L'innovation ouverte, c'est le nouveau paradigme du développement de produits. Sa prémisse est la suivante : pour innover, les entreprises ne peuvent plus se contenter de leur propre R-D interne. Elles doivent aussi se tourner vers l'extérieur : partenaires, clients, fournisseurs, universités ou autres entreprises innovantes sont mis à contribution. Et tout comme elles auront accès à la R-D réalisée par d'autres, elles devront en retour leur donner accès à leurs propres technologies.
« L'image que j'utilise est celle d'un entonnoir troué », explique Henry Chesbrough dans son allocution aux membres de l'Association de la recherche industrielle du Québec (ADRIQ), début juin à Montréal. « Les technologies y entrent et en ressortent à différentes étapes du développement d'un produit. »
Directeur du Center for Open Innovation de l'Université de Berkeley, en Californie, M. Chesbrough est considéré comme le père de l'innovation ouverte.
Selon lui, les entreprises qui intègrent l'innovation ouverte dans la gestion de leur portefeuille de produits sont susceptibles de mieux traverser la récession.
« Cela vous permet de réduire vos coûts de R-D en les partageant avec d'autres acteurs de la chaîne de valeur, de convertir vos coûts fixes en coûts variables, de mieux exploiter votre propriété intellectuelle en générant des revenus même avec les technologies qui ne sont pas prioritaires pour vous et, finalement, de nourrir votre écosystème [chaîne de valeur]. »
Mais attention : l'innovation ouverte ne doit pas être vue comme de l'impartition. Elle implique quand même des coûts. Et surtout : un changement de culture, ajoute M. Chesbrough.
Apple, Microsoft et Procter & Gamble
Même s'il commence à se répandre au Québec, le système d'innovation ouverte (SIO) n'est pas nouveau. Ainsi, 80 % de la technologie utilisée par Microsoft vient de l'extérieur de l'entreprise. Chez Apple, l'exemple le plus probant est celui du iPod : cette innovation résulte non pas d'une invention à l'interne, mais de l'intégration de technologies existantes (dont le format de compression MP3 et une puce développée sous contrat par l'entreprise de semi-conducteurs PortalPlayer).
L'un des plus grands champions de l'innovation ouverte est Procter & Gamble. « En 2000, P&G a heurté un mur, raconte M. Chesbrough. L'entreprise ne développait plus de nouvelles marques. Le nouveau pdg, Alan Lafley, a entrepris de brancher son service de la R-D sur l'extérieur en lançant un nouveau processus appelé Connect & Develop [C-D, plutôt que R-D]. En 2002, la moitié des innovations de P&G ne venaient pas de l'interne. »
Le président de P&G croit tellement au SIO qu'il a coécrit un livre sur le sujet, The Game-Changer: How You Can Drive Revenue and Profi t Growth with Innovation.
Autre exemple : Phillips, qui vient d'opérer un virage stratégique vers le domaine de la santé. Comme elle ne voulait pas repartir à zéro, elle a mis sur pied un centre de recherche conjoint avec d'autres entreprises et des universités. Alors que son ancien centre comptait 1 500 chercheurs, le nouveau, qui regroupe 75 entreprises partenaires, en emploie plus de 5 500. Certains droits de propriété intellectuelle sont exclusifs à Phillips, d'autres sont partagés.
BP vient de faire la même chose en investissant 50 millions de dollars dans la recherche sur des énergies de substitution au pétrole en partenariat avec l'Université de Berkeley. Grâce à l'Energy Bioscience Institute, BP a rapidement accès à tout ce qui se fait de nouveau et de mieux dans le domaine des énergies renouvelables.
Chambardement et résistance
La mise en place d'un SIO représente des changements organisationnels importants. Chez P&G, on a nommé un responsable pour gérer les relations avec les partenaires en R-D et créé un modèle juridique.
M. Chesbrough conseille d'ailleurs faire participer les avocats très tôt dans le processus. Car évidemment, ces échanges de propriété intellectuelle soulèvent une foule de questions et?. une certaine résistance. « De la part des avocats, mais aussi des chercheurs et des divisions ellesmêmes qui se sentent menacées », dit-il. Et il faut baliser le domaine de l'innovation ouverte pour éviter les conflits de paternité sur une technologie qui peuvent mener à des poursuites (par exemple, Research In Motion a réglé à l'amiable un différend avec une entreprise américaine qui l'accusait d'avoir volé sa technologie).
« Il ne s'agit plus seulement de savoir jouer aux échecs, mais de savoir jouer au poker », dit M. Chesbrough. À ce jeu, on peut gagner avec deux paires, si l'adversaire n'a pas mieux.
Les six tactiques de l'innovation ouverte
1 Devenez le client
Mettez-vous dans la peau du client plutôt que de penser uniquement comme un développeur de produits.
2 Exploitez toutes vos technologies
Les technologies dont le développement a été abandonné pourront servir à d'autres pour développer des produits dans un secteur qui ne vous fera pas concurrence.
Selon M. Chesbrough, les entreprises utilisent à peine de 10 à 30 % de leurs éléments de propriété intellectuelle. Il veut mieux les partager que de les laisser dormir, dit-il.
3 Achetez les modules dont vous avez besoin
Achetez les entreprises qui peuvent vous servir à innover dans votre domaine ou les droits sur des technologies qu'elles ont développées.
4 Créez des domaines publics
Partagez vos idées, vos problématiques ou votre propriété intellectuelle avec l'extérieur, dans des conférences publiques, des colloques, des publications scientifiques et les médias.
C'est ce que la pharmaceutique Merck a fait lorsqu'elle a découvert des marqueurs génétiques. Plutôt que de les breveter, elle a donné ses résultats de recherche à des universitaires qui les ont publiés. En remettant ces marqueurs dans le domaine public, Merck a évité des coûts de brevets et neutralisé les menaces concurrentielles.
5 Partagez vos technologies non stratégiques
Toujours selon le principe de la réciprocité...
6 Traitez vos employés sortants comme de futurs associés
Il est fort possible que vous ayez à travailler avec eux de nouveau. S.D.
suzanne.dansereau@transcontinental.ca
