Mooney: La grande rotation

Publié le 10/06/2013 à 09:17, mis à jour le 10/06/2013 à 10:30

Mooney: La grande rotation

Publié le 10/06/2013 à 09:17, mis à jour le 10/06/2013 à 10:30

[Photo : Bloomberg]

BLOGUE. Les experts et les stratèges financiers appelent cela la grande rotation. Mais on pourrait tout autant l’appeler la grande crainte.

En termes concrets, bien des investisseurs craignent au plus haut point le moment où les taux d’intérêt, autant au Canada qu’aux États-Unis, se mettront à grimper. Et il faut dire que cela fait du sens : après 30 ans de baisses qui ont mené à des taux historiquement très bas, près de zéro en fait, il est logique de craindre le renversement de cette tendance.

On appelle cela la grande rotation parce qu’on craint ce qui arrivera lorsque les investisseurs vendront leurs obligations pour acheter d’autres catégories d’actif.

Cette grande rotation est une idée valable, mais trop précoce pour être utile. En fait, la grande rotation est déjà commencée et elle ne touche pas du tout les obligations. Pour la comprendre, il faut prendre un certain recul, jusqu’en 1998. À ce moment, le capital mondial se dirigeait aveuglément vers le marché américain attiré par les multinationales telles General Electric, Pfizer, etc. et aussi par les titres évoluant dans le grand secteur technologique et Internet.

Car voyez-vous, ces segments de marché avaient offert des rendements exceptionnels lors des années précédentes et étaient vus comme lucratifs et sans risque.

On sait ce qui est arrivé : la bulle techno a explosé à partir de 2000 provoquant une récession. Ce fut le signal de départ pour tout ce capital vers d’autres cieux plus cléments. Le capital s’est dirigé vers les ressources naturelles et des marchés émergents, avec comme leader la Chine. En 2008, au sommet de cette tendance, bien des investisseurs, autant institutionnels qu’individuels, étaient convaincus qu’ils avaient trouvé la pierre philosophale boursière pour faire de l’argent à coup sûr et facilement.

Jusqu’à la récession et à la crise financière de 2007-09.

À partir de ce moment, le capital a recherché la sécurité avant tout, ce qui concrètement a signifié les obligations gouvernementales et, petit à petit, les actions les plus faciles à transiger et considérées comme comportant le moins de risque, comme celles des très grandes capitalisations américaines.

Nous voici donc au milieu de 2013 et, surprise, l’indice S&P 500 a surperformé la plupart des autres marchés depuis cinq ans, évidence que l’argent se dirige encore vers les États-Unis, aux dépens de bien d’autres marchés et catégories d’actif (dont le marché boursier canadien).

Vous me direz que c’est donc le temps que ça change. En théorie peut-être, mais en pratique c’est exactement le contraire. En effet, mettez-vous dans la peau d’un membre d’un conseil dirigeant une importante caisse de retraite au début de 2009. À ce moment, vous discutiez votre répartition d’actif et un original a proposé d’augmenter la proportion consacrée aux actions américaines.

La réaction ne s’est pas faite attendre : «vous être malade! Ce fut le pire marché depuis 2000 et en plus, les États-Unis sont en pleine crise dont il faudra des années à émerger», s’est-il fait crier à la tête.

La décision unanime du conseil a été plutôt d’augmenter la proportion consacrée aux marchés émergents et aux ressources naturelles. Après tout, tout le monde sait que c’est l’avenir!

Lors d’une semblable réunion en juillet 2013, le discours sera fort différent. Les défenseurs des marchés émergents et des ressources seront à court d’argument. Et la tentation, que dis-je, l’impératif institutionnel, fera en sorte que le conseil décidera d’augmenter la proportion consacrée aux actions américaines.

Ce qui signifie que dans la vraie vie financière, les chances sont bonnes pour que cette grande rotation vers les actions américaines se poursuivent encore quelques années.

Bernard Mooney

 

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