Gilles Julien: « Je suis un entrepreneur social »

Publié le 15/04/2009 à 00:00

Gilles Julien: « Je suis un entrepreneur social »

Publié le 15/04/2009 à 00:00

Par Pierre Théroux
Au premier coup d’œil, on croit entrer dans une clinique de pédiatrie banale. Des dessins d’enfants ornent les murs, des mobiles sont suspendus au plafond, et des livres, jeux et autres Monsieur Patate jonchent les tables.

Mais l’homme qui nous accueille en a fait un lieu unique. Car Gilles Julien, considéré comme le père de la pédiatrie sociale au Québec, est un pionnier qui lutte différemment contre la pauvreté, la délinquance, le décrochage scolaire, l’exclusion et les sévices envers les enfants.

Ce qui l’a amené à implanter le Centre Assistance d’enfants en difficulté dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. Une initiative qui a fait boule de neige avec la mise sur pied du Centre de services préventifs à l’enfance, dans le quartier Côte-des-Neiges, et l’ouverture prochaine de cinq autres centres du genre ailleurs au Québec. Gilles Julien rêve même de voir ce réseau s’étendre dans tout le pays.

L’influence de ce grand défenseur des droits des enfants rayonne aussi auprès d’organismes internationaux et de centres médicaux et universitaires qui n’hésitent pas à faire appel à son expertise. Depuis deux ans, des dizaines d’étudiants en pédiatrie effectuent des stages en sa compagnie afin de mieux connaître cette nouvelle approche. Et, ensuite, de la propager.

Journal Les Affaires – Comment passe- t-on de pédiatre à pédiatre social ?
Gilles Julien – J’ai d’abord exercé à l’hôpital et dans des cliniques pour réaliser que je n’avais pas choisi la pédiatrie pour ça. Je m’ennuyais. Quand on est jeune, on veut toujours changer le monde. J’ai donc changé de cap pour trouver un nouveau type de pratique, unique, qui répondrait à mes aspirations et à mes rêves.

JLA – En vous installant dans des quartiers montréalais plus défavorisés ?
G.J. – Dans ces quartiers, un enfant sur trois ou quatre n’est pas prêt à entrer à l’école pour diverses raisons. Cela entraîne des risques de décrochage. Il faut concevoir des services adaptés à leurs besoins, mais aussi à leur culture. L’essence de la pédiatrie sociale, c’est la proximité. C’est important de s’installer dans une communauté, d’en faire partie. Il faut créer des lieux accueillants où les gens se sentent comme chez eux, sont à l’aise de parler franchement.

Quand on travaille avec des enfants qui vivent des difficultés importantes, ou des populations vulnérables, ce genre de proximité nous donne la crédibilité pour agir, pour soutenir. On fait partie de la famille élargie. Ils nous avisent quand ça va mal, mais nous invitent aussi quand il y a des baptêmes, des anniversaires, des mariages.

JLA – Les deux centres, Hochelaga-Maisonneuve et Côte-des-Neiges, sont-ils différents ?
G.J. – Ils ont des couleurs différentes, mais la même approche. Dans Hochelaga, on voit des enfants qui vivent de grandes souffrances et, par conséquent, des troubles du développement ou d’apprentissage, de la délinquance, du décrochage. Dans Côte-des-Neiges, il y a une population immigrée récemment, présentant des problèmes de langue, d’intégration. Des familles sont arrivées ici à titre de réfugiés, dans des situations de traumatisme de guerre, ce qui crée une méfiance naturelle envers le système.

Pour une famille immigrante, à la culture différente, c’est plus difficile de confier les enfants à des garderies. On ne leur dit pas que l’une ou l’autre des cultures est meilleure. On n’impose pas de vision, c’est un partage qui permet de créer des affinités autour du développement des enfants.

JLA – Le développement de la pédiatrie sociale passe-t-il uniquement par ce genre de centres, ou peut-il se faire dans le système institutionnel actuel ?
G.J. – La pédiatrie sociale peut se pratiquer à l’hôpital, dans un CLSC ou ailleurs. Mais elle implique une approche plus globale et non purement médicale. Le temps passé à l’évaluation des causes profondes et à la mobilisation des familles est très rentable à moyen et long termes. Un pédiatre qui voit 50 enfants par jour doit se concentrer sur le problème physique.

Mais un enfant qui a pris cinq fois des antibiotiques pour des problèmes respiratoires, ça coûte cher et on ne s’est pas attaqué à la cause, peut-être reliée à un problème de moisissures dans le logement. Il faut se donner le temps, 30 minutes, trois quarts d’heure ou une heure et demie. Ça permet de cibler les vrais enjeux, les vrais besoins.

JLA – C’est le message que vous transmettez aux étudiants en stage avec vous ?
G.J. – Les études, c’est très scientifique. On oublie souvent le côté humain. Un enfant qui a un déficit d’attention, c’est facile de lui donner du Ritalin, mais l’impact à l’école, à la maison, sur le sommeil, l’appétit, il faut être là pour le voir. Pour faire un diagnostic d’un enfant qui a un trouble de comportement, j’ai l’information de l’enseignante, qui vient souvent me voir avec l’enfant; on fait un suivi. Je dis aux étudiants de ne pas oublier pourquoi ils étudient en médecine : parce qu’ils ont une mission, le goût de faire quelque chose d’humain. La médecine, c’est pas juste une science, c’est surtout un art.

JLA – Avez-vous conscience de l’influence que vous exercez dans la société ?
G.J. – Oui, mais c’est un rôle qui me dépasse. L’impact populaire, médiatique et politique est impressionnant. C’est signe que je suis sur une bonne voie, mais ça donne un peu le vertige, ça crée des attentes énormes. Dans mon album des finissants, un étudiant a écrit que je serais le Albert Schweitzer du Québec. Si un jour, on associe Gilles Julien à un changement au Québec pour améliorer le sort des enfants... Il ne faut rien tenir pour acquis, toujours se questionner. Je me demande souvent si les bases sont assez solides, si ça va durer. Il faut innover pour que ça continue.

JLA – Comme un entrepreneur ?
G.J. – J’ai découvert tout récemment que j’étais un entrepreneur, un entrepreneur social, quand j’ai été nommé Fellow par l’organisme Ashoka [un réseau mondial d’entrepreneurs sociaux]. J’ai été surpris, mais si je regarde mon parcours, c’est effectivement delui d’un d’entrepreneur, mais qui vise le profit social. Comme le milieu des affaires, nous sommes totalement dans l’innovation, pour de meilleurs bénéfices pour les enfants.

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