TE Lawrence va plus loin dans le raisonnement. «Il fallait présumer pour cela que nous attaquerions toutes bannières déployées, mais qu’adviendrait-il si nous fonctionnions de manière plus indéfinie, comme une influence, une idée, une chose invulnérable, intangible, sans front, sans arrière, évanescente comme un gaz? Les armées ressemblaient à des plantes, immobiles, profondément enracinées, nourries jusqu’à la tête grâce à leurs longues tiges. Nous, nous pouvions être comme un souffle qui va où bon lui semble. Nos royaumes existaient dans l,esprit de chacun d’entre nous et, de même rien de matériel ne nous était indispensable pour vivre, il était possible que nous n’offrions rien de concret à tuer. Privé de toute cible, un soldat régulier se sentirait sans nul doute désemparé. Il ne possédait que le sol où il s’asseyait et ce contre quoi il pouvait s’acharner avec son fusil.»
«Voilà donc ce qui concernait l’élément mathématique que j’appelais l’hécastique. Le deuxième facteur était biologique.»
> La bionomique
«Les philosophes de la guerre avaient érigé en principe «l’effusion de sang». (…) Mais limiter cet art à l’élément humain, c’était, me semblait-il, le rétrécir indûment. Il fallait l’appliquer autant aux objets qu’aux êtres humains. Dans l’armée turque, le matériel était rare et précieux, les hommes plus nombreux que l’équipement. Notre rôle était donc d’anéantir ce dernier plutôt que l’armée. La destruction d’un pont, d’un rail, d’une machine, d’un canon ou d’un explosif de grande puissance nous rapportait plus que la mort d’un soldat turc.» (…)
«La plupart des guerres sont des guerres de contact, les deux armées essayant de ne pas se perdre de vue afin d’éviter la surprise tactique. Notre guerre à nous serait une guerre de décrochage. Il nous faudrait contenir les Turcs par la silencieuse menace d’un désert vaste et inconnu et ne nous découvrir qu’au moment de l’attaque.»
> La diathétique
«Le troisième élément qui régit l’art du commandement semblait être d’ordre psychologique et appartenir à cette science que Xénophon appelait diathétique et dont notre propagande n’est qu’un vil avatar, explique-t-il dans son article. Elle concerne d’une part la masse. Il faut en effet en contrôler l’esprit afin qu’il serve l,action et maintenir son opinion par définition versatile. D’autre part, cette science s’attache à chaque individuen particulier et tient alors de l’art subtil de la malléabilité humaine. (…) Elle envisage la capacité émotive des hommes, leur complexité, leur instabilité et entretient en eux ce qui va dans le sens du but ultime.»
«Nous devions organiser les esprits en ordre de bataille avec autant de soin et de rigueur qu’en mettent les autres officiers à disposer les effectifs. Il ne nous fallait pas uniquement dominer les esprits de nos hommes, même s’il s’imposait de commencer par eux, mais nous devions aussi agir sur ceux de nos ennemis, pour autant bien sûr que nous puissions les atteindre. En troisième lieu, nous deviosn toucher l,esprit de la nation qui nous soutenait à l’arrière, ainsi que celui du pays ennemi qui attendait le verdict, comme celui des pays neutres qui observaient», ajoute-t-il.
«Une province ne nous était acquise que lorsque nous avions appris aux civils qui y vivaient à mourir pour notre idéal de liberté. La présence ou l’absence de l’ennemi était finalement peu importante.»