Entrevue: Eric Rosenfeld, investisseur activiste et fondateur de Crescendo Partners

Publié le 07/04/2012 à 00:00

Entrevue: Eric Rosenfeld, investisseur activiste et fondateur de Crescendo Partners

Publié le 07/04/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Eric Rosenfeld, investisseur activiste et fondateur de Crescendo Partners

L'Américain Eric Rosenfeld, fondateur de Crescendo Partners, est un investisseur activiste. Ses cibles sont canadiennes - il y a siégé à 18 conseils. Le Canada, dit-il, se montre très «accommodant» : moins de divulgation exigée, une pilule empoisonnée moins toxique et un actionnariat moins diversifié qui facilite les alliances. Les pdg et les CA canadiens n'en ont pas terminé avec Eric Rosenfeld !

DIANE BÉRARD - En quoi êtes-vous plus futé que la direction et le conseil des entreprises ciblées par votre activisme ? Pourquoi celles-ci n'ont-elles pas implanté elles-mêmes les stratégies que vous leur proposez ?

ERIC ROSENFELD - Souvent, les stratégies que nous proposons ont déjà été évoquées, mais elles ont été abandonnées, faute de consensus. Notre arrivée transforme la minorité qui les défendait en une majorité.

D.B. - Qu'est-ce qui empêche une société d'atteindre sa véritable valeur ?

E.R. - D'abord, l'équipe de direction. Le pdg peut être mauvais ou carrément diabolique. Le mauvais pdg a souvent atteint son niveau d'incompétence. C'est le cas d'un fondateur qui n'arrive plus à suivre la croissance de l'entreprise qu'il a créée. Le pdg diabolique, lui, considère l'entreprise comme SA créature. Elle lui sert de tirelire et contribue à gonfler son ego. Brent Ellis, ex-pdg des Breuvages Cott, était un très mauvais pdg. Il a transformé un fabricant de boissons génériques prospère en un manufacturier de sa propre marque déficitaire. Cott était un fournisseur respecté par Walmart et Loblaw. Brent Ellis a décidé que Cott aurait sa marque de boisson à elle. Du coup, il est entré en concurrence avec ses clients. De plus, il a déménagé le siège social de Toronto à Tampa... parce qu'il voulait vivre au soleil. Et il a recruté une armée de cadres. L'action est passée de 16 $ à 3 $. Elle a même glissé jusqu'à 7 cents ! Le conseil a suivi Brent Ellis dans toutes ses folies. Ils ont bu son Kool-Aid !

D.B. - Pouvez-vous juger de la compétence d'un leader en échangeant avec lui ?

E.R. - Non, le facteur humain est très difficile à évaluer. Il faut parler avec plusieurs personnes qui interagissent avec le pdg pour se faire une idée de ses compétences.

D.B. - Un pdg pourrait-il réussir à vous berner ?

E.R. - Oui. Tout administrateur peut être berné. Si un dirigeant est décidé à camoufler des informations, il peut y arriver, même face à des administrateurs compétents. Mais tôt ou tard, le conseil doit y voir clair. C'est pour cette raison qu'il ne faut jamais se fier uniquement aux propos du pdg et qu'il faut diversifier nos sources d'information.

D.B. - Comment identifiez-vous les cibles de votre activisme ?

E.R. - Nous recevons des appels. Des banquiers, des analystes - ils ne sont pas toujours doués pour choisir des titres, mais ils savent ce qui se déroule dans les entreprises -, des actionnaires mécontents, des employés ou des ex-employés et même des administrateurs... Ils veulent tous nous informer que quelque chose cloche, que telle ou telle société végète. Nous effectuons aussi notre propre vigie.

D.B. - Une fois la cible choisie, quels gestes posez-vous ?

E.R. - Nous écoutons les comptes rendus des conférences téléphoniques pour évaluer le ton des commentaires des actionnaires. Parfois, nous nous inscrivons à des conférences liées au secteur de la société en question. Là-bas, nous échangeons avec des clients pour évaluer leur satisfaction à l'égard des produits de l'entreprise. Nous ne nous manifestons pas toujours auprès de la direction. Parfois, nous attendons que notre plan de match pour ramener l'entreprise à sa juste valeur soit clair avant de dévoiler notre jeu. Puis, nous prenons une participation dans l'entreprise. Nous rencontrons les actionnaires importants pour vérifier s'ils accepteront de soutenir notre plan. Finalement, nous réclamons un ou plusieurs sièges au conseil.

D.B. - Congédiez-vous systématiquement le pdg des entreprises où vous vous infiltrez ?

E.R. - Nous ne réclamons son congédiement que si c'est lui le problème. Prenons l'exemple de Spar Aerospace [la société qui a créé le bras canadien]. Tout le conseil, sauf un membre, a été remercié, mais le pdg a conservé son poste. Nous estimions que le pdg avait ce qu'il fallait pour créer de la valeur, mais que le conseil l'en empêchait.

D.B. - Est-il épuisant d'être toujours en guerre contre les conseils auxquels vous siégez ainsi qu'avec les membres de la direction ?

E.R. - Mais ce n'est pas du tout ce qui se passe. Ça, c'est l'image «romanesque» vue de l'extérieur. La période antagoniste s'avère souvent courte. La direction et le conseil prennent rapidement conscience que nous ne sommes pas les vilains qu'ils croient. Nous voulons aider l'entreprise et non lui nuire. Et dès que les hostilités sont terminées, il est dans notre intérêt à tous de travailler ensemble.

D.B. - Quel est le plus grand péché qu'un conseil puisse commettre ? Celui pour lequel vous n'avez aucune pitié ?

E.R. - Les conseils qui se contentent d'approuver tout ce que le pdg leur soumet sans poser de question. Cela cause un tort considérable aux entreprises. Personne ne veut être le premier à soulever une objection ou à poser une question délicate.

D.B. - La diversité dans un conseil, est-ce important ?

E.R. - Quand c'est possible, c'est bien. Mais cela ne doit pas se limiter à une question d'ethnie ou de sexe. Il faut viser des expertises et des perspectives différentes. Avez-vous pensé à inclure un ex-client ou un ex-fournisseur à votre conseil ?

D.B. - Et que pensez-vous de la proposition de n'accorder le droit de vote qu'à ceux qui détiennent des actions depuis au moins un an ?

E.R. - Ridicule ! Nous avons des marchés libres... qu'ils le demeurent. Dès que j'investis de l'argent dans une société, je dois avoir mon mot à dire. Ce n'est pas comme le vin, il n'y aucune nécessité d'attendre un processus de vieillissement...

D.B. - Que pensez-vous du mouvement Occupons ?

E.R. - Il s'agit d'un groupe marginal qui a peu d'impact et qui continuera d'avoir un impact limité. Le mouvement Occupons manque de cohésion. Les comptes rendus des journalistes en direct de Zuccatti Park l'ont prouvé : peu de membres ont une opinion sérieuse et étayée sur ce qui devrait être fait ou changé.

«Tout administrateur peut être berné. Si un dirigeant est décidé à camoufler des informations, il peut y arriver, même face à des administrateurs compétents. Mais, tôt ou tard, le conseil doit y voir clair. C'est pour cette raison qu'il ne faut jamais se fier uniquement aux propos du pdg et qu'il faut diversifier nos sources d'information.»

LE CONTEXTE

La mauvaise performance boursière crée un contexte favorable pour l'activisme financier. Décrié par les uns, applaudi par les autres, celui-ci serait source de gains durables pendant au moins 12 mois, selon une étude de Brav Alon, de l'Université Duke.

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