Un effet néfaste
La manière prévue pour payer et récompenser les employés paraît bien belle dans ces multinationales, du moins sur le papier. En réalité, la pratique est très différente : «Les paies stratégiques sont façonnées par une myriade de micro-structures si complexes et autonomes que le fait de déroger à la règle est la norme», écrit-il dans son étude. Cela signifie que les gestionnaires, en bout de ligne, n’en font qu’à leur tête, versant une prime à ceux qu’ils veulent, ou accordant une hausse salariale à d’autres, sans tenir compte du «juste équilibre» recherché par la haute direction.
La découverte de Jonathan Trevor va plus loin : les gestionnaires qui font l’effort de respecter la ligne de conduite voulue par la haute direction ne font… qu’aggraver la situation! En effet, comme il est impossible, tout seul dans son coin, d’y parvenir - par exemple, un employé d’une équipe voisine peut toucher une méga-prime, ce qui va se savoir et susciter des jalousies au sein de l’équipe «bien» gérée -, l’impact sur les employés est négatif : «Les membres de l’équipe vont voir leur moral diminuer, vont adopter des comportements indésirables, vont multiplier les réunions inutiles dans l’espoir d’améliorer les pratiques de gestion, etc.», explique le chercheur de Cambridge.
D’ailleurs, il n’est pas prouvé que les bons résultats de ces multinationales proviennent de l’adoption de la paie stratégique, d’après Jonathan Trevor. De nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte. Il est impossible de lui attribuer la moindre partie de leur succès.
Sa conclusion est sans appel : la paie stratégique est irrémédiablement vouée à l’échec. À vouloir trop bien faire, on ne fait qu’accentuer le mal.
Alors? Faut-il considérer qu’il ne sert à rien de concocter la meilleure politque de paie possible? Faut-il laisser faire, et adopter une politique du cas-par-cas? Bien sûr que non, le chercheur l’indique lui-même. Mais il convient de se méfier des modes, des «aveuglements généraux», et dans le cas présent de considérer la paie stratégique non pas comme la panacée, mais au mieux comme un placebo. «Les meilleurs principes ne sont pas les meilleures pratiques», lance-t-il avec élégance.
