«Le résultat est celui escompté, mais ça a été beaucoup plus ardu que je prévoyais»

Publié le 09/03/2013 à 00:00, mis à jour le 22/11/2013 à 15:21

«Le résultat est celui escompté, mais ça a été beaucoup plus ardu que je prévoyais»

Publié le 09/03/2013 à 00:00, mis à jour le 22/11/2013 à 15:21

Par Marie-Claude Morin

Martin Carrier [Photo : Gilles Delisle]

Quand Martin Carrier partage avec sa femme Corinne son rêve d'ouvrir un studio de jeux vidéo en 2008, il se fait rassurant. Les choses iront vite, au maximum trois mois. Et il le croit. «Finalement, ça a pris deux ans !» raconte le chef du studio montréalais de Warner Bros.

L'ancien vice-président d'Ubisoft a pourtant de très bonnes cartes en main lorsqu'il se met en tête d'attirer un acteur majeur dans la métropole. Son passage dans le groupe français, où il a été responsable des communications et des affaires de l'entreprise de 1998 à 2006, a étoffé son carnet d'adresses et bâti sa notoriété dans l'industrie. Il a aussi eu la chance de travailler à des projets majeurs, comme l'ouverture du studio de Québec et l'installation du Campus Ubisoft, en plus de participer à la croissance du studio de Montréal. Sans oublier que, puisque ses responsabilités d'alors incluaient les crédits d'impôt, il en connaît bien les rouages.

«J'étais passé à autre chose, mais toujours avec l'idée de continuer à bâtir l'industrie montréalaise et québécoise du jeu vidéo», explique le jeune quadragénaire, confortablement installé dans la salle de projection du studio de la Place Dupuis.

Dès le départ, M. Carrier décide d'approcher un grand acteur du divertissement plutôt qu'une entreprise spécialisée en jeux vidéo. Ce choix lui fournira, quelques mois plus tard, un argument auprès du gouvernement du Québec. «L'écosystème québécois est très fort, mais il est surtout composé d'entreprises qui ne font que du jeu vidéo. J'ai plaidé qu'il était nécessaire d'attirer un grand joueur d'Hollywood pour le solidifier.»

Il cible d'abord Disney, avec qui il a de nombreuses discussions. Le géant américain décline toutefois le projet après une visite à Montréal. Le refus de Disney coïncide à ce qui deviendra le «point tournant» du projet de Martin Carrier.

Au printemps 2008, Martin Tremblay accède à la tête de Warner Bros. Interactive Entertainment. Un ancien patron aussi bien placé, quelle chance ! Martin Carrier ne perd pas de temps et appelle l'ancien président du studio montréalais d'Ubisoft. Il va droit au but : il souhaite ouvrir un studio à Montréal. Est-ce que ça pourrait Tremblay ? Au bout du fil, la réponse est affirmative, mais tout n'est pas réglé pour autant. Loin de là !

Un allié québécois, une arme à deux tranchants

Martin Tremblay devient le «champion» du projet à Burbank, en Californie, mais il n'est pas question pour lui d'y perdre sa crédibilité. «Parce qu'il est Québécois, il devait d'autant plus justifier la pertinence d'ouvrir un studio à Montréal afin que ce ne soit pas perçu comme une fantaisie de sa part, mais plutôt comme une décision d'affaires.»

Tremblay est convaincu de l'expertise de Montréal, «mais c'est un homme d'affaires rigoureux». Il veut des arguments en béton pour convaincre la maison mère, y compris une offre concurrentielle du gouvernement du Québec. Or, Carrier découvre vite l'envers de la médaille à avoir un interlocuteur québécois : les gens pensent que l'installation d'un studio à Montréal est dans la poche !

Il met les bouchées doubles pour convaincre le gouvernement du Québec. Il décroche finalement des subventions totales de 17 à 20 millions de dollars sur cinq ans, dont une contribution non remboursable de 7,5 M$ de la part d'Investissement Québec, une première pour attirer un studio de jeu vidéo dans la métropole.

S'armer de patience

Au cours des mois qui suivent le coup de fil initial à Martin Tremblay, Carrier fait un autre constat : il est mieux de développer sa patience ! «Dans des projets d'envergure avec de gros acteurs, aucune décision ne se prend à la légère. Tout est calculé, et ça prend du temps.» Il a parlé avec Tremblay en avril 2008, mais ne le rencontre qu'en juillet. Il doit ensuite attendre le début de l'automne avant de décrocher un contrat de consultant qui lui permet d'être rémunéré pour le développement du projet.

Rapidement, M. Carrier découvre une philosophie assez différente de celle d'Ubisoft. Le groupe français, dont l'historique était assez récent, privilégiait une approche plutôt familiale. Chez Warner Bros., qui fêtera ses 90 ans cette année, les méthodes de travail sont beaucoup plus établies. «C'est très important pour Warner de bien ancrer la vision artistique et créative dans un plan d'affaires rigoureux.»

Le processus est beaucoup plus ardu que prévu et, surtout, très long. L'Abitibien d'origine décide de voir le bon côté des choses. Avec trois jeunes enfants, c'est une chance de passer autant de temps à la maison. Quand l'énergie baisse, il s'élance sur les pistes du parc Maisonneuve.

Les hauts et les bas sont nombreux, mais il rumine peu. «Il faut rester positif et voir chaque petite progression comme une petite victoire vers le fil d'arrivée.» Parfois, il songe quand même à tout laisser tomber, se disant que son rêve est peut-être inatteignable. «Mais j'étais entouré de gens qui y croyaient, au gouvernement comme chez Warner. Leur parler me redonnait un boost pour continuer.»

Une start-up devenue grande

Le plus gros obstacle, Martin Carrier ne le voit pas venir du tout. Et il n'a aucun contrôle dessus. Alors qu'il développe son projet, la crise financière gonfle, entraînant dans la tourmente nombre de studios de jeux vidéo. Autant de cibles d'acquisition alléchantes pour les groupes en santé. Warner, pour qui c'est dans l'ADN de croître par acquisitions, réalise une demi-douzaine de transactions en moins de trois ans.

L'intérêt pour l'ouverture d'un studio à Montréal en prend un coup. Surtout que «ce n'est pas dans les moeurs de la maison que de démarrer des unités de zéro». En fait, le siège social met carrément le projet de Martin Carrier sur la glace ! Ce dernier convainc cependant la responsable du dossier chez Warner, la collaboratrice de Martin Tremblay qui est maintenant sa patronne, de le laisser mener les rencontres déjà prévues avec le gouvernement. «Si ça fonctionne, lui ai-je dit, on redémarra le projet. Et c'est ce qui est arrivé !»

Le 1er juin 2010, il ouvre le coffre de sa voiture et remet des ordinateurs portables à trois collaborateurs. Il leur donne rendez-vous dans la salle de conférence d'un hôtel du Vieux-Montréal le lendemain. «Même si on était chez Warner Bros., on était vraiment une start-up... mais une start-up avec du bon financement», raconte-t-il en riant.

Les choses ont évolué depuis. Le studio compte maintenant 310 employés, des locaux de 66 000 pieds carrés et quelques jeux sur le marché, dont Batman: Arkham City - Armoured pour la Wii U et les jeux Cartoon Universe sur le Web.

Avec les très nombreuses marques de Warner Bros. qui pourraient se transformer en jeux vidéo populaires, Martin Carrier espère faire du studio montréalais une référence. «Tout en faisant rayonner Montréal de par le monde grâce à sa culture du jeu vidéo !»

Ce que ça a changé ?

«J'ai appris à faire confiance à mon instinct. Dans le doute, ironiquement, on se construit une confiance. Ça m'a convaincu que ça vaut la peine de croire à nos rêves, parce que ça peut arriver.»

Notre dossier sur lesaffaires.com

Visionnez des extraits de l'entrevue avec Martin Carrier et répondez à un sondage sur la prise de décision à lesaffaires.com/point-tournant

Le 22 mai prochain à Montréal, rencontrez Martin Carrier lors d'un petit-déjeuner réseautage animé par Marie-Claude Morin. Info : LesAffaires.com/ evenements

Une série présentée par LA COMPAGNIE AUTOMOBILE LINCOLN

Série 2 de 8

Dans cette série, des personnalités d'affaires nous racontent comment (et surtout pourquoi) elles ont osé prendre des décisions audacieuses.

marie-claude.morin@tc.tc

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