Le risque de stagflation augmente, mais une reprise des années 1970 est peu probable

Publié le 03/06/2022 à 14:46

Le risque de stagflation augmente, mais une reprise des années 1970 est peu probable

Publié le 03/06/2022 à 14:46

Par La Presse Canadienne

«Ce sera très modeste par rapport à ce que nous avons vu dans les années 1970 et 1980.» (Photo: La Presse Canadienne)

Avec une croissance économique en perte de vitesse et une inflation qui demeure obstinément élevée, le Canada semble se diriger vers une nouvelle période de stagflation, dont le dernier épisode remonte aux années 1970, observent des économistes.

Le mélange anormal de hausses des prix et de taux de chômage élevé avait marqué l’imagination collective du pays il y a une quarantaine d’années. Les chocs d’approvisionnement avaient fait grimper en flèche les coûts de l’énergie, les taux d’intérêt avaient atteint des sommets dévastateurs et le chômage était endémique.

Aujourd’hui, certains experts soulignent que les conditions sont réunies pour un retour de ce phénomène économique.

«Je dirais que l’année prochaine, nous envisageons une récession dans ce pays, qui, combinée à une inflation soutenue, pourrait se traduire par une stagflation», note Armine Yalnizyan, économiste et membre de la Atkinson Foundation.

«Nous ne pouvons pas esquiver les forces mondiales qui pointent vers la récession (…), la question est de savoir si l’augmentation des taux d’intérêt ralentira l’inflation.»

Mais ce retour de la stagflation pourrait présenter une version plus douce de cette anomalie économique.

«Je ne pense pas qu’il soit irréaliste de s’attendre à voir un monde où l’inflation et le chômage augmenteront», estime Fred Bergman, analyste principal des politiques au Conseil économique des provinces de l’Atlantique, un groupe de réflexion économique indépendant établi à Halifax.

«Nous pourrions voir ces deux (éléments) grimper ensemble, ce qui est rare. Mais ce sera très modeste par rapport à ce que nous avons vu dans les années 1970 et 1980.»

L’énigme de la stagflation

L’augmentation simultanée de l’inflation et du chômage a déconcerté les économistes et les décideurs dans les années 1970.

N’importe quel cours d’économie 101 dirait que les problèmes macroéconomiques de l’inflation et du chômage ont une relation inverse. Qu’une forte inflation se produit pendant les périodes de faible chômage, et vice versa.

La stagflation renverse cette théorie en associant une inflation élevée à une augmentation du chômage et à un ralentissement de la croissance.

Sa résolution est une énigme. Les leviers utilisés pour lutter contre l’inflation pourraient ralentir l’économie et faire grimper le chômage, tandis que les efforts pour stimuler la croissance économique pourraient alimenter la hausse des prix.

«Cela crée un peu un bourbier pour les responsables politiques, note Fred Bergman. Lorsque la relation inverse entre le chômage et l’inflation est inversée, cela conduit à une dichotomie politique.»

Le défi auquel fait face la Banque du Canada est d’augmenter suffisamment les taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation sans déclencher une récession.

Dans un geste sans précédent, la banque centrale a relevé mercredi son taux directeur pour la deuxième fois en deux mois, portant son taux directeur à 1,5 %.

Mais personne ne sait pas si cela suffira à tempérer l’inflation.

Absence des «aspects stagnants»

L’inflation annuelle a atteint 6,8 % en avril, ce qui représentait la plus rapide hausse des prix à la consommation d’une année à l’autre en plus de trois décennies.

Trouver le niveau idéal pour les taux d’intérêt est compliqué par le fait qu’il existe un effet de décalage entre les taux plus élevés et l’influence sur les dépenses de consommation et l’investissement des entreprises.

«Ils marchent sur un fil de fer et c’est un peu un exercice d’équilibre, illustre Fred Bergman. Nous allons voir l’économie ralentir et (…) nous pourrions nous retrouver près de la frontière d’une récession.»

Dans un discours prononcé le mois dernier, le sous-gouverneur de la Banque du Canada Toni Gravelle a affirmé que les comparaisons entre l’accélération actuelle de l’inflation et la période de stagflation des années 1970 n’étaient pas justifiées.

«On ne voit pas les aspects stagnants de la stagflation, bien au contraire, a-t-il affirmé. Beaucoup de mesures indiquent que l’économie canadienne tourne à plein régime.»

Alors que des taux d’intérêt plus élevés réduiront la demande et ralentiront la croissance, ils devraient également réduire l’inflation _ en réduisant la composante inflationniste de la stagflation, a-t-il expliqué.

Le problème, c’est que ce n’est peut-être pas le cas, répondent des économistes.

Certains facteurs qui poussent les prix à la hausse au Canada devraient persister malgré les hausses de taux d’intérêt.

«Il existe d’autres forces qui pourraient maintenir l’inflation à un niveau élevé, même si l’économie ralentit», prévient Nicolas Vincent, professeur d’économie à HEC Montréal.

«Nous continuons d’être touchés par des chocs
d’approvisionnement.»

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, les confinements contre la COVID-19 en Chine et les retards des chaînes d’approvisionnement alimentent tous les hausses de prix.

Ces situations risquent de perdurer.

«L’invasion de l’Ukraine et l’expérience de la Chine garantissent que nous devrons attendre au moins une autre année avant que les pressions sur les prix commencent à se dissiper», estime Armine Yalnizyan.

«Les outils les plus simples que nous ayons dans notre boîte à outils sont les politiques des banques centrales, qui elles-mêmes ralentiront la croissance, mais elles risquent d’aggraver la situation et non de l’améliorer (…) c’est un exercice sur la corde raide.»

Le problème de la stagflation qui a commencé dans les années 1970 n’a pris fin qu’au début des années 1980, lorsque la Banque du Canada a relevé les taux d’intérêt au point où le taux préférentiel a grimpé au-dessus de 20 %, a souligné le Conference Board du Canada dans une analyse récente.

«L’inflation et les anticipations d’inflation ont fini par plonger, mais cela s’est fait au coût d’une récession brutale qui a vu le taux de chômage atteindre 12 % au début des années 1980», a rappelé le Conference Board dans son rapport de mars.

En d’autres termes, le remède utilisé pour corriger l’inflation pourrait causer presque autant de problèmes dans d’autres domaines.

Creux record du taux de chômage

Pourtant, plusieurs conditions sont aujourd’hui différentes de celles des années 1970 et pourraient aider le Canada à éviter la stagflation.

Le taux de chômage au Canada a reculé à un creux record de 5,2 % en avril, a indiqué Statistique Canada le mois dernier.

La robustesse du marché du travail et la pénurie de main-d’œuvre persistante dans plusieurs industries à travers le pays contrastent fortement avec le taux de chômage élevé enregistré lorsque les baby-boomers étaient jeunes il y a quatre décennies.

«Le marché du travail est vraiment actif», souligne William Robson, président et chef de la direction de l’Institut C.D. Howe, un groupe de recherche établi à Toronto.

«Il y a des parallèles avec les années 1970, mais notre taux de chômage est bien meilleur.»

La démographie et le vieillissement de la population contribueront également à maintenir le chômage à distance, estime-t-il.

Le Canada pourrait profiter de la hausse continue des prix des produits de base, ce qui pourrait même générer un excédent commercial plus élevé.

En outre, le pays est moins fortement syndiqué, et moins d’indemnités compensatrices du coût de la vie sont intégrées dans les conventions collectives et les contrats.

«Dans le passé, les travailleurs essayaient de rattraper les hausses de prix, sinon ils perdraient du pouvoir d’achat, explique Armine Yalnizyan. Cela avait conduit à une spirale prix-salaires où l’un continuait à alimenter l’autre.»

 

 

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