Nous sommes tous (un peu) malhonnêtes

Publié le 29/09/2010 à 11:45, mis à jour le 29/09/2010 à 11:45

Nous sommes tous (un peu) malhonnêtes

Publié le 29/09/2010 à 11:45, mis à jour le 29/09/2010 à 11:45

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Certains mensonges prêtent peu à conséquence, croit-on. Photo : DR.

L’honnêteté, c’est relatif. Même les personnes qui se considèrent comme honnêtes usent de divers stratagèmes pour s’en sortir mieux que les autres.

Par Nina Mazar | Rotman Magazine

La malhonnêteté est partout. Il est presque impossible aujourd’hui d’ouvrir un journal ou de regarder la télé sans être aussitôt confronté à une multitude d’actes malhonnêtes. Le monde des affaires y est particulièrement propice : les scandales financiers sont devenus une rengaine. En fait, la plus grande contribution à la malhonnêteté générale provient d’une catégorie de personnes - les employés : leurs vols et fraudes sont évalués à quelque 600 milliards de dollars par an aux Etats-Unis, une somme qui correspond à deux fois la capitalisation boursière de General Electric…

À la base de la philosophie des Thomas Hobbes, Adam Smith et autres grands penseurs du comportement humain, il y a la conviction que «les individus commettent consciemment et délibérément des actions malhonnêtes, en comparant les avantages attendus de leur geste aux désavantages de celui-ci». Une illustration éclairante de cette vision de l’être humain? Prenons l’exemple d’une personne qui s’arrête pour faire le plein d’essence. Celle-ci va se poser trois questions : «Combien d’argent pourrais-je gagner en partant sans payer?», «Quelle est la probabilité que je sois pris sur le fait?» et «Qu’est-ce que je risque au juste si je suis pris?». En fonction des réponses données à ces interrogations, la personne volera la station-service ou passera à la caisse. Elle cherchera à maximiser ses intérêts.

Ainsi, toute comparaison avantages-désavantages permet de découvrir que trois forces peuvent nous inciter à commettre des actes plus ou moins malhonnêtes :

- Quand les avantages sont supérieurs aux désavantages;

- Quand la probabilité d’être pris sur le fait est faible;

- Quand la punition est peu dissuasive.

Mais cette vision théorique oublie un facteur primordial : l’aspect psychologique de la malhonnêteté. Diverses études montrent que, comme nous évoluons tous en société, nous nous imprégnions des valeurs de celles-ci et évaluons sans cesse notre comportement en fonction de celles-ci. Ces valeurs nous servent de «points de comparaison». Se conformer à ceux-ci nous procure du bien-être, et inversement, ne pas les respecter nous met plus ou moins mal à l’aise.

Un tiraillement perpétuel entre le bien et le mal

Une preuve de l’existence de ce mécanisme moral provient de récentes études sur l’imagerie du cerveau. Quand on fait du bien autour de soi, cela active les mêmes circuits neuronaux que ceux du bien-être procuré par, disons, un aliment que l’on aime ou la boisson que l’on préfère.

Quand on applique tout cela à la notion d’honnêteté, on peut avancer l’idée que lorsqu’on est honnête, on se fait du bien à soi-même. Cela agit comme une récompense que l’on s’auto-attribue automatiquement. D’où notre tendance à être plus souvent honnête que malhonnête, et à faire le maximum pour préserver cet aspect de notre personnalité.

Mais voilà, nous sommes en permanence tiraillés entre deux motivations distinctes : engranger facilement des gains grâce à une tricherie et préserver la perception que l’on a de soi. En gros, si l’on triche, on pourra certes gagner ce que l’on souhaite, mais ce sera toujours au détriment de l’estime que l’on a de soi. Et si l’on décide de suivre une voie plus vertueuse, on ne gagnera rien, si ce n’est la fierté d’être resté intègre en dépit d’une forte tentation. Cela s’apparente à une situation «perdre ou gagner», l’un excluant l’autre.

Comment résolvons-nous quotidiennement ce dilemme? En trouvant un équilibre entre le bien et le mal, de manière à tirer certains avantages matériels ou financiers d’une situation, mais sans que cela ne nuise trop à notre estime de soi, selon l’hypothèse émise par mes collègues - Dan Ariely, professeur à la Fuqua School of Business de Duke, et On Amir, professeur adjoint en marketing à la Rady School of Business de l’Université de San Diego - et moi-même. Il existerait ainsi une «échelle de gravité» de la malhonnêteté à l’intérieur de laquelle nous nous sentons à l’aise de tricher, sans endommager notre moi psychologique. Cette échelle serait composée de deux éléments : la catégorisation et l’attention portée aux normes.

1. La catégorisation

Nous avons une façon très personnelle de percevoir certains types d’actes malhonnêtes, et de les justifier à nos yeux. En fait, nous cherchons à minimiser leur gravité. Cela nous permet de les commettre sans que notre cerveau ne nous envoie les signaux négatifs généralement associés à tout geste malhonnête. Résultat : notre estime de soi n’en est presque pas affectée.

Comment ce mécanisme fonctionne-t-il? À l’aide de deux caractéristiques : notre souplesse face à la malhonnêteté ; et les limites que nous fixons entre le bien et le mal.

Ainsi, nous nous montrons souples face à certains types de comportement. À titre d’exemple, nous savons tous intuitivement qu’il nous est plus facile de «voler» un stylo valant 10 cents à un ami que de prendre 10 cents dans son porte-monnaie pour acheter ensuite un stylo. C’est que le premier scénario est le moins susceptible de nuire à l’amitié que l’on a avec la personne volée (cet ami m’a déjà pris un stylo, c’est à ça que servent les amis, etc.).

Nous catégorisons donc toujours nos actes. Si nous parvenons à ranger un acte malhonnête dans la catégorie des comportements pas si dérangeants que cela, alors il nous est facile de passer à l’action. Et plus notre catégorisation est souple, plus nous aurons tendance à commettre des gestes incorrects.

Cela étant, il y a des limites à cette sorte de souplesse. D’après nos recherches, il est possible d’étirer la notion de vérité ou d’honnêteté, mais pas de manière infinie. Passées les limites (relatives à chacun de nous), nos codes moraux nous rattrapent et reprennent le dessus.

2. L’attention portée aux normes

Cette notion fait référence à la théorie de Shelley Duval et de Robert Wicklund sur la conscience de soi objective, ainsi qu’au concept d’inconscience d’Ellen Langer. Elle stipule que lorsque nous respectons nos propres normes morales, toute effraction à celles-ci nuit à notres estime de soi. En conséquence, plus nos normes morales sont élevées, plus on aura conscience de faire quelque chose de mal quand on entreprend une mauvaise action et plus il nous sera difficile, en bout de ligne, d’agir malhonnêtement. Et la réciproque est tout aussi vraie.

En somme, notre attitude va dépendre de deux facteurs principaux : l’influence du monde extérieur (normes sociales, le regard des autres, etc.) et celui du monde intérieur (estime de soi, etc.). Ceux-ci agissent de telle sorte que :

- La malhonnêteté augmente à mesure qu’on porte moins d’attention à ses propres normes morales;

- La malhonnêteté augmente à mesure que la catégorisation devient plus souple;

- Si on leur en donne la possibilité, les personnes seront malhonnêtes jusqu’à un certain point, tant que cela n’affecte pas leur estime de soi.

La tentation «modérée» de tricher

Comment prouver une telle hypothèse? C’est ce que je me suis attachée de faire avec l’aide de Ariely et d’On Amir. Nous avons mené des expériences à cet effet, où les participants étaient payés en fonction de leur résultat à des questionnaires. Dans certains cas, les participants étaient surveillés, dans d’autres, non. Dans tous les cas, la possibilité de tricher était offerte. Résultat : ceux qui avaient l’occasion de tricher l’ont fait.

Après six expériences impliquant un total de 791 participants qui ont eu l’occasion de tricher, seulement 5 personnes (0,6%) ont triché le plus qu’il était possible de faire. En fait, la grande majorité des tricheurs ne l’ont fait que «modérément». Pourquoi? On présume qu’ils ont pesé le pour et le contre, et tenu compte en particulier de l’impact sur leur estime de soi, ce qui les a empêché de tricher sans retenue.

Les conséquences de cette démonstration pour l’univers de l’entreprise sont multiples. Par exemple, les efforts récurrents des compagnies pour détecter les actes malhonnêtes commis par les employés – notamment la malhonnêteté dite rationnelle – est un vain travail, car de tels gestes ne sont généralement pas commis de manière rationnelle.

L’idéal est par conséquent de parvenir à faire en sorte que les employés portent davantage attention à leurs propres normes morales et à celles en vigueur dans l’entreprise et qu’ils soient de moins en moins souples par rapport à celles-ci. Reste maintenant à chaque entreprise d’adapter cette démarche à elle-même, ce qui n’est pas une mince affaire car l’être humain a facilement tendance à tricher (Qui n’a jamais cherché à gonfler sa réclamation d’assurance? Qui n’a jamais menti dans sa déclaration de revenus? Etc.).

Nina Mazar est professeure adjointe en marketing à la Rotman School of Management.

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Adapté de :

Rotman Magazine

Publication de la Rotman School of Management de l'Université de Toronto, Rotman Magazine paraît trois fois par an. Son ambition : «Apprendre aux gestionnaires à façonner le monde à leur façon».

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