellement en télétravail recommenceront à mettre les pieds au bureau.

L’enjeu est de taille, mais il est peu débattu actuellement dans l’espace public.

Faisons preuve de lucidité, sans excès de pessimisme ou d’optimisme, alors que Québec a annoncé, ce dimanche 5 avril, que la pause décrétée d'abord jusqu'au 13 avril est maintenant prolongée au moins jusqu'au 4 mai.

 

  • À moins d’une surprise de taille, la production à grande échelle d’un éventuel vaccin prendra probablement des mois, voire plus d'un an, estiment certains spécialistes. À court terme, des traitements pourraient par contre soulager les personnes hospitalisées et sauver encore plus de vies.
  • La probabilité est faible que le coronavirus disparaisse du jour au lendemain comme le virus de la grippe saisonnière. Cela dit, à terme, l’immunité collective aura sans doute raison de la COVID-19, mais cela prendra du temps. La pandémie de la grippe espagnole de 1918-1919 s’est éteinte par elle-même après quelques vagues.
  • Si les mesures sanitaires strictes imposées par Québec (confinement, distanciation sociale, fermetures d’entreprises non essentielles, etc.) permettent d’aplanir la courbe du nombre de personnes infectées et de sauver des vies, elles pourraient étirer en contrepartie dans le temps la période durant laquelle la COVID-19 infectera la population, du moins en l’absence d’un vaccin, de traitements ou d’une immunité collective.

 

Que faut-il faire dans ce contexte?

Les entrepreneurs doivent se préparer à toutes les éventualités, et ce, en attendant que les choses reviennent complètement à la normale -ce qui arrivera un jour.

À bien des égards, les épiciers représentent des modèles de résilience insirants.

Certes, les livraisons de nourriture à domicile ont explosé. Pourtant, les consommateurs continuent à se déplacer pour faire leurs courses malgré tout. Pourquoi? Parce qu’ils ont confiance dans les mesures sanitaires mises en place par les épiciers, même si nous ne sommes pas totalement à l’aise de faire notre épicerie ces temps-ci, avouons-le.

Prenez mon épicerie locale préférée.

Elle a installé des lavabos mobiles à l’entrée pour se laver les mains. Des employés désinfectent systématiquement tous les paniers d'épicerie. Les gens doivent garder une distance d’au moins deux mètres quand ils font la queue avant de passer à la caisse.

Un «répartiteur» nous dirige vers les caisses libres, dont les tapis roulants (où l’on dépose nos achats) sont désinfectés après le passage de chaque client, tout comme les terminaux de paiement électronique. Et on doit remplir nous-mêmes nos sacs.

Dans certaines épiceries, on a même créé des sens uniques dans les allées afin d'éviter que les clients se croisent, ce qui permet d'accroître ainsi davantage la distanciation sociale.

Bien entendu, les épiceries sont un service essentiel. Elles n’avaient donc pas le choix de s’adapter à la nouvelle donne.

Pour autant, chaque entreprise du Québec doit réfléchir à la manière dont elle fonctionnera temporairement quand le gouvernement du Québec commencera graduellement à relâcher du lest sur les mesures sanitaires afin que la vie socio-économique redémarre.

Vous me voyez venir?

Développez l'état d'esprit d'un service essentiel

Et si chaque entreprise du Québec, de Gaspé à Val-d'Or, tentait plus ou moins de fonctionner comme les épiceries quand le jour J arrivera, et ce, peu importe son secteur d’activité?

Dans le secteur manufacturier, on peut imaginer des mesures -toujours temporaires- pour s’assurer que les travailleurs soient et demeurent en santé, et ce, de la prise de température à l’entrée de l'usine à l’installation de lavabos portatifs ou de stations de lotion désinfectante, sans parler d’une distanciation sociale de deux mètres dans l’entreprise.

Savaria, une PME de Laval spécialisée dans la fabrication de produits de mobilité qui a une usine en Chine, suggère mais n’impose pas le port du masque dans ses usines canadiennes.

Des ouvriers dans l'usine de Savaria à Huizhou, en Chine. (Photo: Savaria)

Toutefois, à son usine chinoise de Huizhou (qui été fermée du 22 janvier au 19 février), le port du masque est obligatoire.

L’idée, c’est de rassurer vos employés, vos fournisseurs et vos clients (B2B ou B2C) avec qui vous avez tout intérêt du reste à partager vos bonnes pratiques et vice-versa.

Dans le secteur des ressources naturelles, des minières qui sont toujours en partie en activité se sont déjà ajustées à la nouvelle donne.

Par exemple, le producteur de fer Champion, qui exploite une mine de fer à Fermont, vérifie systématiquement l'état de santé de ses travailleurs permanents non-résidents (PNR) qui prennent l’avion dans le sud du Québec à destination de Fermont.

La minière a aussi augmenté le nombre de vols d’avion pour transporter ses employés dans le nord afin d'assurer une distanciation sociale dans les appareils, sans parler d’un confinement strict dans le complexe où logent les travailleurs à Fermont (sans contact avec la population locale).

Dans le commerce de détail, on peut facilement mettre en place des mesures similaires à celles des épiceries tout en respectant une distanciation sociale.

Des quincailleries, des pharmacies et des animaleries le font déjà, et rien n’empêcherait d’autres entreprises de le faire comme les librairies (à la condition bien entendu de ne pas toucher les livres que l'on n'achète pas avant que la pandémie ne soit terminée).

Le défi est plus grand pour les restaurants ou les cafés, car les consommateurs restent longtemps dans les établissements.

Lorsque les mesures sanitaires seront graduellement relâchées, ils peuvent par exemple s’inspirer des règles imposées momentanément par Québec au début de la pandémie (une table sur deux disponible), tout en prenant la température des clients et en imposant le lavage des mains à l’entrée des bâtiments.

Les restaurants qui le faisaient déjà ont tout intérêt à continuer à faire des livraisons à domicile, et à développer cette activité dont la demande est appelée à augmenter.

Soyez imaginatif pour inciter les gens à se regrouper 

De tous les secteurs, ce sont sans doute ceux du divertissement et de l’événementiel (musique, théâtre, cinéma, conférence, salon) qui feront face aux plus grands défis lorsque la reprise se manifestera et que les gens recommenceront à sortir.

Plus que jamais les organisations devront garantir la sécurité des personnes qui assistent à leurs spectacles et à leurs événements.

Mais là encore, on peut imaginer de nouvelles formules inédites qui peuvent inciter les gens à se retrouver à nouveau en groupe.

Pourquoi ne pas imaginer à moyen terme la tenue de spectacles, de concerts ou d’événements dans des salles où il y a par exemple une distance de deux ou trois mètres entre chacune des personnes sur place (à l’exception des couples, par exemple)?

Outre la prise de la température et le lavage des mains à l’entrée, les organisateurs pourraient aussi offrir gratuitement des masques aux spectateurs ou aux participants.

Enfin, puisque l’été approche à grands pas, on pourrait imaginer la tenue de spectacles, de concerts ou d'événements à l’extérieur (voire sous des chapiteaux en cas de pluie), encore une fois pour rassurer les consommateurs dans cette période de transition vers la normalité socio-économique.

Certes, plusieurs de ces mesures peuvent faire sourire.

Pour autant, n’oublions pas que lorsque les entreprises commenceront à rouvrir et que la reprise économique se manifestera, le nerf de la guerre sera de restaurer la confiance des consommateurs.

Le premier ministre François Legault affirme avec raison que nous livrons une bataille contre le coronavirus. Eh bien, à la guerre comme à la guerre, comme dit l’adage.

Préparons-nous à une reprise inédite, tout comme cette crise qui bouleverse notre économie et notre société depuis trois semaines.

Et si tout se passe mieux que prévu?

Eh bien, il sera plus facile alors de laisser tomber des mesures que d’en adopter rapidement en catastrophe pour attirer des consommateurs encore craintifs de sortir de leur confinement.

Allez, on ne lâche pas, on va passer au travers de cette crise!

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.