Pouliot - Finances publiques: ça sent la triche

Publié le 26/11/2013 à 08:43

Pouliot - Finances publiques: ça sent la triche

Publié le 26/11/2013 à 08:43

BLOGUE. Extrait d'une conversation, il y a quelques jours, avec une personne qui suit de près les finances publiques du Québec. On est au lendemain de la fameuse déclaration de Philippe Couillard sur le report de l'équilibre budgétaire.

-Monsieur Pouliot, je vous fais le pari qu'il va falloir amender la loi, et que l'on ne respectera pas l'équilibre budgétaire même en 2014-15.

On a hésité un peu, et on n'a finalement pas tenu le pari.

Heureusement, car, si les informations de La Presse sont exactes, notre mise serait en danger.

Selon le quotidien, Québec prévoit maintenant un déficit de 2,5 G$ pour 2013-14, un autre de 1,75 G$ pour 2014-15, et le retour à l'équilibre budgétaire en 2015-16.

Deux questions:

1-quelle sera l'ampleur de la tricherie?;

2-les partis d'opposition la cautionneront-elle?

En quoi s'apprête-t-on à tricher?

En 2009, l'Assemblée nationale avait convenu que le Québec était de retour en déficit structurel et qu'il était impératif de ramener rapidement les finances publiques sur des bases qui permettent de faire face à un avenir exigeant.

L'Assemblée avait adopté un principe de cibles successives à atteindre dans les années à venir de manière à réduire la dette par rapport au PIB, et à la rendre gérable.

C'est pourquoi il fut établi que si jamais une cible n'était pas atteinte, il faudrait rembourser la différence dans l'avenir, tout en continuant à atteindre les cibles subséquentes.

Vers quoi s'en va-t-on?

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Commençons par voir ce qui se présente pour l'année prochaine (2014-15).

La cible pour cet exercice est actuellement pour un surplus de plus de 1,3 G$. Ce 1,3 G$ doit être versé au Fonds des générations, ce qui donne le fameux déficit zéro à atteindre.

La Presse soutient que pour l'année en cours (2013-14), nous serons en déficit de 2,5 G$.

Prenons ce chiffre et comparons le à la cible budgétaire pour 2014-15 (celle qui nous intéresse). Il faut, on le voit, partir d'un déficit de 2,5G$ et grimper à un surplus de 1,3 G$. C'est un chemin de 3,8 G$ à parcourir.

Beaucoup!, dîtes-vous. Plutôt peu. Il ne s'agit que d'une partie du chemin. Parce qu'il faut aussi, en faisant ce chemin, commencer à rembourser le déficit de 2,5 G$ que l'on aura enregistré en 2013-14. La loi dit que ce déficit doit être amorti d'au moins 1 G$ l'année qui suit et que le reste peut être amorti sur cinq ans.

Résultat des courses: c'est au moins 4,8 G$ (3,8 G$ +1 G$) de chemin à parcourir pour 2014-15.

Un pas impossible

C'est un pas quasi impossible à effectuer sans taxer ou couper significativement. À titre de comparaison, le gouvernement prévoyait que l'on pourrait cette année (2013-14) faire un chemin de 3,5 G$ (par rapport à 2012-13), mais avec pour presque 1,5 G$ de compensation pour l'harmonisation de la TVQ (une somme qui ne reviendra plus dans l'avenir). De même que d'autres améliorations de 650 M$ chez Hydro, la SAQ, Loto-Québec, et en taxes sur le tabac et les alcools.

Bref, un chemin à faire de 4,8 G$ versus un chemin réaliste qui devrait davantage être autour de 1,5-2 G$ (ce 1,5-2 G$ provenant de la croissance économique).

On comprend bien pourquoi il devient impossible d'être à l'équilibre pour 2014-15.

Voilà maintenant que l'on repousse l'atteinte de l'équilibre en 2015-16.

Pour le plaisir, on a fait le calcul du chemin à faire pour 2015-16, à partir d'un déficit de 1,75 G$ en 2014-15 (la nouvelle cible présumée rapportée par le quotidien).

Résultat: au moins 4,65 G$! C'est à peu près la même chose qu'aujourd'hui. Si c'est impossible pour aujourd'hui, comment est-ce que ce sera possible pour 2015-16?

Il y a une forte probabilité que les nouveaux objectifs cités par La Presse soient des cibles où on a abandonné l'obligation de rembourser les dépassements. Dit autrement, que le gouvernement se prépare à demander d'amender la loi sur l'équilibre budgétaire et que, pour une énième fois dans les 40 dernières années, on pousse du déficit à la dette. Et ce malgré le consensus de 2009 qui avait convenu qu'assez était assez. C'est ce qu'on qualifie de tricherie.

Il y a plus préoccupant. Même en trichant, on n'est pas très sûr que la cible 2015-16 pourra être atteinte sans augmenter significativement les revenus ou couper les dépenses. Il faudrait une super croissance économique, ou que l'on abaisse cette cible (un deuxième cas de tricherie).

Que fera l'opposition?

Bien hâte de voir la mise à jour économique. Comment le gouvernement présentera tout cela et défendra ses hypothèses. Bien hâte de voir aussi si l'opposition souscrira. Les deux partis pourraient bien se faire complices parce que, à défaut, il faudra hausser les impôts et/ou couper.

Ce n'est pas très vendeur en période électorale.

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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