Devriez-vous éviter la «business» des influenceurs?

Publié le 17/06/2019 à 12:46

Devriez-vous éviter la «business» des influenceurs?

Publié le 17/06/2019 à 12:46

Un téléphone mobile au bout d'une perche.

(Photo: Unsplash)

BLOGUE. Les médias, en partant, sont une industrie plus complexe qu’il n’y paraît. Strictement du côté de la production de contenu, les professionnels se divisent en journalistes, chroniqueurs, animateurs, experts invités et autres éditorialistes. Mais dans l’œil d’une grande partie du public, que tous ces gens s’expriment à la première ou la troisième personne, qu’ils émettent une opinion farfelue ou qu’ils dévoilent des faits réels, c’est du pareil au même: ils ont un message à passer.

Un journaliste d’une salle de nouvelles et un animateur télé n’ont naturellement pas la même mission, ni les mêmes normes professionnelles. En principe, un employé d’une salle de nouvelles ne peut apparaître dans la publicité d’un détaillant quelconque. Un animateur télé? Oui, surtout si, en plus, il est copropriétaire de la chaîne dont il est le porte-parole.

Le web a donné naissance aux blogueurs, une forme de publication qui peut être ou non de nature médiatique. Qu’une consultante en informatique ou en ressources humaines blogue sur le site de son employeur (ou son propre site, travail autonome oblige), ou sur celui de Les Affaires, pour bien des internautes, ça ne fait aucune différence, même si, pour la rédaction de notre journal adoré, la sélection de ces invités se fait avec soin, sur le volet.

Les réseaux sociaux ont poussé plus loin la note, créant un autre espace public indépendant. C’est là qu’est né ce qu’on devrait réellement appeler le «marketing d’influence», où opèrent des gens qu’on qualifie, à tort ou à raison, d’influenceurs. Ces gens font du marketing, donc leur intérêt en est un d’affaires, de commerce, et non d’information. Si tous les influenceurs, demain matin, utilisaient l’expression «marketeurs d’influence» pour se définir, le débat n’aurait pas lieu.

Brouiller la ligne éditoriale

Bien des professionnels des médias sont des influenceurs sur les réseaux sociaux, à leur façon. Dans la plupart des cas, l’objectif est de vanter la richesse du site de leur employeur (allô!). Il y a plein de stratégies pour ça.

En prolongeant cette pensée, plusieurs entreprises concluent que gérer les influenceurs relève des relations publiques, et qu’il est plus simple de payer un telle porte-voix pour passer son message sans filtre, que de se fier au bon jugement d’un journaliste qui tire ses revenus d’une publication indépendante.

Inutile de dire que ça brouille la piste, côté consommateur. Après tout, dans cette place publique, personne n’est là pour indiquer ce qui, dans tous ces messages, est commandité, publicisé, ou pas.

Dans cet espace où tout est gris, est né une industrie officielle, mondialisée, qui comme bien d’autres, dépasse le cadre existant des règles régissant les pratiques dans le secteur traditionnel dont il émerge. En d’autres mots, il y a de l’argent à faire, et il est étonnamment facile de tricher.

Au fil des derniers mois, Forbes, AdWeek et la firme MediaKix ont tous trois tenté de mettre un chiffre sur ce marché émergent du marketing d’influence. Conclusion : ça approche des 10 milliards $US en revenus annuels. Des revenus qui, essentiellement, vont dans les poches d’agences ou d’individus qui ne sont soumis à aucune règle d’éthique ou de transparence, quoi qu’en disent leurs défenseurs.

La journaliste Émilie Bilodeau l’a bien prouvé, comme elle l’a raconté La Presse de samedi : Instagram se dit sévère à l’endroit des gens qui gonflent leurs listes de contacts en achetant des faux abonnés et des faux «likes» en Chine ou en Inde, mais c’est encore très facile de hausser par dizaines de milliers de noms son «auditoire» moyennant quelques dizaines de dollars. Et les annonceurs gobent ces chiffres de façon extrêmement naïve.

On s’entend, ces faux abonnés n’ont aucune valeur dans l’absolu. Mais dans les agences et les départements de pub et de marketing, on s’en fiche un peu. Tout ce qui importe, c’est de soumettre au client ou au patron un chiffre mirobolant, pour justifier l’investissement dans une campagne d’influence. En d’autres mots, la machine se nourrit d’elle-même, faute d’outils de mesure crédibles et fiables.

Pour prouver qu’on a rejoint 500 000 personnes sur Facebook et Instagram, la seule parole de Facebook et Instagram est suffisante pour bien des gestionnaires… Mais Facebook, reconnue pour tourner les coins ronds dans ses propres calculs (notamment en ce qui a trait à la portée réelle de ses vidéos…), est loin d’être un auditeur impartial, dans ce contexte.

Et on ne parle pas des faux comptes. Durant les trois premiers mois de 2019, les gens de Facebook ont fermé pas moins de 2 milliards de faux comptes, sur sa plateforme. C’est autant que le nombre officiel de comptes actifs que la plateforme dit compter.

Calculer la portée réelle

Pour les entreprises, l’idée est donc de calculer la portée réelle de leur message, et le rendement d’une telle campagne. Quand on peut calculer l’impact sur le nombre de visites sur son site web, au moins, on a toujours ces statistiques comme référence de base pour le succès de l’opération.

Pour le consommateur-en-ligne moyen, qui n’a aucun moyen de savoir si ce qu’il a lu ou visionné est commandité ou pas, autrement qu’en se fiant à son seul jugement, c’est plus complexe. À une autre époque, dans l’imprimé, les éditeurs pouvaient toujours dire à leurs clients annonceurs que si des gens se pointent à leur boutique avec une copie de leur publication en mains, c’est donc que ça marche.

Et les acheteurs pouvaient facilement faire la différence entre une pleine page de pub et une critique rédigée à part. Plus difficile avec les médias numériques. Encore plus avec les réseaux sociaux…

Évidemment, on a tous une opinion, sur ce sujet comme sur bien d’autres. Il serait facile de casser du sucre sur le dos des réseaux sociaux, ou à l’inverse, de rappeler qu’il existe des cas où des professionnels des médias ne font pas mieux que les soi-disant influenceurs.

Les décideurs, ceux qui tiennent les cordons de la bourse, font partie de la réponse. C’est à eux de demander des comptes, réels, calculables et précis, aux gens qui tentent de les convaincre qu’Instagram vaut la dépense. Et d’exiger de la transparence. Plusieurs services web proposent de gonfler les statistiques des influenceurs et de leurs campagnes.

Cet auditoire est-il celui visé, ou s’agit-il de clics artificiels?

Pour avoir accès à certains marchés publicitaires, les médias traditionnels doivent faire certifier leur portée réelle par des audits externes. Comme nous le rappellent toutes ces stations de radio qui sont numéro un en même temps, ce n’est pas parfait. Mais ça renforce l’importance pour les entreprises d’exiger que les chiffres qu’on leur présente soient d’une source fiable.

Sur Instagram comme ailleurs.

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À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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