Survie de l'euro : 50-50

Publié le 02/06/2012 à 00:00

Survie de l'euro : 50-50

Publié le 02/06/2012 à 00:00

Commentateur économique en chef au Financial Times, Martin Wolf est considéré comme l'un des observateurs les plus influents du monde. Il est fellow du Forum économique de Davos et a participé à la commission indépendante sur le système bancaire établie par le gouvernement britannique en 2010-2011. Invité par CFA Montréal à présenter ses vues sur la crise européenne, il s'est entretenu avec notre journaliste.

Les Affaires - Pourquoi les Canadiens devraient-ils s'inquiéter de cette crise ?

Martin Wolf - C'est très difficile d'évaluer l'importance future de cette crise. Si les choses se détériorent peu, ce ne sera pas si important pour les Canadiens. Si le pire se produit, par contre, ça touchera tous les pays, y compris le Canada. L'Europe représente environ le quart de l'économie mondiale ; une sévère récession affecterait le commerce et le financement partout sur la planète, même là où les liens économiques directs sont limités. N'importe quelle banque d'envergure mondiale a des activités en Europe, tout comme plusieurs multinationales, dont des américaines et des canadiennes. Le risque est financier et économique, mais il est aussi politique. Or, l'Europe est une alliée importante du Canada.

L.A. - Y a-t-il de l'espoir pour l'union monétaire ?

M.W. - Les autorités pourraient gérer la crise sans rompre l'union monétaire. Les mesures nécessaires sont claires, mais elles exigent des décisions politiques et une solidarité qui est peut-être maintenant impossible. Les Européens, surtout les Allemands, ne se font plus confiance entre eux. Reste que des mesures jugées inconcevables il y a quatre ans sont mises en place (fonds spéciaux, intervention massive de la Banque centrale européenne). Il faut rester optimistes et croire que les autorités prendront d'autres mesures.

L.A. - Une sortie de la Grèce signerait-elle l'arrêt de mort de l'euro ?

M.W. - Non, mais ce serait un moment très significatif. Si la Grèce se retirait de la zone euro - et je dis bien si -, ça aurait des conséquences majeures. À court terme, les Espagnols, les Italiens et les Portugais craindraient de subir le même sort. Ils se rueraient vers les banques pour transférer leurs économies dans des banques allemandes, suisses, britanniques ou autres, et cesseraient d'acheter des obligations de leur gouvernement. Lorsque les citoyens ne déposent plus dans les banques et ne financent plus le gouvernement, ça devient une crise sévère.

L.A. - Et à long terme ?

M.W. - Dès qu'un pays sortira de l'union, il n'y aura plus de retour en arrière : l'euro ne sera plus perçu comme irrévocable. Toutes les crises futures donneront lieu à des spéculations de sortie, ce qui sera rationnel, et les investisseurs et déposants se retireront du marché. Sans la détruire, une sortie de la Grèce fragiliserait radicalement l'union monétaire, car les gains de l'euro reposent sur son caractère irrévocable.

L.A. - Quelles sont les chances de survie ?

M.W. - Je les estime à 50 %, par rapport à environ 75 % il y a un mois ou deux. Je ne vois pas comment la voie actuelle des négociations peut régler la crise. C'est une approche qui entraînerait des récessions plus sévères, une hausse du chômage, des problèmes fiscaux persistants et, probablement, d'autres défauts de paiement majeurs. Je ne crois pas que le peuple des pays touchés tolérera ça. C'est une voie très risquée.

L.A. - La Banque centrale européenne joue-t-elle son rôle ?

M.W. - Elle a le pouvoir nécessaire. La question est de savoir si elle a la capacité d'agir. Ce n'est pas la banque centrale d'un pays, mais de plusieurs pays qui ont des intérêts et des vues divergents, ce qui complique sa tâche. Si elle agit à grande échelle, certains membres, de toute évidence l'Allemagne, risquent de commencer à se plaindre publiquement des répercussions sur leur pays et à exercer des pressions sur elle. Sans soutien politique, une banque centrale ne peut pas agir, même si elle a un mandat et des ressources illimitées.

L.A. - Devrait-elle adopter une politique monétaire plus énergique ?

M.W. - Manifestement. L'Europe en entier se dirige vers une récession. Comme l'inflation tombera à de très faibles niveaux, la BCE devrait abaisser les taux d'intérêt, accroître ses positions et prendre des mesures non conventionnelles. La Banque centrale européenne a fait plus que ce à quoi je m'attendais au début de la crise, mais elle n'en a quand même pas fait assez.

L.A. - De quoi l'Europe a-t-elle besoin ?

M.W. - D'abord, il faut régler l'héritage du passé en dépréciant les dettes privées, en recapitalisant les banques et, si le pire se concrétise, en émettant de la dette publique. Ensuite, il faut envisager l'avenir. Cela demande de réinstaurer la compétitivité. Les pays qui l'ont perdu ont besoin d'une longue période de faible inflation relative, d'une reconstruction du secteur privé, d'une forte demande de la part de leurs partenaires, ainsi que de réformes du marché du travail. Cela prendra au moins dix ans, mais c'est essentiel. Il faut aussi que les banques deviennent moins nationales. Cela demande un régulateur européen et une organisation fiscale solide. Les gouvernements ne peuvent pas dépendre de banques qui dépendent d'eux. C'est inévitablement instable. Finalement, les pays en déficit fiscal doivent être refinancés. Il faut trouver une façon de limiter les taux d'intérêt pendant que les ajustements économiques se concrétisent afin d'éviter les spirales d'endettement.

L.A. - Cela passe-t-il par des obligations européennes ?

M.W. - Ce n'est pas le seul outil, mais ça me paraît le meilleur. En empruntant collectivement, les gouvernements pourraient se financer à des coûts raisonnables, ce qui réduirait la sévérité des restrictions fiscales. Il y a des façons de structurer les obligations européennes pour diminuer le coût de presque tous les pays, sauf l'Allemagne évidemment, et limiter le risque. Cela dit, les titres européens régleraient les problèmes de financement, mais pas ceux des déséquilibres économiques, qui nécessitent des ajustements de prix et de salaires, ainsi que des réformes.

L.A. - L'élection de François Hollande est-elle une bonne nouvelle ?

M.W. - Je ne sais pas, je le connais peu. Je tends à penser qu'il ne peut pas être pire que Sarkozy. Il est plein d'énergie et d'enthousiasme, mais il n'a pas encore été capable d'influencer les Allemands. La France est dans une position faible comparativement à l'Allemagne.

L.A. - Le futur de l'Europe semble reposer entre les mains de l'Allemagne. Est-ce le cas ?

M.W. - En gros, oui. Quand une crise sévère survient dans un système à taux fixe, le pays créditeur dominant détient le pouvoir lorsque les autres pays perdent leur capacité de crédit. Dans ce cas-ci, l'Allemagne est aussi le plus gros pays, celui à qui tout le monde veut prêter. Si le système s'effondrait, toutefois, elle souffrirait beaucoup : le nouveau deutsche mark exploserait, le pays et ses banques perdraient beaucoup d'argent, et les marchés d'exportation seraient touchés dramatiquement. L'Allemagne n'est pas forte dans toutes les circonstances, mais en ce moment, l'éventuelle survie de l'euro - et le comment de celle-ci - est entre ses mains.

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