Changement climatique: «ok, tout le monde»

Publié le 23/11/2019 à 09:30

Changement climatique: «ok, tout le monde»

Publié le 23/11/2019 à 09:30

Les Forces armées canadiennes qui s'efforcent de contrôler la montée des eaux près d'Ottawa le 28 avril 2019. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La lutte au changement climatique est l’enjeu le plus important auquel nous faisons face collectivement, car un réchauffement trop prononcé bouleversera nos sociétés et nos économies. La mobilisation des citoyens, des entreprises, des investisseurs et des gouvernements est donc capitale pour limiter les dégâts. Aussi, blâmer les baby-boomers avec le «ok, boomer» est contre-productif, car nous sommes tous plus ou moins responsables de la crise écologique.

«Ok, boomer», une expression que l’on peut traduire par «cause toujours, baby-boomer», déferle sur internet et les réseaux sociaux depuis quelques mois. Boutade humoristique et cinglante, cette expression traduit l’exaspération des jeunes (les Z, la génération de Greta Thunberg), mais aussi de certains milléniaux (ou Y) devant l’inaction de l’ensemble des leaders face à l’urgence de décarboniser rapidement l’économie.

Or, ces leaders politiques et économiques sont en grande partie des baby-boomers, c’est-à-dire des gens qui sont nés entre 1946 et 1964, donc âgés aujourd’hui de 55 à 73 ans.

Comme ils sont aux commandes dans la plupart des gouvernements, des entreprises et des sociétés d’investissement, plusieurs jeunes reprochent à cette génération de manquer d’ambition, de défendre leurs intérêts économiques et de résister aux changements rapides et drastiques qui s’imposent pour sauver la planète.

Ils reprochent aussi aux boomers une certaine insouciance face au risque d’un emballement du climat dont les conséquences les plus néfastes se feront surtout sentir à partir des années 2050, quand ils seront pour la plupart décédés.

Bref, ce sont les Z, Y et en partie les X (et leurs enfants) qui subiront surtout les affres des catastrophes naturelles et des bouleversements géopolitiques (migrations massives, conflits pour les ressources naturelles, etc.) si jamais l’humanité n’arrive pas à limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés Celcius.

Force est de constater que leurs inquiétudes sont justifiées.

Découvrez mon dernier livre Zoom sur le monde : dix clés géopolitiques pour comprendre la Chine de Xi Jinping.

Si la Terre était une entreprise, elle serait sur le point de faire faillite en raison de l’explosion de sa dette et de l’érosion rapide de ses capitaux propres. Il faudrait un méchant coup de barre, accompagné d’une restructuration draconienne, pour redresser la situation, et non pas une transition en douceur.

Or, c’est à peu près ce que nous proposent actuellement la plupart des leaders dans le monde : une transition énergétique, alors qu’il nous faut plutôt une «restructuration énergétique», pour reprendre la métaphore de l’entreprise en difficulté financière.

Nous l’avons ce plan.

Le Groupe d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) nous l’a présenté en octobre 2018 pour limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 degrés – il a déjà augmenté de 1 degré depuis le début de l’ère industrielle, au 19e siècle.

Mais il faut faire vite, car nous avons jusqu’en 2030 pour stabiliser et commencer à réduire les émissions de GES dans le monde.

Le GIEC propose un scénario très ambitieux pour y arriver :

  • Adopter un régime énergétique
  • Éliminer le charbon
  • Retirer la moitié des voitures des routes
  • Construire 38 réacteurs nucléaires
  • Installer 1,5 million d'éoliennes
  • Retirer le tiers des vaches de la planète

Malgré des progrès notoires sur plusieurs fronts, les citoyens, les entreprises, les investisseurs et les gouvernements n’en font pas assez.

Après trois ans de stagnation, les émissions de GES sont reparties à la hausse en 2017, selon le quotidien Le Monde. Et elles ont continué d’augmenter en 2018, indiquent plusieurs rapports, dont celui du réseau européen d’observation Copernicus.

Comment redresser Terre inc.

Revenons à la métaphore de notre entreprise au bord de la faillite, et imaginons que nous soyons vraiment sérieux pour la tirer de ce mauvais pas.

Que ferions-nous ?

Eh bien, il faudrait réduire drastiquement ses dépenses et augmenter rapidement ses revenus. Il faudrait restructurer ses dettes, trouver de nouvelles sources de financement à court terme, revoir sa stratégie d’affaires et investir pour augmenter sa productivité.

Et il faudrait faire tout cela en moins d’un an, avec des objectifs mesurables après 1 mois, trois mois et 6 mois.

C’est essentiellement la même chose avec la lutte au changement climatique : il faut restructurer nos sociétés et nos économies très rapidement, avec des objectifs mesurables à différents moments d’ici 2030, et ce, afin d’atteindre une réduction de 45% des GES dans 10 ans.

Et si nous sommes vraiment sérieux, le plan de sauvetage de Terre inc. devrait ressembler à ceci :

1.Les citoyens (boomers, X, Y Z)

Au niveau de l’alimentation, les citoyens de toutes les générations doivent réduire, voire éliminer, leur consommation de viande.

Les gens doivent repenser à leur mode de transport, en misant davantage sur le transport en commun et en se limitant à une voiture par ménage dans le meilleur des mondes.

Acheter davantage localement est une autre option pour réduire les GES, car cette stratégie réduit les émissions émises par le transport de marchandises. Garder le plus longtemps possible nos appareils électroniques, à commencer par les téléphones intelligents, est aussi une stratégie efficace.

En tant que citoyen, on peut même mesurer notre empreinte écologique (le nombre de Terres nécessaires pour soutenir notre mode de vie) grâce à un petit questionnaire élaboré par le Global Footprint Network.

C’est imparfait, mais il donne néanmoins un ordre de grandeur et nous permet d'amorcer une réflexion sur notre mode de vie.

2.Les entreprises

Pour les entreprises, la meilleure stratégie est de mesurer son empreinte écologique afin de pouvoir identifier les processus sur lesquels elles peuvent agir pour réduire leurs émissions de GES.

Au Québec, les sociétés peuvent s’autoévaluer et se doter d'une meilleure stratégie grâce à la norme BNQ 21000. Celle-ci documente 21 critères liés au développement durable, regroupés en quatre grands enjeux (transversaux, économiques, sociaux et environnementaux).

Plus une entreprise s’améliore dans chacun de ces 21 critères, plus elle réduit son impact sur l’environnement et améliore sa santé financière.

3.Les investisseurs institutionnels

Les investisseurs institutionnels ont un pouvoir immense pour décarboniser l'économie, grâce aux centaines de milliards de dollars qu’ils investissent chaque année dans le monde.

Ainsi, au lieu d’investir dans les secteurs qui contribuent au réchauffement climatique, ils peuvent davantage investir dans les technologies propres.

De plus, les investisseurs doivent aussi tenir compte du risque d’investir dans le secteur des énergies fossiles, car ces actifs risquent de devenir des actifs échoués, c’est-à-dire un actif qui perd de la valeur en raison de l’évolution des lois, de la protection de l’environnement ou du progrès technologique.

Deux banques centrales, la Banque d’Angleterre et la Banque du Canada, ont déjà mis en garde les investisseurs contre ce risque.

4.Les gouvernements

Les gouvernements peuvent accélérer la décarbonisation de nos sociétés en adoptant des lois et des normes dans le bâtiment et le transport.

Ils peuvent aussi pénaliser les activités qui contribuent au réchauffement climatique (avec des taxes) et récompenser celles qui permettent de l’atténuer (avec des crédits d’impôts ou des congés fiscaux).

Ultimement, ils peuvent proscrire certaines activités en ne délivrant plus de permis.

5.Les banques centrales

Méconnues du grand public, les banques centrales peuvent pourtant jouer un rôle essentiel.

Pour limiter le réchauffement de la Terre à moins de 2 degrés Celcius, les gouvernements devront investir des dizaines de billions (des dizaines de 1000 milliards) de dollars américains dans les prochaines décennies, notamment pour améliorer les transports collectifs.

Or, seules les banques centrales peuvent soutenir pareille mobilisation de capitaux à long terme, selon le magazine américain Foreign Policy.

On le voit bien, de notre assiette à nos habitudes de consommation, des décisions d'affaires aux investissements des agents économiques, des lois aux règlements, tous les acteurs de nos sociétés et de nos économies peuvent jouer un rôle essentiel pour limiter le réchauffement climatique.

Les baby-boomers ont certes leur part de responsabilité, mais les représentants des générations X, Y et Z en ont tout autant, car nous consommons tous des biens et des services.

C'est pourquoi nous pouvons tous mettre l’épaule à la roue.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand