Leaders, gare au fléau invisible de l'injustice!

Publié le 03/08/2018 à 06:09

Leaders, gare au fléau invisible de l'injustice!

Publié le 03/08/2018 à 06:09

Être témoin d'une injustice au travail peut totalement démoraliser... Photo: DR

Avez-vous déjà été témoin d’une injustice au travail ? Par exemple, avez-vous vu un – ou plusieurs – collègue faire ses cartons en dépit du fait qu’il était totalement compétent («La conjoncture économique, vous comprenez…», lui a-t-on glissé) ? Ou encore, une autre se faire refuser une promotion pour une raison vaseuse («Nous avons besoin de quelqu’un d’une extrême flexibilité, vous comprenez…», lui a-t-on dit) alors que la vérité vraie était, on le sait bien, toute autre («Impossible de confier ces responsabilités-là à une mère de famille de trois enfants, voyons donc !», a-t-on pensé très fort dans son dos)?

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Oui ? Je l’imagine sans difficulté. Maintenant, le plus intéressant, c’est de savoir comment vous avez alors réagi… Avez-vous courbé l’échine, sans rien dire ? Êtes-vous, au contraire, monté au créneau, même si vous saviez que cela était vain ? Et au fond de vous-même, vos tripes se sont-elles nouées ? Au point, peut-être même, d’affecter votre performance au travail?

Eh bien, il se trouve que j’ai la réponse à toutes ces interrogations existentielles. Et, mieux encore, celles-ci sont si riches d’enseignements sur le plan managérial que je vais me faire un plaisir de les partager avec vous de ce pas.

Cette étude est intitulée Indirekte Effekte von als unfair wahrgenommenem Arbeitgeberverhalten auf die Produktivität von Beschäftigen et est signée par Sabrina Jeworrek, chercheuse en comportement organisationnel et en succès d’affaires à l’Institut de recherche économique de Halle (Allemagne). Regardons ça ensemble…

Pour les besoins de l’expérience, 195 personnes ont été recrutées par un centre d’appels. Il leur a été expliqué qu’il leur faudrait donner un coup de main aux employés en poste pendant une journée entière, laquelle serait composée de deux quarts de travail d’une durée de trois heures et demie chacun, avec une longue pause entre chacun d’eux, bien entendu. Autrement dit, il allait leur falloir travailler fort et longtemps toute une journée, mais avec une bonne rémunération à la clé (liée en partie, je le souligne, à la performance).

Ce que les participants ne savaient pas, c’est qu’ils seraient répartis d’emblée dans trois groupes distincts :

– Groupe 1 : Aucun imprévu. Les membres de ce groupe feraient leur journée de travail sans qu’aucun imprévu ne survienne.

– Groupe 2 : De curieuses disparitions. Lors de la pause, 20% des membres de ce groupe seraient amenés à part et… renvoyés chez eux. En fait, il leur sera dit qu’il seraient normalement payés pour toute la journée, sans avoir à faire le second quart de travail. Mais surtout, il ne sera rien dit aux 80% autres quant à ces «curieuses disparitions».

– Groupe 3 : Un licenciement injuste. Lors de la pause, 20% des membres de ce groupe seraient remerciés exactement comme pour le groupe 2. Seule différence : les 80% autres se feraient expliquer au tout début du second quart de travail qu’il s’agissait là d’un licenciement sec, avec les mots suivants : «Nous avons décidé de licencier certains de vos collègues. L’objectif est de réduire nos coûts afin de ne pas dépasser notre budget. À noter que la sélection des personnes concernées à été faite au hasard.»

On le voit bien, l’idée était de regarder si l’annonce d’un licenciement a priori injuste avait le moindre impact sur ceux qui avaient échappé au couperet. Résultats ? Les voici sans fard:

> Des disparitions sans aucun impact particulier. Lors du second quart de travail, la productivité des membres du groupe 2 a diminué de 6,77%. Or, celle des membres du groupe 1 a, elle, reculé de 6,56%. En conséquence, la simple disparition inexpliquée de 20% des membres du groupe n’a eu aucun impact particulier sur la performance des employés.

> Un licenciement dévastateur. En ce qui concerne le groupe 3, la productivité de ceux qui sont demeurés en poste a dégringolé de 17,05% lors du second quart de travail : ils se sont carrément montrés «lents et négligents» (ex. : le nombre d’appels a fondu de 12%). Autrement dit, l’annonce du licenciement injuste a littéralement sapé le moral des employés restants, au point de nuire à leur performance au travail.

Ça saute donc aux yeux, l’injustice est un véritable fléau invisible au bureau. Car c’est bien de cela dont il s’agit : la seule différence entre le groupe 2 et le groupe 3, au fond, c’était le traitement injuste dont ont été victimes les employés remerciés. Le sort a décidé de qui restait et de qui devait partir, et rien que cela a noué les tripes des survivants, au point de les empêcher de continuer de donner leur 110%.

Voilà donc pourquoi, le jour où vous avez assisté à une flagrante injustice au travail, vos jambes se sont mises à flageller et votre motivation, à vaciller. C’était là une réaction tout à fait normale. L’injustice nous mine, tout simplement.

Le hic, c’est que les managers et autres RH n’ont pas vraiment conscience de l’ampleur de ce phénomène. L’étude ne laisse aucun doute à ce sujet : Mme Jeworrek a en effet demandé à plusieurs dizaines de responsables des ressources humaines d’anticiper l’impact qu’aurait l’annonce du licenciement sur la productivité des survivants, et il se trouve que…

– 40% d’entre eux ont sous-estimé l’impact que celle-ci aurait sur eux, certains ayant même supposé – à tort, bien entendu – que cela… boosterait leur productivité ;

– les autres (60%) ont cru que l’annonce les démolirait complètement, au point même, pour certains, qu’ils ne finiraient pas leur second quart de travail.

Autrement dit, les RH interrogés ont soit grossièrement sous-estimé, soit grossièrement sur-estimé l’impact de l’annonce de licenciement. Et ce, parce qu’aucun d’entre eux n’avait saisi que la décision prise était fondamentalement injuste et que c’était bien là ce qui aurait un large impact sur le moral des employés. Oui, parce qu’aucun d’entre eux n’avait compris que l’injustice managériale présentait «un coût majeur».

Que retenir de tout cela ? Ceci, du moins pour le leader que vous êtes ou qui sommeille en vous :

> Qui entend briller en tant que leader se doit de veiller à ne jamais se montrer injuste. Chaque fois qu’il lui faut prendre une décision épineuse, il doit faire l’effort de se demander s’il y a une part d’injustice dans le choix qu’il s’apprête à faire ; et le cas échéant, corriger le tir, voire carrément faire un autre choix. Pourquoi ? Parce que l’injustice est un fléau aussi invisible que terrible, à même de saper le moral de tous les employés, et par suite, leur productivité. Oui, parce qu’il lui faut apprendre à être juste dans ses prises de décision, une dimension du leadership encore trop souvent inusitée.

En passant, l’écrivain français Georges Bernanos a dit dans Les Grands cimetières sous la lune : «Le spectacle de l’injustice m’accable, mais c’est probablement parce qu’il éveille en moi la conscience de la part d’injustice dont je suis capable».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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