Avec ou sans Kyoto, des entreprises d'ici empochent des crédits

Publié le 01/12/2009 à 17:39

Avec ou sans Kyoto, des entreprises d'ici empochent des crédits

Publié le 01/12/2009 à 17:39

Par lesaffaires.com
Sept ans après avoir signé le protocole de Kyoto, le Canada n'a toujours pas de plafond d'émissions de gaz à effet de serre, en violation de ses engagements internationaux. Fatiguées d'attendre, plusieurs entreprises québécoises échangent des crédits sur le marché volontaire depuis quelques années. Avec des résultats variés.

Biothermica attend un plafond d'émissions de GES

Biothermica a dans ses cartons un projet pour produire de l'électricité avec le méthane qui s'échappe du dépotoir Cook, à Gatineau. Mais son modèle d'entreprise repose sur la vente de crédits de carbone. Ottawa n'a pas encore légiféré; aucun plafond d'émissions de gaz à effet de serre (GES) n'est donc en vigueur. Résultat : le marché est inexistant, et les prix que Biothermica pourrait obtenir sur le marché volontaire sont trop bas pour justifier l'investissement.

Au site d'enfouissement Cook, du méthane continue donc de s'échapper dans l'atmosphère. "On s'attendait à ce que le système d'échange de crédits de carbone démarre en 2010, mais le premier ministre Stephen Harper veut calquer son système sur celui des États-Unis; les annonces sont sans cesse reportées. C'est dommage", déplore Raphaël Bruno, directeur des relations avec les médias de Biothermica.

L'entreprise a déjà vendu des crédits de GES liés à la première phase de son projet au site Cook. En 2005, elle a amélioré le système servant à capter et à brûler le méthane dégagé par le dépotoir. Au cours du processus, ce gaz était transformé en CO2, 21 fois moins nocif pour l'environnement que le méthane.

Cette amélioration a entraîné une diminution d'environ 10 000 tonnes d'équivalent CO2 de 2005 à 2007. Autant de crédits que Biothermica a pu faire valoir dans le cadre du Projet pilote d'élimination et de réduction des émissions et d'apprentissage. Ce programme fédéral, instauré sous le régime libéral, permettait au gouvernement et au secteur privé de se familiariser avec l'échange des crédits de carbone avant la mise sur pied d'un réel système de crédits d'émission... qui ne s'est jamais concrétisé, à la suite de l'accession au pouvoir du Parti conservateur, en 2007.

L'entreprise de Montréal a construit au Salvador une usine de captage et de combustion du méthane issu du dépotoir de la ville de Nejapa. Le projet a procuré à Biothermica 325 000 tonnes d'équivalent CO2 en crédits de carbone en vertu du Mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto, qui finance des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement.

Par l'entremise d'un courtier, Biothermica a ensuite vendu ses crédits au Luxembourg, qui en avait besoin pour atteindre les objectifs de Kyoto.

Biothermica prépare maintenant une demande de reconnaissance d'environ 35 000 tonnes d'équivalent CO2 par année en crédits de carbone pour un projet de captage du méthane d'une mine de charbon souterraine en Alabama, une première en Amérique. L'entreprise veut faire certifier ses crédits en vertu du Voluntary Carbon Standard, une des normes les plus fiables, selon les experts.

Cascades suspend la vente de ses crédits européens

Cascades n'a jamais vendu de crédits de carbone en Amérique du Nord. "Ça n'a pas de valeur. Les marchés volontaires au Canada et aux États-Unis, c'est nébuleux", dit Léon Marineau, vice-président, environnement, de Cascades.

Contrairement au Canada, l'Union européenne a honoré les engagements pris à Kyoto. Ses pays membres ont établi des plafonds d'émissions et un système d'échange de crédits. Cascades en a vendu pour 4,9 millions d'euros (7,7 millions de dollars canadiens) en Europe, grâce à ses usines outre-Atlantique, situées en France et en Italie. "Les États ont été plutôt généreux avec les papetières quand ils ont distribué la première vague de crédits", dit M. Marineau. En 2005 et 2006, les usines de Cascades ont produit 231 000 tonnes d'équivalent CO2 de moins que le quota attribué par Paris et Rome.

Mais depuis, le prix de la tonne de GES s'est effondré. Trop de crédits distribués aux entreprises, ralentissement économique... D'un seul coup, les vendeurs se sont retrouvés trop nombreux pour les acheteurs. Le prix de la tonne de GES est passé de plus de 30 euros, en juillet 2008, à environ 10 euros, en mars dernier. Son cours est remonté ces dernières semaines aux environs de 13 euros. Cascades a décidé de garder les crédits qui lui restaient pour éviter de dépasser son plafond d'émissions dans l'avenir. Les pays du monde entier se rencontrent en décembre à Copenhague pour s'entendre sur les cibles de l'après-Kyoto. Ils pourraient alors décider de rabaisser les plafonds auxquels devront se soumettre les industriels des États participants.

Cascades accumule les crédits à défaut d'obtenir un prix intéressant.

"C'est un échec, dit M. Marineau. Les économistes sérieux disent que le prix de la tonne devrait être supérieur à 50 euros pour que le système soit efficace et mène à de véritables réductions supplémentaires de GES."

Mais, selon M. Marineau, Bruxelles a au moins le mérite d'avoir pris les mesures nécessaires pour établir un véritable marché du carbone, soutenu par des plafonds d'émissions clairs.

"Au Canada, on fait du surplace."

 

Enfoui-Bec arrondit ses fins de mois grâce au marché de carbone

À Bécancour, Enfoui-Bec accueille chaque année environ 90 000 mètres cubes de résidus en provenance des usines de pâtes et papiers de Kruger, à Trois-Rivières, juste de l'autre côté du fleuve. La petite entreprise de traitements et de recyclage des déchets les composte ensuite dans des champs, à l'air libre. Kruger évite ainsi d'envoyer ses résidus à l'enfouissement, où ils se décomposeraient en produisant du méthane, un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le gaz carbonique (CO2).

Enfoui-Bec prévient ainsi beaucoup d'émissions. "On évite environ 60 000 tonnes d'équivalent CO2", dit Louis-Marc Bourgoin, directeur du développement d'Enfoui-Bec.

La petite entreprise y a vu une source de revenus additionnels. Elle a donc contacté L2i Solutions, une entreprise qui coordonne le processus de certification des émissions évitées donnant droit à des crédits, dans le cadre de programmes volontaires.

Comme courtier, L2i se charge aussi de vendre ces "produits financiers" de gré à gré, sans passer par une Bourse du carbone, comme celles de Montréal ou de Chicago.

Dans le cas d'Enfoui-Bec, les acheteurs sont Delta Chelsea Hotel et LivClean, respectivement un hôtel du centre-ville de Toronto et une entreprise de compensation d'émissions.

Jusqu'à ce jour, L2i n'a cependant pu vendre que 16 000 des 60 000 "tonnes évitées" mises en marché. "On ne s'attendait pas à tout vendre d'un coup, dit Josianne Lemay, directrice générale d'Enfoui-Bec. Si elles ne se vendent pas, on n'aura rien perdu."

En effet, Enfoui-Bec composte des déchets de Kruger depuis 2000. La papetière la paie pour qu'elle les prenne en charge, et Enfoui-Bec réalise aussi un revenu en revendant le terreau qu'elle fabrique à partir de ces résidus. Pour l'entreprise, les crédits de carbone ne sont qu'un boni.

Pour plusieurs experts, c'est un problème : les réductions auraient eu lieu de toute façon. L'échange de crédits n'a donc occasionné aucune réduction supplémentaire.

 

AbitibiBowater possède plus d'un million de crédits... qui ne valent presque pus rien

AbitibiBowater est membre du Chicago Climate Exchange (CCX) depuis 2003. Cette Bourse américaine du carbone permet à de grandes entreprises, comme les forestières québécoises, d'échanger des crédits si elles ont réussi à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport aux niveaux de 2000.

La forestière québécoise a diminué ses GES de 52 % depuis cette date grâce à des programmes d'efficacité énergétique et de remplacement des hydrocarbures par de la biomasse dans les chaudières à vapeur. Cette approche lui a permis de vendre des crédits de carbone à Chicago. Selon nos sources, l'entreprise a accumulé plus d'un million de tonnes d'équivalent CO2 depuis six ans. De 2006 à 2008, l'entreprise en a vendu "plusieurs milliers de tonnes". Bref, presque rien.

AbitibiBowater refuse d'être plus précise à ce sujet. "Ce ne sont pas des chiffres que nous rendons publics", dit Pierre Choquette, porte-parole de la papetière québécoise qui s'est placée sous la protection des tribunaux au Canada et aux États-Unis. Le CCX ne dévoile pas non plus la teneur des transactions que réalisent ses membres. Mais M. Choquette convient qu'AbitibiBowater a beaucoup de crédits à vendre. Dommage : au CCX, ils ne valent plus que 10 ¢ la tonne d'équivalent CO2, après avoir dépassé les 7 $ en 2008. La valeur des crédits de la papetière a donc déjà dépassé les 7 millions de dollars. Aujourd'hui, ils valent des broutilles.

L'entreprise est-elle restée prise avec ses tonnes de GES ? "On n'a jamais voulu faire de l'argent avec ça", dit M. Choquette. En fait, AbitibiBowater visait plutôt à se faire la main avant la mise en place d'un véritable système d'échange de crédits de GES.

AbitibiBowater utilise maintenant ses tonnes pour permettre à des entreprises de faire des événements dits carboneutres : elle commandite des événements en donnant des crédits pour compenser les émissions de GES des organisateurs et des participants.

Domtar et Tembec, également membres du CCX, n'ont pas répondu à nos questions.

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