«Le PIB est un concept du 20e siècle qui ne nous rend plus heureux» - Umair Haque, économiste

Publié le 17/12/2011 à 00:00

«Le PIB est un concept du 20e siècle qui ne nous rend plus heureux» - Umair Haque, économiste

Publié le 17/12/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Consultant, auteur et blogueur sur le site de la Harvard Business Review, Umair Haque figure sur la liste des 50 penseurs en management les plus influents du monde. Inquiet du fait que la prospérité a atteint un cul-de-sac, l'économiste prône une réforme du système capitaliste. Une réforme dans laquelle les pays émergents ont une longueur d'avance sur l'Occident.

DIANE BÉRARD - Sur votre profil Twitter, vous vous décrivez comme un réformiste. Que voulez-vous réformer ?

UMAIR HAQUE - Mon premier livre, The New Capitalist Manifesto, portait sur la microéconomie. Comment améliorer les organisations et les marchés. Mon second ouvrage, Betterness, se penche sur la création d'un monde meilleur. Cette fois, il est question de repenser les institutions pour réformer l'économie mondiale.

D.B. - Êtes-vous un radical ?

U.H. - On me traite souvent de radical, mais je ne me perçois pas ainsi. Les institutions nous laissent tomber les unes après les autres (les gouvernements, les banques, les entreprises, les universités). Or, toute société a besoin d'institutions. Contribuer à les réinventer alors qu'elles dérivent me semble bien plus pragmatique que radical.

D.B. - La réforme la plus importante que vous prônez est celle du PIB. Pourquoi ?

U.H. - Le PIB est une des plus grandes inventions américaines du 20e siècle. Il a été créé en 1930 pour permettre au gouvernement des États-Unis de comprendre pourquoi la récession s'étirait et de mesurer les niveaux de consommation, d'investissements, etc. S'il fut utile à l'époque, il ne tient plus la route au 21e siècle. Nous sommes prisonniers d'une définition de la prospérité qui ne nous rend plus heureux. Je me trouve présentement dans le lobby d'un hôtel. Si je casse les bras de tous les clients, ils iront à l'hôpital. Du coup, je créerais une activité économique qui serait comptabilisée dans le PIB. Poussé à l'extrême, voilà ce qu'est devenue notre façon de mesurer la prospérité.

D.B. - L'Inde et la Chine revoient présentement leur définition du PIB. Expliquez-nous comment.

U.H. - L'Inde publiera bientôt un PIB «vert». Si elle y parvient, cela constituera un énorme bond en avant. Imaginez qu'elle se mette à fabriquer des produits propres et durables ; des autos, par exemple. Ses exportations vont grimper en flèche. Elle gagnera un avantage considérable sur les autres pays. Quant à la Chine, depuis le dernier trimestre, elle publie pour chaque province un PIB qui tient compte du concept de qualité plutôt que de quantité uniquement. Si, par exemple, une province connaît une croissance phénoménale, mais que son niveau de pollution augmente, cela se reflète négativement dans son PIB. En revoyant leur définition du PIB, l'Inde et la Chine redéfinissent aussi les paramètres de la prospérité. Il s'agit d'un changement majeur.

D.B. - Une réforme du PIB aura-t-elle lieu en Occident ?

U.H. - Il faudra bien, il en va de notre prospérité future. Pour l'instant, nous sommes les champions de la création de valeur fragile [thin value]. Regardez les emplois que l'on crée. Ils se trouvent dans le commerce de détail et dans l'administration ; ils offrent peu de sécurité d'emploi, d'avantages sociaux ou de possibilités d'avancement. Pourtant, ils viennent gonfler les statistiques et nous donnent une fausse impression de croissance.

D.B. - Le mouvement Occupons jouera-t-il un rôle dans cette réforme ? Existera-t-il toujours en 2012 ?

U.H. - Le mouvement Occupons n'est qu'une partie d'un mouvement plus vaste que j'ai nommé «Métamouvement». Ce mouvement mondial s'avère bien plus important qu'on le croit. Il s'incarne de différentes manières : mouvement Occupons, printemps arabe, lutte contre la corruption en Inde, émeutes londoniennes... Mais, il vise le même but : rebâtir les institutions politiques et économiques, afin qu'elles cessent de laisser des groupes entiers de côté. En 2012, le Métamouvement gagnera en importance et en intensité.

D.B. - On attend toujours les demandes formelles des protestataires. Viendront-elles ?

U.H. - On sent en effet plus de frustration que d'organisation. Le mouvement Occupons pourrait s'inspirer de Luke Skywalker, le héros de Star Wars. Celui-ci s'est retiré pour s'entraîner auprès de Yoda et revenir en force par la suite. 2012 devrait être l'année du retrait pour le mouvement «Occupons». Depuis sa création, les membres ont émis plusieurs requêtes contradictoires. Ils doivent maintenant élaborer une vision.

D.B. - Comment cette vague de protestations se conclura-t-elle ?

U.H. - J'entrevois trois scénarios. L'optimiste : le Métamouvement force les gouvernements à amorcer des réformes institutionnelles. Il y aura toutefois un prix à payer, celui d'une décennie perdue avant le retour à la prospérité. Le scénario neutre : les manifestations continuent, les institutions font du surplace. C'est le cul-de-sac. Le pessimiste : nous entamons une période de déclin. La société prend des airs de Moyen Âge avec un certain retour du féodalisme et à une société encore plus stratifiée.

D.B. - Le retour à la prospérité tarde à venir. Que suggérez-vous ?

U.H. - Allons-y d'une transformation extrême (extreme makeover) en six étapes. D'abord, se désintoxiquer de tout ce qui rappelle l'ère industrielle pour joindre l'ère postindustrielle. Puis, retirer une couche de maquillage pour calculer notre véritable prospérité avec un PIB revu et corrigé. Couper les cartes de crédit. Se muscler le cerveau et celui des futures générations. Soigner son image : toutes les institutions, des entreprises aux gouvernements, doivent apprendre la transparence et l'imputabilité. Et, pour finir, se mettre à la diète en simplifiant le régime de taxation. Si ça nuit aux citoyens ou que c'est inutile à la société, on taxe ; si les citoyens en tirent avantage, que c'est utile à la société, on ne taxe pas.

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«En 2012, le Métamouvement [dont fait partie le mouvement Occupons et celui des indignés] gagnera en importance et en intensité.»

LE CONTEXTE

L'année 2011 fut marquée par de nombreuses protestations d'un bout à l'autre de la planète. S'agit-il d'un faux départ ou d'un vrai début ? Umair Haque, économiste-penseur-activiste dans la trentaine, offre des éléments de réponse fort pertinents.

SAVIEZ-VOUS QUE...

Umair Haque a étudié en neurosciences à l'Université McGill.

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