L'organisation en mutation

Publié le 01/07/2011 à 10:11, mis à jour le 08/07/2011 à 10:12

L'organisation en mutation

Publié le 01/07/2011 à 10:11, mis à jour le 08/07/2011 à 10:12

Par Premium

Économie responsable, postmodernité, monde polycentrique, quête d’éthique, économie de l’immatériel et prédominance des villes… Ces six dynamiques conditionneront (très) bientôt les entreprises, qui seront contraintes de se transformer, voire de se réinventer. Comment envisager l’avenir des organisations ? Voici de passionnantes pistes de réflexion.

 BIENVENUE dans un monde postmoderne, multipolaire, responsable, urbain, éthique et en réseau », lancent d’entrée de jeu Xavier Hochet et André-Benoit De Jaegere, les coauteurs de l’ouvrage Triggers : Transformer l’entreprise pour prendre un temps d’avance (Odile Jacob, juin 2010). Par un habile exercice de prospective, ils décrivent les profondes mutations qui influenceront inéluctablement les entreprises, en exposant en détail en quoi elles iront jusqu’à modifier leurs raisons d’être que sont la création de valeur et le sens du partage.

De nos jours, diriger, c’est transformer. À preuve, dans une étude européenne de TNS Sofres* menée en 2009, 82 % des 300 dirigeants interrogés estiment que les transformations ont pris une importance capitale dans le monde des affaires — et donc dans leur propre emploi du temps —, et qu’en fait les programmes de transformation des entreprises font dorénavant partie intégrante des responsabilités des dirigeants. Cela dit, avec la crise financière de 2008-2009, la nature même des préoccupations des dirigeants a changé. Ainsi, plus des deux tiers des répondants ont affirmé que les restructurations organisationnelles ont été 2,5 fois plus nombreuses en 2009 que ne l’annonçaient les prévisions de 2006 ! Sans compter que les programmes d’optimisation de la chaîne de valeur et les programmes transversaux d’amélioration des performances ne cessent de se multiplier.###

Tous ces changements sont liés à une logique de crise — crise dont on ne connaît ni la durée ni l’importance, et face à laquelle les entreprises tentent de survivre en diminuant les coûts, en réduisant le personnel et en rationalisant les processus. Or, en dépit des bouleversements qu’ils impliquent, ces gestes — aussi essentiels à la survie soient-ils — ne sont en réalité que des mesures de gestion courante, mises en place pour préserver les entreprises en attendant des jours meilleurs. Plus grave encore, cette voie crée une illusion rassurante qui repose sur l’idée dangereuse qu’avec la reprise, tout redeviendra comme avant. Or, transformer la dynamique au sein d’une entreprise est une nécessité vitale qui va bien au-delà du resserrement des boulons en temps de crise. Car gérer une crise n’est en rien transformer en profondeur une organisation.

Se réinventer ou périr

Fait intéressant, cinq des dix plus grandes faillites qu’ont connues les États-Unis se sont produites entre janvier 2008 et juillet 2009. Qu’est-ce qui a fait sombrer ces entreprises ? Tout simplement le fait « de n’avoir pas perçu à temps qu’elles étaient devenues inadaptées, en dissonance avec un monde où ce qui avait fait leur puissance (leur taille, leur modèle économique, leurs choix technologiques et organisationnels, leurs innovations financières…) avait cessé d’être valide », avancent Xavier Hochet et André-Benoit De Jaegere dans leur livre Triggers : Transformer l’entreprise pour prendre un temps d’avance. Cette vision synthétisée a le mérite de faire poindre l’idée qu’il est peut-être « inutile de dépenser son énergie à consolider des positions construites sur des fondations qui ne tiennent plus ».

En 1989 déjà, Rosabeth Moss Kanter expliquait aux dirigeants d’entreprise que, dans un environnement constamment instable, ils devaient porter leurs efforts ailleurs que sur le renforcement des fortifications traditionnelles de leurs organisations. Mieux, elle désignait déjà l’agilité comme les seules aptitudes qui pourraient permettre aux entreprises de rester à flot face aux transformations qu’elles devraient subir. Mais une transformation n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas non plus une série d’efforts pour s’adapter à un monde en mutation. C’est une réflexion qui doit s’inscrire dans la durée.

Savoir décider

L’une des leçons à tirer de la récente crise économique est que les entreprises gagnantes seront celles qui sauront se différencier par la rapidité décisionnelle de leurs dirigeants, par la maîtrise des moyens qui les rendent efficaces en temps voulu et par la gestion proactive des transformations mises en place. Autrement dit, la décision de transformer est stratégique, et elle ne doit donc pas être occultée par des décisions à court terme de restructuration. Un processus structuré de prise de décisions est, contrairement à une idée pourtant répandue, le meilleur moyen de gagner du temps et de canaliser la créativité d’une organisation. « Les choix pertinents de transformations […] résultent d’un processus construit et maîtrisé, intégrant l’ensemble des contraintes pour aboutir à la meilleure solution : celle qui crée l’adhésion, celle qu’on a collectivement le désir de mettre en œuvre parce qu’elle est porteuse de sens et d’avenir », font valoir les coauteurs.<

Six mutations déterminantes

Croissance responsable, postmodernité, monde polycentrique, quête d’éthique, valeur de l’immatériel et prédominance des villes… Xavier Hochet et André-Benoit De Jaegere ont défini six mutations que les entreprises ne peuvent ignorer, et qu’elles doivent aussi — et surtout — comprendre et intégrer au plus profond des réflexions et des transformations sur lesquelles elles se fondent.

1. L’économie responsable. Aujourd’hui, il faut viser la croissance tout en respectant, voire en protégeant, l’environnement, qui est déjà à bout de souffle. Or, comment faire face à l’augmentation du coût de l’énergie et à la généralisation de politiques environnementales contraignantes ? Pour devenir responsables, les entreprises doivent entièrement repenser leurs modèles opérationnels. Ainsi, économiser, c’est déjà agir ; et transformer son écosystème — tout en restant rentable — est une autre voie. Mais il faut faire plus encore : reconsidérer son offre et son marché, prévoir les futures normes et oser revoir son modèle d’affaires sont devenu indispensables. Par exemple, la création de valeur est déjà examinée sous l’angle du marché du carbone, un phénomène impensable il y a à peine dix ans.

2. La postmodernité. Le passé ne rallie guère, et l’avenir n’est plus aussi prometteur en raison des profondes incertitudes qu’il suscite. La postmodernité, étant dans ce contexte l’éclatement des références temporelles et locales, transforme les marchés, les consommateurs et les modes de pensée et d’action, et elle brouille toutes les habitudes de conception et de commercialisation. Les règles anciennes sont chamboulées. Résultat ? Le travail devient créatif, la raison fait aussi appel aux sens, et le progrès change de visage. Enfin, l’individu, autrefois défini par un rôle unique — employé ou dirigeant, par exemple —, devient aujourd’hui pluriel : client, collaborateur, actionnaire, partenaire. Autant de changements qui forcent les entreprises à se repenser face à un avenir de plus en plus proche.

3. Un monde polycentrique. L’Occident n’occupe plus le centre du monde. En fait, il n’y a plus de centre — ou, plutôt, il y en a plusieurs. Ainsi, les auteurs parlent de huit centres, qui coexisteraient, chacun avec ses systèmes de solidarité, sociologiques, écologiques, économiques, philosophiques et religieux : les États-Unis, l’Amérique latine, l’Europe, la Russie (étendue), l’Inde, l’Asie chinoise (comprenant le Japon), l’Afrique/Moyen-Orient et, enfin, « l’ensemble perse ».

Par ailleurs, les pauvres et la classe moyenne constituent de multiples marchés de masse, parfois imprévisibles et très exigeants, avec lesquels il faut dorénavant compter. En conséquence, les entreprises strictement axées sur les résultats et sur les services doivent délaisser les organigrammes qu’elles reproduisent à l’identique dans tous les pays où elles s’implantent, pour laisser libre cours à l’agilité organisationnelle et managériale.

4. La quête d’éthique. Entre droit et devoir, l’éthique est devenue une nécessité. Pour être en accord avec le monde, les entreprises doivent se comporter selon de nouvelles règles — dont la plupart restent à inventer — pour concilier réalisme économique, stratégie de développement et responsabilités. L’éthique uniquement encadrée par la loi ne suffit pas à faire des entreprises de véritables parties prenantes de la société, parce que celle-ci ne se satisfait plus de l’ancienne règle du « ne pas nuire » ; aujourd’hui, il faut « construire ». Les entreprises doivent donc se tourner vers une éthique qui repose sur des valeurs partagées et plus universelles. Exit l’éternel dilemme du dirigeant tiraillé entre l’éthique et les intérêts de l’entreprise, une contradiction inconfortable ne pouvant qu’être néfaste à long terme. De plus en plus, il faut affirmer que, dorénavant, la solidarité passe par de nouveaux partages des valeurs et du sens, des richesses comme des risques.

5. La valeur de l’immatériel. Nous nous dirigeons de plus en plus vers une économie de l’immatériel. Par conséquent, le défi des entreprises est de dépasser l’ancienne vision industrielle, pour ne conserver que leurs véritables richesses, qu’il s’agisse de leurs droits de propriété intellectuelle, de leurs marques et de la qualité de leurs relations avec la clientèle. Dans l’ère de l’immédiateté immatérielle et des réseaux, ce que produit une entreprise est de plus en plus virtuel (l’utilité de Twitter, le rêve de liberté d’Apple, la porte d’accès sur le monde qu’est Google, etc.), et la valeur de l’intangible s’appuie sur la gestion de la libre circulation des idées et de l’intelligence.

Comment, pour une entreprise, prendre part à un monde virtuel quand ses racines bien ancrées sont matérielles ? En suscitant le « désir de contribuer », largement facilité par les nouvelles technologies. Mais les entreprises ne peuvent plus revendiquer l’intelligence collective, qu’elles utilisent et à laquelle elles contribuent, comme leur propriété ; elles doivent donc se questionner sur la manière de gérer, de partager et de diffuser cette intelligence.

6. La prédominance des villes. Les humains vivent aujourd’hui dans les villes : c’est sans contredit devenu la norme, à la suite d’une révolution qui a mis fin au premier épisode de la vie des êtres humains sur la Terre. Or, l’émergence des villes tentaculaires accentue des problèmes urbains séculaires, tels le désordre ou l’incohérence entre la mégapole d’aujourd’hui et la cité traditionnelle. Parallèlement à cette révolution, la multipolarité des villes remet en cause les stratégies d’implantation des entreprises. En effet, des villes « globales » poussent sur tous les continents, rivalisant d’ingéniosité pour attirer les entreprises et les compétences et multipliant les accords de coopération, sans égard bien souvent aux États dont elles font partie. Dans leur lutte de localisation, les entreprises deviennent des partenaires de facto des villes, l’idéal en cette matière étant le modèle économique de la Silicon Valley.

Lynda Gratton

Comment travaillerons-nous en 2025 ?

D’après l’article «Lynda Gratton Investigates the Future of Work », paru dans Business Strategy Review, à l’automne de 2010.

La spécialiste en gestion Lynda Gratton a mené pendant deux ans une vaste étude auprès de 21 grands groupes internationaux et plus de 200 leaders. L’objectif : cerner les principales évolutions à prévoir et avec lesquelles nous devrons compter pour faire en sorte d’être satisfaits de notre vie professionnelle en 2025.

« Le travail a toujours été un des aspects les plus déterminants de nos vies. Nous y rencontrons nos amis, nous faisons des choses stimulantes, nous nous sentons créatifs et innovants. Et nous pouvons également y faire l’expérience de la frustration, de l’exaspération et du manque de considération », écrit Lynda Gratton. L’avenir du travail est l’une des questions les plus importantes que se posent aujourd’hui les individus, quel que soit leur âge. Car les bases de la notion de travail (aller travailler au même endroit cinq jours par semaine, à la même heure, pour y faire à peu près la même chose pendant toute notre vie active) sont aujourd’hui profondément ébranlées. Outre les grandes mutations qui expliquent ces bouleversements et qui vont dans le sens de celles dont parlent les auteurs de Triggers, Lynda Gratton indique quatre contraintes majeures dont les entreprises ont tout intérêt à se libérer pour tirer profit des promesses de l’avenir.

Quatre contraintes qui pèsent sur les organisations

1. Le poids du secret La montée des réseaux sociaux et l’importance de plus en plus grande que prend le travail collaboratif laissent de moins en moins de place à la confidentialité.

Défi : Entretenir une véritable culture de la transparence (en ce qui concerne à la fois les activités et les résultats des entreprises) et de l’authenticité, en privilégiant la prise de décisions partagée.

2. La dispersion des équipes L’émergence du télétravail et du travail en réseau entraîne la création d’équipes qui réunissent des personnes vivant parfois très loin les unes des autres.

Défi : Instaurer un pilotage efficace de ces équipes et leur fournir des outils de communication et de gestion ad hoc (plateformes de travail, intranet, vidéoconférences, etc.) qui tiennent compte des différents fuseaux horaires et de la disponibilité de chacun.

3. Le cloisonnement organisationnel

La valeur d’une organisation se mesure de plus en plus à l’aune de son capital social et immatériel, lequel est essentiellement constitué des réseaux et des relations qui se tissent au sein des services et des équipes, en phase avec l’écosystème de l’entreprise.

Défi : Créer les conditions nécessaires au partage de la réflexion stratégique avec tous les membres de l’organisation, de même qu’avec un nombre grandissant de parties prenantes (les clients, les partenaires, le grand public, voire les concurrents).

4. Le manque de souplesse

La sclérose organisationnelle handicape fortement les entreprises désireuses de joindre un marché globalisé. La capacité d’offrir un service continu, en accord avec les soubresauts du marché, est donc une compétence clé pour les organisations.

Défi : Ce besoin d’agilité s’accompagne de modi-fications en profondeur dans l’organisation, avec la généralisation du télétravail, des emplois à temps partiel et des horaires souples.

Préparer l’avenir dès maintenant

À la lumière de ces transformations, les dirigeants devront-ils endosser des responsabilités supplémentaires, acquérir de nouvelles compétences, modifier leur mode de travail, voire leur style de vie ? « Oui, absolument, affirme Lynda Gratton. Car ce ne sont pas seulement nos conditions de travail au quotidien qui seront amenées à changer du tout au tout, mais aussi la perception et la compréhension que nous avons de notre travail. C’est une transformation équivalente à celle qu’ont vécue nos ancêtres au début de l’ère industrielle. »

Selon l’auteure, trois valeurs qu’on croyait fermement établies seront sérieusement remises en question : la polyvalence, la compétitivité et le statut social. Ainsi, les généralistes aujourd’hui recherchés pour leur grande polyvalence risquent d’avoir du mal à se tenir au-dessus du lot, parce que « des millions de personnes pourront faire la même chose qu’eux, mais plus vite, moins cher et peut-être mieux ». La solution ? Devenir une personne-ressource en maîtrisant un sujet en profondeur… tout en se montrant capable de changer d’expertise plusieurs fois en cours de carrière, afin de s’intégrer aux réseaux qui comptent.

En restant trop axés sur la compétitivité, nous risquons de tomber dans le piège de l’ambition, voire de l’égocentrisme, une valeur qui chutera au profit de la sensibilité collective. Nous nous assurerons une place enviable en jumelant expertise et « connectivité » au sein de notre secteur d’activité : « Notre travail quotidien et toute notre carrière seront de plus en plus déterminés par ceux avec qui nous choisirons de nous relier et ceux avec qui ces personnes sont elles-mêmes en relation », explique l’experte.

Quant au statut social, la donne change rapidement. Le but à atteindre s’exprimera moins sur le plan de la quantité (d’argent, d’avoirs, de récompenses, d’amis sur Facebook, etc.) que sur celui de la qualité d’expérience. En aiguisant notre expertise et notre facilité à nous connecter, nous pourrons mettre à profit de nouvelles conditions de travail, de nombreuses relations enrichissantes et de multiples choix de trajectoires pour enfin, comme le conclut Lynda Gratton, « renouer avec ce qui nous rend heureux ». Vivement 2025 !

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