«Pourquoi donc me suis-je fait «ghoster»?»

Publié le 02/05/2024 à 07:26

«Pourquoi donc me suis-je fait «ghoster»?»

Publié le 02/05/2024 à 07:26

Par Olivier Schmouker

Quand un candidat intéressant ne se présente pas à un entretien d'embauche, cela fait un choc. (Photo: Kraken Images pour Unsplash)

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Q. – «Je suis encore sous le choc. Je me suis une nouvelle fois fait ghoster, c’est-à-dire que l’un des candidats pressentis pour le poste pour lequel nous recrutons ne s’est pas présenté à la rencontre finale, où il était prévu un petit test et un entretien. Comment les jeunes de la génération Z espèrent-ils trouver du travail avec une telle attitude?» – Léopold

R. – Cher Léopold, j’ignore les raisons exactes pour lesquelles les candidats dont vous parlez vous ont ghosté, mais laissez-moi vous parler d’un cas exemplaire qui est récemment survenu aux États-Unis. Celui-ci devrait vous intéresser au plus haut point, me semble-t-il…

Selon le magazine Fortune, le PDG d’une PME dont l’identité n’est pas dévoilée s’est plaint sur X de s’être fait ghosté. Plus précisément, il a déploré le fait que celui-ci ait refusé de passer un test de modélisation financière.

Le PDG a envoyé un courriel qui disait, en résumé: «J’ai vraiment apprécié notre dernière discussion. Je vous prie maintenant d’effectuer le test de modélisation financière que vous trouverez en pièce jointe. À partir du moment où vous ouvrirez le document, vous aurez très exactement 90 minutes pour me le retourner complété.»

Réponse du candidat: «Ça m’a l’air beaucoup de travail. Comme je ne sais pas où j’en suis exactement dans le processus d’embauche, je ne suis pas sûr de vouloir investir autant de temps et d’efforts pour ce test.»

Réponse du PDG: «Ah… Bon, eh bien maintenant, vous savez où vous en êtes!»

Fin de la discussion.

Sur X, le PDG a ajouté que «si un analyste ne parvient pas à passer ce test en 90 minutes, c’est qu’il n’est pas la bonne personne [pour le poste en question]». Il a indiqué au bimestriel américain que le test pouvait être aisément effectué en 60 minutes par quelqu’un de compétent et que de tels tests pré-embauche étaient monnaie courante dans l’industrie. Et qu’il ne comprenait décidément pas les membres de la génération Z, qui ne sont pas, selon lui, disposés à «faire le moindre effort».

Sans surprise, le tweet du PDG a suscité de vives réactions. Certains internautes ont dit juger normal d’avoir refusé d’effectuer un travail non rémunéré. «Si vous ne payez pas la personne pour le travail que vous lui demandez de faire, vous n'êtes pas un bon employeur», a lancé l’un d’eux. Le PDG a rétorqué que le test correspondait à analyser un cas fictif, pas à un cas réel, si bien qu’il ne s’agissait pas, à ses yeux, d’un travail non rémunéré: l’analyse ainsi effectuée n’apportait strictement rien à sa PME.

«Le candidat a raison, a dit un autre. Vous auriez dû compenser, sous une forme ou une autre, les 90 minutes de travail exigées dans votre processus d’embauche. D’autant plus qu’il n’a aucune idée du nombre de candidats qu’il reste, et donc de ses chances de l’emporter.» Là, le PDG a reconnu qu’il aurait «volontiers payé, et probablement embauché, le candidat si celui-ci lui avait plutôt répondu quelque chose du genre “Donnez-moi 1 000 dollars et j’analyserai ce document avec des détails incroyables”.»

D’autres, enfin, ont déploré sa «vision de baby-boomer» du travail et de la relève, en soulignant que tout bon employeur avait l’impératif, de nos jours, de «tenir compte du choc des valeurs» consécutif au fait que différentes générations se doivent de travailler de concert.

Qui a raison? Qui a tort? Pas facile de trancher de manière claire et nette. Mais ce qui ressort de tout ça, c’est qu’il y a une incompréhension manifeste entre les dirigeants d’entreprise, souvent des baby-boomers proches de la retraite, et les membres des jeunes générations, comme celle des Z, soit les 24 ans et moins selon Statistique Canada. Une incompréhension qui découle en grande partie, me semble-t-il, d’a priori véhiculés ici et là.

Par exemple, qui n’a pas déjà entendu dire que les Z sont «toujours en retard», qu’ils ont «toujours le nez collé au cellulaire», ou encore qu’ils ont «toujours des exigences extravagantes» comme d’avoir le droit de sauter une réunion importante pour aller au gym? Inversement, qui n’a pas déjà entendu dire que les boss baby-boomers ont «toujours un orgueil démesuré», qu’ils «ne font que commander et contrôler» sans jamais chercher à faire preuve d’empathie, ou encore qu’ils «ne comprennent jamais rien à la technologie»?

Résultat? Mine de rien, ces clichés finissent par faire leur bonhomme de chemin, et imprègnent les esprits au point de provoquer heurts et mésententes au sein des organisations, mais aussi lors des opérations de recrutement.

Aaron Terrazas est l’économiste en chef du site web d’évaluation des environnements de travail Glassdoor. Il a confié à Fortune un point intéressant: «Avec moins de boomers et plus de “zoomers” sur le lieu de travail, les employeurs sont à présent obligés de s’ajuster à la nouvelle donne managériale, en particulier aux nouvelles valeurs qui se mettent à prévaloir au sein des entreprises», a-t-il dit.

Que sont ces valeurs? Le cabinet-conseil en ressources humaines Randstad énumère les principales d’entre elles dans un récent livre blanc:

– Sécurité. Les Z ont grandi à une époque remplie de risques monumentaux (11-Septembre, pandémie de COVID-19, récessions à répétition, etc.) si bien que nombre d’entre eux chérissent la sécurité: par exemple, ils sont 36% à privilégier les emplois stables et traditionnels, comme le travail de bureau.

– Authenticité. Les Z sont enclins aux modèles de travail qui leur permettent d’exprimer le plein potentiel de leurs compétences clés, pour ne pas dire de s’épanouir sur les plans pro et perso. Cela se traduit par un goût prononcé pour, disons, le télétravail, le mode hybride, les horaires flexibles, voire les tenues de travail décontractées.

– Diversité. Elle est la norme pour les Z, contrairement aux boomers. Ainsi, un sondage du Pew Research Center a mis au jour le fait que chez notre voisin du Sud 48% des Z ne s’identifient pas comme de race blanche (de type Caucasien) alors que ce n’est le cas que pour 18% des boomers. Et on peut raisonnablement avancer que la tendance doit être grosso modo la même chez nous. Or, qui dit diversité dit nouvelles politiques managériales, à l’image de l’ÉDI (Équité, Diversité, Inclusion) qui est, selon 59% des Z, un incontournable pour les entreprises d’aujourd’hui et de demain.

– Éthique. Les Z tiennent à ce que leur travail soit bénéfique non seulement à l’organisation, mais aussi à l’écosystème dans lequel celle-ci évolue. Ils tiennent à avoir un apport positif à la société, et cela passe inévitablement par l’éthique, soit les critères moraux qui animent le quotidien des travailleurs.

Les experts de Randstad le soulignent: 80% des Z donnent la priorité aux emplois en adéquation avec leurs valeurs, alors que ce n’est le cas que pour 59% des Y (les 25-35 ans). Autrement dit, tout employeur qui entend recruter un Z se doit de porter une attention toute particulière aux valeurs en vigueur au sein de son organisation: si jamais celles-ci ne collent pas vraiment à celles des Z, eh bien, disons que ça part mal…

Voilà, Léopold. Je vous invite à réfléchir à la nouvelle donne managériale en cours, aux nouvelles valeurs qui gagnent en ampleur, à la probable adaptation qu’il va vous falloir envisager sous peu. Prenez un pas de recul et profitez-en pour voir les choses sous un tout nouvel angle. Je suis convaincu que cela vous permettra de vous faire ghoster moins souvent à l’avenir.

En passant, le chanteur français MC Solaar a dit dans «Le Bien, le mal»: «Pour aller de l’avant, il faut prendre du recul. Car prendre du recul, c’est prendre de l’élan».

 

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