La réputation des entreprises s'affermit... un peu


Édition du 19 Mars 2016

La réputation des entreprises s'affermit... un peu


Édition du 19 Mars 2016

[Photo : Martin Flamand]

Le passé, dit-on, n'est pas garant de l'avenir. Mais il n'en est jamais non plus complètement détaché. Selon les résultats de la dernière enquête de Léger sur la réputation des entreprises, réalisée pour la première fois cette année en partenariat avec le Cabinet de relations publiques National, même si la majorité d'entre elles sont parvenues à s'élever dans l'estime des Québécois, des nuages importants continuent de faire obstacle à leur quête d'admiration.

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Google, Heinz et le Groupe Jean Coutu occupent encore cette année le haut du classement des entreprises les plus admirées du Québec. Malgré un début d'embellie généralisée, d'autres, comme Bombardier et Volkswagen, frôlent plutôt la catastrophe, au point que l'une d'elles est allée rejoindre les Bell et SNC-Lavalin à la queue du peloton.

S'il est possible de reconquérir l'amour des Québécois, ceux-ci ne sont pas pour autant prêts à l'offrir les yeux fermés. C'est ce qui ressort des résultats de la dernière édition de l'enquête annuelle menée par la firme Léger depuis 1994. Cette fois-ci, un total de 298 entreprises ont vu leur réputation être sondée et comparée, auprès de quelque 13 000 répondants.

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«Ça n'a pas été l'année du rebondissement, établit d'emblée Christian Bourque, vice-président principal et associé de Léger. Non plus celle du pardon. Mais à défaut de mieux, je qualifierais cette édition de "l'année du moins pire"... Moins pire que l'année dernière.»

Pour mémoire, il y a 12 mois, Léger dévoilait une étude imprimée à l'encre rouge. Pas moins des deux tiers des 249 entreprises sondées voyaient leur indice de réputation (la différence entre les pourcentages de bonnes et de mauvaises opinions) dégringoler. C'était le cas en particulier des entreprises du secteur de l'immobilier qui ont toutes, à l'exception de Re/Max, encaissé des chutes de réputation de plus de 50 points.

L'air est plus respirable

À l'évidence, selon Léger, les témoignages devant la commission Charbonneau et les discours d'austérité du gouvernement de Philippe Couillard ont fait leur oeuvre. Après un tel martèlement, les Québécois étaient sonnés... et pour nombre d'entreprises, leur réputation en a payé le prix. L'ambiance a changé depuis, assure M. Bourque. À ses yeux, l'air est plus respirable, et le discours ambiant, moins morose. Tellement que seulement le quart des 298 entreprises étudiées ont vu leur indice de réputation plonger cette année par rapport à l'année dernière.

C'est bien. Mais la prudence et le cynisme de la population sont à leur paroxysme, rappellent les experts à qui nous avons demandé d'analyser les résultats. Une économie au ralenti, un huard faible, des rendements de placement anémiques et des annonces d'abolitions d'emplois quasi hebdomadaires ont tendance à tenir la population aux aguets, à l'inciter même à se replier sur elle-même. Des comportements ou réactions que Martin Sansregret, président de l'agence de communication Tam-Tam\TBWA, affirme reconnaître dans les résultats de cette année.

Ainsi, aux habitués du top 20 que sont Jean Coutu, le Cirque du Soleil, Canadian Tire et Tim Hortons, on remarque la remontée de nombreuses sociétés américaines comme Heinz, Kellogg, Kraft et Campbell. Non seulement ces dernières parviennent à se hisser parmi les 12 premières du classement, mais elles améliorent toutes leur indice de réputation.

Pourtant, bien malin celui qui saurait désigner un seul geste de ces entreprises capable d'expliquer une telle remontée. «Ce sont des marques de proximité physique, du feel good, des produits qui réconfortent, qui procurent une sécurité affective», explique Martin Sansregret.

Avec ces entreprises, les Québécois ont développé - sans nécessairement s'en rendre compte - une grande relation de proximité, explique Bernard Motulsky, professeur titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing de l'UQAM. «Ce sont des marques qui nous sautent au visage chaque fois qu'on ouvre le frigo ou qu'on entre dans un restaurant. Elles sont tellement imbriquées dans nos vies que, dès que le contexte appelle à un retour à ce qui nous est familier, elles ressurgissent», dit-il.

Si cela est vrai pour un Kellogg et autres transformateurs alimentaires, c'est de plus en plus vrai également de toutes les entreprises liées aux nouvelles technologies, à Internet et aux réseaux sociaux. Le cas de Google, encore première au palmarès cette année, saute aux yeux. Les remontées de Facebook (+ 15), Amazon (+ 8) et Apple (+ 5) en sont aussi une illustration.

Bien que ces entreprises soient étrangères, les Québécois ont développé avec elles une relation proche, affective. «Pour beaucoup de gens, Facebook est devenu l'équivalent du téléjournal de fin de soirée», illustre Luc Dupont, professeur de marketing à l'Université d'Ottawa et chercheur associé au Laboratoire de recherche en communication marketing affilié au Groupe Cossette.

«Le moteur de recherche Google, lui, ouvre la porte à la connaissance, fait clairement une différence dans la vie des gens, tout en étant gratuit en apparence, souligne pour sa part le président de Tam Tam\TBWA. Comment peut-on ne pas avoir de bons sentiments pour une telle entreprise ?»

Les meilleurs... les moins chers

Autre constat clair, les Québécois sont sensibles aux indices qui s'orientent tous vers un ralentissement économique, soutient le professeur Dupont. C'est ce qui explique que le secteur des magasins de rabais connaisse la plus grande hausse de réputation cette année. Dollarama, Rossy et Tigre Géant ont un indice de réputation en hausse d'un record de 11 points en moyenne.

«Les Québécois sont davantage cigales que fourmis, indique Christian Bourque, de Léger. Leur problème, et ils ne sont pas sans le savoir, est que ce sont des cigales qui ont les poches vides. C'est ce qui les pousse à apprécier autant ces commerces.»

Le même phénomène s'observe dans le secteur de l'alimentation. Les enseignes d'escompte comme Super C (+ 10) et Maxi (+ 6) remportent les plus grandes améliorations de leur réputation, face à des enseignes comme IGA (- 4) et Metro (- 1), perçues ou reconnues comme offrant les paniers d'épicerie les plus chers.

La remontée observée des magasins de matériel artistique et des libraires s'expliquerait de la même façon. L'indice de Michael's, venue concurrencer DeSerres, a grimpé de 13 points, soit la troisième hausse en importance. «Dans le fond, précise M. Bourque, cette remontée doit d'abord être perçue comme le choix d'un loisir permettant de s'occuper chez soi à peu de frais.»

Surprise ! Même chose avec les librairies, dont on prédisait pourtant la mort il y a quelques années. L'ontarienne Chapters Indigo a vu son indice de réputation augmenter de 10 points cette année, et Renaud Bray, devenue propriétaire d'Archambault, de 5 points. Le livre permet de se divertir à petit prix, tout en se libérant d'une culpabilité certaine, assure Luc Dupont. «Il y a eu Amazon, Kindle, Kobo... Deux libraires ont disparu, et il n'en reste plus qu'une dans le quartier. Au fond, personne ne souhaite la mort d'un libraire.»

Les mal-aimés : Bell en tête

À l'autre bout du spectre, les entreprises les moins aimées des Québécois restent Bell, SNC-Lavalin, Enbridge et TransCanada. Sans surprise, Volkswagen s'est ajoutée cette année, avec la pire chute de réputation, tout juste derrière l'ancien monopole de la téléphonie.

Avec un indice de réputation de - 19, soit allègrement sous le niveau plancher, la réputation de Bell poursuit sa descente. Cela, malgré des efforts importants consentis ces dernières années en publicité, souligne le professeur Motulsky. En outre, Bell a recentré ses efforts vers une stratégie de communication nationale s'orchestrant d'abord autour de produits (sans-fil, bande optique, etc.) et de services aux entreprises.

«Le hic, estime M. Sansregret, est qu'en plus de manquer d'humilité, cette démarche n'a pas permis de se rapprocher des Québécois. On ne lui connaît plus aucun porte-parole, nul en tout cas qui ne puisse faire oublier les années de Monsieur B.»

De la même manière, malgré des efforts communicationnels, SNC-Lavalin (- 16) et les deux sociétés pétrolières concurrentes que sont Enbridge (- 10) et TransCanada (- 3) continuent de ramper. La première en raison de ses pratiques passées, les deux dernières à cause des réticences à propos de projets de transport de pétrole par oléoduc.

Avec Cossette, l'ex-fleuron du génie québécois a créé une campagne télé visant à souligner le travail de ses employés, à la façon dont l'a longtemps fait Dofasco (maintenant propriété d'ArcelorMittal) avec son très connu «le plus fort, c'est l'acier ; notre force, nos employés». Malgré tout, estime Martin Sansregret, SNC-Lavalin souffre toujours d'un bilan contestable en ce qui concerne les 3 «E» (éthique, exemplarité et engagement). «Dire une chose ne suffit plus. Il faut le faire. C'est encore plus vrai avec les millennials [la génération du millénaire]. Pour eux, il n'y a pas de pardon.»

Le cas de Volkswagen est très similaire. En plus d'être la deuxième entreprise la moins aimée du palmarès, la société allemande est aussi celle qui a perdu le plus en cours d'année pour avoir délibérément faussé des tests visant à mesurer le niveau d'émanations polluantes de ses voitures.

Résultat : la réputation du constructeur automobile a été amputée de 55 points par rapport à l'an dernier, pour s'établir à - 18, au 297e rang du classement comparativement au 110e rang l'an dernier. Il sera intéressant de voir si Volkswagen arrivera un jour à regagner sa position d'alors et combien d'années lui seront nécessaires pour y parvenir.

Bombardier : la fin d'une histoire d'amour ?

Au chapitre des plus grands perdants sur le plan de la réputation, Bombardier suit Volkswagen. Celle qui trônait dans le top 10 des entreprises les plus admirées il y a encore deux ans a vu sa réputation fondre de 29 points, le double du recul observé (- 14) l'année précédente.

Ce nouveau revers de Bombardier est le reflet, selon les experts, des sentiments partagés des Québécois à son égard. Tout en admirant ce qu'elle est devenue, le sauvetage par les gouvernements passe mal, s'inquiète Bernard Motulsky. «On sent une grande déception envers elle.»

Résultat, la multinationale en difficulté des familles Beaudoin et Bombardier se retrouve avec un indice de 38 (le même que Hyundai Auto), et trébuche sérieusement du 38e au 127e rang du palmarès. À l'évidence, le constructeur d'avions et de trains n'attire pas le même degré de sympathie dont pouvait profiter le Groupe Jean Coutu, même au pire des difficultés qui ont suivi son aventure américaine.

Christian Bourque lance l'hypothèse que Bombardier paie peut-être aujourd'hui le prix d'avoir négligé son image publique au pays, comme elle l'avait fait à l'occasion des Jeux olympiques de Vancouver. «On est loin du constructeur de ski-doo, dit-il. Lorsqu'on ne fait rien pour faire vibrer les cordes sensibles, il est possible qu'elles cessent de vibrer toutes seules.»

Wal-Mart est la troisième grande perdante de cette année, en baisse de 10 points, et en glissade de la 47e à la 84e position. Pendant ce temps, Winners a amélioré son score de 5 points, au 69e rang. Enfin, Canadian Tire se maintient parmi les 10 sociétés les plus aimées.

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MÉTHODOLOGIE

Les résultats de l'enquête Réputation de Léger s'appuient sur un sondage électronique mené auprès de 13 058 répondants adultes, du 22 décembre 2015 au 31 janvier 2016. Léger a mesuré la réputation de 298 entreprises. Pour limiter la durée de réponse au questionnaire, le nombre d'entreprises a été scindé en 13 blocs, de telle sorte que chaque entreprise a été évaluée par 1 000 répondants.

L'indice de réputation de chacune des entreprises provient du calcul de la différence entre le pourcentage de bonnes opinions et le pourcentage de mauvaises opinions. Ainsi, une société aimée de tous obtiendrait un score de 100. Par contre, si 25 % des répondants n'aimaient pas une société, contrairement à 60 % du même groupe, cette société se verrait attribuer un indice de 35 (60 - 25 = 35).

Les résultats obtenus ont été pondérés (sexe, âge, religion, scolarité, langue maternelle) afin de rendre l'échantillon représentatif de l'ensemble de la population adulte du Québec. Un échantillon probabiliste de cette taille entraîne une marge d'erreur de plus ou moins 3,1 %, dans 19 cas sur 20.

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