­Raj ­Sisodia: la plupart des gestionnaires ont été idéalistes


Édition du 10 Mars 2018

­Raj ­Sisodia: la plupart des gestionnaires ont été idéalistes


Édition du 10 Mars 2018

Par Diane Bérard

Raj Sisodia, professeur au Babson College et cofondateur de Conscious Capitalism inc.

Raj ­Sisodia est auteur de nombreux ouvrages dont Conscious ­Leadership ­Field ­Guide, un guide concret pour bâtir une entreprise porteuse de sens. Il est chercheur à la chaire ­Whole ­Foods sur le capitalisme conscient, au ­Babson ­College, au ­Massachusetts. Le 14 mars prochain, il sera conférencier au ­Global ­Summit on ­Conscious ­Leadership, à ­Montréal.

Diane Bérard - Qu'est-ce que le capitalisme et le leadership conscient ?

Raj Sisodia - C'est un capitalisme qui repose sur un niveau élevé de conscience. Lorsque votre niveau de conscience est faible, vous êtes en mode survie. Tout devient une affaire de concurrence. Il faut croître ou mourir, toute autre issue semble impossible. Lorsque votre conscience s'élève, vous réalisez qu'un monde gagnant-gagnant est possible.

D.B. - Pourquoi un professeur et chercheur spécialisé en marketing s'est-il intéressé au leadership conscient ?

R.S. - Pendant les dix années où j'ai enseigné le marketing (1995-2005), j'ai observé la tendance suivante : les entreprises investissaient de plus en plus en marketing pour de moins en moins de résultats. Le degré de confiance et de satisfaction de la clientèle baissait constamment. Nous avons cherché pourquoi. Notre projet consistait à rédiger un livre intitulé À la recherche de l'excellence en marketing. Nous voulions découvrir le secret des entreprises les plus performantes en marketing. Nous avons découvert 28 entreprises, comme Costco, Autodesk et Whole Foods, qui investissaient moins que la moyenne en marketing et qui, pourtant, affichaient de meilleurs résultats. Toutes ces entreprises ont surclassé 14 fois l'indice S&P 500 sur une période de 15 ans. Elles avaient trois points communs : une mission au-delà des profits, un souci de toutes leurs parties prenantes et un leadership plus inclusif, moins simpliste. Le livre s'est finalement intitulé Des firmes de passion (Firms of Endearment: How World-Class Companies Profit from Passion and Purpose, 2007).

D.B. - Le leadership conscient repose, entre autres, sur une mission chargée de sens. Ce n'est pas évident pour certaines industries telles les mines et les banques...

R.S.- Il faut revenir à la base : à quoi votre produit sert-il ? Comment change-t-il la vie des gens ? L'exemple des banques est intéressant. Elles ont perdu leur raison d'être originale, soit accompagner les clients dans leur vie financière. Elles se contentent de conclure des transactions, soit vendre des produits. Elles ont aussi coupé leur ancrage dans la collectivité. Quant aux minières, elles doivent répondre à la même question que toutes les autres entreprises : à quoi mon produit sert-il ultimement ? À cela s'ajoute une autre question : comment puis-je le produire en générant le moins d'impact négatif possible ? Les entreprises ne répondent plus aux besoins des clients. Elles profitent de leurs pulsions et de leurs insécurités pour vendre des choses dont ils n'ont pas besoin.

D.B. - Vous proposez des questions pour évaluer les piliers du leadership conscient dans une entreprise. Pouvez-vous nous donner quelques exemples?

R.S. - Pour évaluer le sens de votre mission, demandez-vous, entre autres, ce que ça changerait à la vie de vos clients si vous fermiez boutique. Iraient-ils simplement voir ailleurs ou seraient-ils vraiment déçus ? Vos investissements en R-D servent-ils uniquement le profit ou contribuent-ils à remplir votre mission ? Pour évaluer votre relation avec vos parties prenantes, vérifiez la fréquence de vos échanges avec elles et la nature de ces échanges. Diriez-vous qu'ils sont empreints de bonne volonté et de confiance ? Pour sonder le niveau de conscience de vos leaders, demandez-vous si ceux-ci peuvent situer l'entreprise dans la société. Leurs agissements démontrent-ils qu'ils sont conscients de l'interdépendance entre votre organisation et les autres écosystèmes ?

D.B. - Pourquoi une entreprise voudrait-elle pratiquer le leadership conscient ?

R.S. - La réponse la plus répandue est le désir de motiver et de retenir ses employés et de gagner, ou regagner, la confiance de ses clients.

D.B. - Pourquoi une entreprise ne s'y intéresserait-elle pas ?

R.S. - Parce que le modèle militaire a la vie dure. La structure et le fonctionnement des entreprises sont calqués sur ceux de l'armée. On commande et on contrôle. Les ordres cascadent du haut vers le bas. Les concurrents sont des ennemis. Il faut capturer des parts de marché. Ce langage toxique maintient les entreprises et leurs dirigeants dans une pensée guerrière et un niveau de conscience faible.

D.B. - Y a-t-il des déclencheurs de prise de conscience chez les dirigeants ?

R.S. - Il en existe plusieurs. Parfois, c'est la crise de la quarantaine. Parfois, une lecture, une rencontre ou une expérience. Parfois même, le départ des enfants du nid familial marque une quête de la prochaine étape.

D.B. - Pour les organisations, quels sont les déclencheurs d'un virage vers un leadership conscient ?

R.S.- Le plus fréquent est l'arrivée d'un nouveau leader plus conscient.

D.B. - Vous estimez que de nombreux gestionnaires ont d'abord été idéalistes. Que leur est-il arrivé ?

R.S. - Ils ont étudié dans des écoles de gestion. On leur a enseigné des outils de mesure de succès qui ont peu à voir avec une conscience de soi et des autres. Petit à petit, ils se sont déconnectés de leur humanité pour croire que la finalité des affaires était une question de chiffres. C'est ce que bon nombre d'entre eux appliquent lorsqu'ils obtiennent leur diplôme.

D.B. - Vous observez l'émergence d'une troisième génération de leaders en entreprise. Expliquez-nous..

R.S. - On a d'abord eu les leaders militaires attirés par le pouvoir. Puis, on a vu paraître les leaders mercenaires attirés par l'argent. Cela s'explique par la hausse faramineuse de la rémunération des dirigeants. Nous observons aujourd'hui une autre vague : les leaders missionnaires. Ils ont un sens des proportions. Ils placent leurs actions et celles de l'organisation dans un contexte plus vaste. Et leur niveau de conscience leur permet de reconnaître la complexité du rôle des entreprises.

D.B. - Le leadership conscient n'est tout de même pas la norme. Comment réagissez-vous par rapport aux sceptiques ?

R.S. - Je ne cherche pas à les convertir. Je ne les blâme jamais. Je m'appuie plutôt sur des arguments logiques. Je présente les chiffres. Les entreprises conscientes affichent de meilleurs résultats à long terme. Mais j'ai beau le démontrer, cela ne suffit pas toujours. Les dirigeants doivent être mûrs pour un virage. Hier, j'ai parlé de capitalisme conscient à un groupe de dirigeants brésiliens. Certains vont retourner dans leur entreprise sans rien changer. Mes propos les auront laissés de glace. Leur humanité est trop réprimée. D'autres vont en parler à certains collègues pour tester leurs réactions. D'autres, enfin, vont y réfléchir et passeront peut-être à l'action plus tard.

D.B. - Comment évaluez-vous le niveau de conscience général des leaders ?

R.S. - Je crois que la plupart d'entre eux se trouvent à mi-chemin. Les chances qu'ils s'éveillent et progressent vers un capitalisme et un leadership conscient sont de 50 %.

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