Comment l'écosystème du capital risque se transformera après la crise

Publié le 31/10/2009 à 00:00

Comment l'écosystème du capital risque se transformera après la crise

Publié le 31/10/2009 à 00:00

Au lendemain de la crise financière, une cure minceur est inévitable dans le secteur du capital de risque.

" Il y aura moins de firmes, moins de financements et les sommes recueillies seront plus modestes dans les mois et les années à venir ", a prédit Terry McGuire, président de la North American Venture Capital Association, lors de la sixième Conférence de Québec, où près de 400 investisseurs institutionnels et dirigeants de fonds de capital risque et investissement se sont réunis les 19 et 20 octobre dernier.

Les sorties (c'est-à-dire le moment où l'investisseur se retire en empochant sa mise et sa plus value) se font rares et les multiples de rendement sont plus faibles - ce qui rendra les prochains financements plus difficiles. Résultat : moins d'entreprises technologiques innovantes seront financées. Même pour les firmes d'investissement qui disposent de beaucoup d'argent, les partenaires sont difficiles à trouver.

Selon les résultats compilés par Thomson Reuters, 2009 a été une année désastreuse pour le capital investissement. Et il faudra prévoir, en 2010, des rendements négatifs pour les investissements en capital risque effectués il y a 10 ans. Sur une période aussi longue, c'est chose rare dans ce secteur, qui est généralement payant à long terme.

" Les capitaux investis en 1999 ont affiché un bon rendement de 10,3 % sur un horizon de 10 ans. Mais pour les capitaux recueillis en 2000, on entrera en territoire négatif ", prévient Gemma Postlethwaite, de Thomson Financial et auteure d'une étude mondiale publiée lors de la Conférence.

Les gestionnaires de capital risque délaissés

Dans le but d'obtenir de meilleurs rendements, certains investisseurs institutionnels pourraient choisir d'investir directement dans des entreprises innovantes au lieu de le faire par l'intermédiaire de firmes de gestion d'investissement.

Elles créeraient ainsi leurs propres équipes qui suivraient de plus près l'évolution des entreprises soutenues. Cette éventualité est évoquée dans un récent rapport de la firme McKinsey, cité lors la Conférence.

Deux importants investisseurs institutionnels, le Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario (OMERS) et le fonds hollandais APG, ont d'ailleurs annoncé qu'ils procéderaient désormais par investissement direct. Bien entendu, leur déclaration d'intention a créé un malaise certain chez les gestionnaires de capital risque présents dans la salle. " On sert à quoi, nous ? " a demandé le directeur d'une société montréalaise spécialisée dans la gestion de capital de risque.

Mais cette nouvelle stratégie est-elle viable ? " Les investisseurs institutionnels sont de grosses machines avec des dizaines de milliards de dollars à gérer. J'ai du mal à croire qu'ils posséderont la culture d'entreprise nécessaires aux petits entrepreneurs à qui ils ont prêté 5 millions de dollars ", dit Tim Lee, président de GrowthWorks Capital, un fonds de capital de risque ontarien spécialisé dans les technologies propres.

Pour le pdg du fonds québécois Teralys, Jacques Bernier, ce n'est pas une bonne nouvelle. Il doit recueillir 125 millions de dollars d'ici deux ans auprès d'investisseurs institutionnels. " C'est à contre-courant de ce qui se fait dans le monde ", où les investisseurs institutionnels injectent des sommes dans des fonds de fonds gérés par les firmes d'investissement privées en capital risque, a-t-il fait valoir.

M. Bernier croit que la menace des investisseurs institutionnels s'adresse davantage aux spécialistes des acquisitions par emprunt (leveraged buyout). Ces derniers ont plusieurs reproches à se faire, car au cours des dernières années, ils se sont laissé emporter par la bulle immobilière, ont surendetté les entreprises qu'ils rachetaient et n'ont pas investi à long terme.

Des reproches qu'a acceptés du bout des lèvres le président du fonds d'investissement américain KKR, Henry Kravis, lors de son passage à la Conférence. " Nous sommes là pour le long terme ", a-t-il assuré, refusant par ailleurs de commenter les frais de gestion élevés que des firmes comme la sienne exigent des investisseurs institutionnels.

En plus des faibles rendements, ces derniers se plaignent en effet des frais que prélèvent les firmes comme KKR - annuellement, l'équivalent de 2 % de la somme investie, plus 20 % du rendement réalisé sur l'investissement. Quand le rendement n'est pas au rendez-vous - et c'est le cas ces temps-ci - le 2 % fait mal et le 80 % rapporte peu. Une des stratégies évoquées lors de la Conférence était de diminuer les frais fixes de 2 % et d'augmenter le partage des profits à 50 %.

Une gestion plus intelligente

Malgré la consolidation à venir, il ne faut pas tout voir en noir, ont plaidé plusieurs conférenciers. Les conditions difficiles inciteront tous les acteurs de l'écosystème du capital de risque à travailler de façon plus intelligente et limiteront la concurrence indue pour les entreprises financées.

" Les fonds d'investissement devront être plus fidèles à une trajectoire définie au lieu de dériver d'un secteur à l'autre comme ils l'ont fait ces dernières années ", note Terry McGuire. Ils devront aussi accepter de se diversifier géographiquement. Car de nouveaux acteurs comme la Chine et la Russie apparaissent sur l'échiquier mondial du capital risque. De plus, après une première décennie d'innovations technologiques liées à Internet, s'en vient une nouvelle période de découvertes encore plus rapides à mettre en marché. " Les innovations technologiques se multiplient à une vitesse fulgurante ", dit M. McGuire.

C'est également ce qu'a souligné Glenn Hutchins, cofondateur de la firme américaine d'investissement Silver Lake et économiste réputé, en parlant notamment du secteur de la mobilité. " Le capital de risque a fait ses preuves. C'est un accélérateur d'innovation. Son impact économique sur la création d'entreprises innovantes est réel et élevé. Et on le sait tous : c'est l'innovation qui va assurer notre croissance. "

Le dollar canadien valant maintenant près de 95 cents américains, " notre succès passe par l'innovation ", a renchéri Clément Gignac, ministre québécois du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, dans son allocution aux participants.

( REPÈRES )

Le capital investissement est un apport financier qui permet à un investisseur d'entrer au capital de sociétés qui ont besoin de capitaux propres. Le terme désigne généralement l'investissement dans des sociétés non cotées en Bourse (d'où son nom de private equity en anglais, par opposition à public).

Le capital investissement se décline sous plusieurs formes :

> Le capital risque, pour financer le démarrage de nouvelles entreprises;

> Le capital développement, pour appuyer la croissance de l'entreprise;

> Le capital transmission ou LBO (leveraged buyout), destiné à accompagner la transmission ou la cession de l'entreprise;

> Le capital retournement, pour aider au redressement d'une entreprise en difficulté.

58 %

Baisse des investissements en capital risque en 2009 par rapport à 2008.

Nombre de firmes d'investissement en capital risque dans le monde

en 2000

3 577

en 2009

1 861

Investissements privés en capital risque (en milliards de dollars)

en 2000

120

en 2009

36,8

70 %

Diminution des offres publiques d'achat (OPA) de 2007 à 2009

-24,4 %

Rendement des fonds de capital investissement de 2008 à 2009

Source : Thomson Reuters. octobre 2009

suzanne.dansereau@transcontinental.ca

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