L'aérospatiale, la carte cachée du Japon

Publié le 26/03/2011 à 00:00, mis à jour le 25/06/2019 à 13:03

L'aérospatiale, la carte cachée du Japon

Publié le 26/03/2011 à 00:00, mis à jour le 25/06/2019 à 13:03

Photo: Bloomberg

Des usines de Toyota fermées. La production au ralenti chez Nikon et Canon. Le Japon industriel est à genoux après la catastrophe qui a frappé le nord-est du pays, le 11 mars dernier. Mais le secteur aérospatial, lui, a bien résisté. Et il continue de préparer son entrée dans l'arène internationale. Une nouvelle menace pour Bombardier.

De simple sous-traitant, équipementier ou fournisseur de composantes pour les aéronefs d'autres puissances aéronautiques qu'il est actuellement, le Japon veut désormais concevoir, fabriquer et commercialiser ses propres avions commerciaux, Made in Japan.

Une telle intention menace toutes les entreprises de ce domaine, comme Boeing aux États-Unis, Airbus en France et Bombardier au Canada. Des entreprises qui, au fil des attributions de contrats de sous-traitance, ont contribué à la naissance de ce nouveau concurrent nippon. " Nous le savions il y a déjà vingt ans, dit un ancien haut dirigeant de Bombardier Aéronautique désireux de taire son identité. Mais ce n'est que relativement récemment que les dirigeants japonais ont fini par avouer ouvertement leur véritable ambition. "

La fierté de Honda : un avion

Cette ambition reçoit non seulement l'appui des autorités gouvernementales en place, mais aussi la participation active de géants de l'industrie manufacturière japonaise, a pu constater Les Affaires dans les jours précédents le séisme. Les multinationales Toyota, Mitsubishi et Honda, entre autres, sont déterminées à se tailler une place de choix dans la construction d'avions commerciaux.

Cela arrive à point nommé pour le Japon, alors que l'industrie militaire n'est plus ce qu'elle était et que l'industrie automobile multiplie les fermetures ou les délocalisations dans des pays à moindre coûts, confirme Akinobu Okuda, chef consultant en gestion et spécialiste de l'industrie aéronautique du Mitsubishi Research Institute, de Tokyo. Des centaines de sous-traitants qui subissent aujourd'hui faillites et chômage se cherchent une nouvelle industrie à servir.

Déjà, Honda a lancé son Honda Jet, un avion ultraléger à l'intention des gens d'affaires, dont l'entrée en service est prévue pour 2012. À Tokyo, la mégapole nippone de 30 millions d'habitants, les concessionnaires Honda exposent la maquette de ce futur aéronef aux côtés de ses voitures. À l'évidence, s'il ne vole pas encore, l'appareil fait déjà la fierté de l'entreprise.

Toyota aussi investit le secteur

De son fief de Nagoya, à plus de 200 km de Tokyo, Toyota Motor est aussi impliquée dans le secteur par l'intermédiaire d'Aero Asahi, un gestionnaire de flottes d'hélicoptères, et d'AirFlite Japan, un gestionnaire d'aéroports. Elle possède 10 % des actions de Mitsubishi Aircrafts, la filiale aéronautique de Mitsubishi Heavy Industries (MHI).

Cet important conglomérat industriel, déjà actif dans une multitude de domaines, dont la construction navale, l'automobile et la fabrication de centrales énergétiques, est une des quatre entreprises à former l'ossature de l'industrie aéronautique nippone, avec Fuji Heavy Industries (FHI), Kawasaki (KHI) et Ishikawajima (IHI). Toutes sont impliquées d'une manière ou d'une autre dans les programmes de construction des deux géants de l'heure, les Boeing B787 et Airbus A380.

Son intention avouée : concevoir, fabriquer et commercialiser le Mitsubishi Regional Jet (MRJ), un nouvel avion régional de 70 à 96 sièges, déjà assuré de concurrencer les derniers nés des jets régionaux de Bombardier, les fameux Canadair Regional Jets (CRJ). Une famille d'avions que Mitsubishi connaît très bien, pour avoir jusqu'à récemment, été un des principaux partenaires de fabrication...

Tout le pays derrière Mitsubishi

Son premier vol n'est prévu que pour 2012 et sa première livraison, que pour 2014. Mais déjà, l'ensemble de l'industrie nipponne suit les différentes étapes de développement de ce futur appareil, avec une fierté mal contenue.

Le directeur général des programmes d'avions commerciaux de FHI, Yoshitaka Nagamine, avoue par exemple qu'il lui est déjà arrivé de prêter de ses ingénieurs à Mitsubishi, d'ordinaire un concurrent, histoire de prêter main forte à l'équipe de développement du MRJ.

" Toute l'industrie japonaise est derrière Mitsubishi dans ce projet. Tout le monde souhaite qu'elle réussisse afin que son succès serve ensuite à l'ensemble de notre pays ", résume Seiichiro Ikegami, directeur général de Japan Aircraft Development Corporation (JADC), impliquée dans divers projets de conversions d'appareils militaires à des fins civiles. Qu'on pense au XC-2, que Kawasaki tente de convertir en avion de transport de fret, par exemple, ou au US-2, un avion de rescousse que ShinMaywa Industries tente de commercialiser comme avion amphibie.

" Pour le Japon, le succès du MRJ est un impératif, soutient Randy Summers, un Canadien d'origine, devenu responsable du développement économique d'Hiroshima, de plus en plus engagé dans la filière aéronautique. Tout a été mis en place pour que ce programme soit un succès. Pour le Japon, il en va de l'image et de la réputation internationale du pays. "

Détrôner des géants

Aux prises avec de graves problèmes économiques et le vieillissement de sa population, le Japon se cherche une nouvelle direction. " Notre objectif est de devenir aussi puissant dans l'industrie aéronautique que nous avons réussi à le devenir dans l'industrie automobile ", affirmait sans ambages à Les Affaires, il y a deux semaines, Hidetsugu Horikawa, associé principal de JADC.

Au cours d'une rare interview à son siège de Nagoya, le président de Mitsubishi Aircraft, Hideo Egawa, abondait dans le même sens, dans les jours précédant le séisme, ne laissant planer aucun mystère sur les intentions de Mitsubishi et du Japon. " La fabrication d'avions régionaux n'est qu'une étape ", assure-t-il.

Des visées qui ont de quoi inquiéter l'univers tranquille, souvent duopolistique, des traditionnels grands donneurs d'ordre de l'industrie civile (Airbus et Boeing pour les grands ; Bombardier et Embraer pour les petits). Nul n'ignore en effet avec quelle efficacité le Japon, complètement ravagé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, a su se relever pour se tailler une place de premier plan dans un secteur où des General Motors et Chrysler se croyaient autrefois hors d'atteinte.

Ce reportage a été réalisé grâce à la Bourse Québec-Japon, décernée à Martin Jolicoeur par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, le Foreign Press Center of Japan et le ministère des Relations internationales du Québec.

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