L'entrepreneuriat, vu par ceux qui sont passés par là


Édition du 15 Octobre 2016

L'entrepreneuriat, vu par ceux qui sont passés par là


Édition du 15 Octobre 2016

[Photo : 123RF/rawpixel]

Ils bâtissent des entreprises qui deviendront peut-être les fleurons du Québec inc. de demain. Ont-ils eu de la difficulté à financer leur projet d'affaires ? Jugent-ils que l'écosystème québécois de soutien aux entrepreneurs répond vraiment aux besoins ? Qu'est-ce qui manquerait pour leur faciliter la tâche ?

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Huit entrepreneurs qui ont fondé des entreprises entre 2006 et 2016 ont partagé leur expérience et leurs idées lors d'une table ronde organisée par Les Affaires le 15 septembre. Pendant deux heures, ils ont discuté du rôle du gouvernement, de mentorat, de concours d'entrepreneuriat, entre autres sujets. Mais c'est le sujet du financement qui aura dominé les échanges.

Pour se lancer en affaires, Isabelle Quinn, qui avait alors 43 ans, a dû vendre son condo et retourner vivre chez sa mère. «Le financement, c'est un frein», dit la fondatrice de Sweet Isabelle.

Judith Fetzer, présidente et cofondatrice de Cook It, raconte une expérience similaire. «On est trois associés et on a mis 30 000 $ chacun. J'ai retiré tous mes REER, j'ai emprunté 5 000 $ à ma mère, j'ai fouillé dans les craques du divan.»

Elle admet ensuite une erreur : «Au début, on croyait être une multinationale. On a dépensé 45 000 $ dans un site Web. Quand on a vraiment démarré nos activités, il ne nous restait presque plus d'argent. Et les ventes ne décollaient pas ! Dire que mon plan, c'était d'ouvrir l'entreprise et de m'acheter un yacht la deuxième semaine !»

Cette dernière phrase soulève l'hilarité générale. L'analogie du yacht reviendra souvent au cours de la discussion pour illustrer combien la réalité fait revenir les entrepreneurs sur terre.

Cogner à toutes les portes

Presque tous les participants ont obtenu une subvention, une bourse ou une autre forme d'aide financière au cours de leur parcours. «Quand on a décroché les contrats du Super Bowl et de Sotchi, on avait besoin d'argent pour livrer, se souvient David Parent, pdg de PixMob. C'était une situation déterminante pour nous. En 30 minutes, Investissement Québec nous a donné son accord verbal et, un mois après, on avait l'argent. Ils ont été très efficaces cette fois-là.»

Philippe Demers, cofondateur et directeur général de MASSIVart, dit pour sa part avoir réalisé «un coup de circuit» avec des subventions de la Société de développement économique Ville-Marie (maintenant PME MTL), d'Emploi-Québec pour le salaire des employés et un programme d'art-entrepreneuriat qui relevait du ministère des Finances et qui, depuis, a «malheureusement été coupé par Québec».

Femmessor, la Fondation Montréal inc. et le Concours québécois en entrepreneuriat (maintenant Défi OSEntreprendre) sont autant d'organismes qui ont soutenu financièrement Judith Fetzer et ses associés. «On a cogné à plusieurs portes la première année et c'est ce qui nous a permis de survivre. Tous les deux mois, on avait une nouvelle source de financement.»

Comme d'autres autour de la table de conférence, elle s'est aussi prévalue du programme Soutien au travail autonome d'Emploi-Québec. Il s'agit d'une allocation salariale équivalente au salaire minimum qui peut être versée pendant un an. «C'est bien que les paiements soient échelonnés, car ça évite que tu investisses d'un coup tout l'argent dans ta business», remarque la jeune femme qui a visiblement tiré des leçons de son démarrage en affaires.

Entrer dans une boîte

Les entrepreneurs sont toutefois unanimes à déplorer qu'il faille souvent correspondre à un profil bien précis pour être admissible à de l'aide financière. «Il y a du soutien au démarrage pour les jeunes entrepreneurs, mais quand on a plus de 35 ans, il n'y a rien», dénonce Isabelle Quinn.

Au moins deux participants reconnaissent avoir maquillé la vérité pour bénéficier du Soutien au travail autonome, puisqu'ils ne répondaient pas aux critères. Ce programme est réservé aux prestataires de l'assurance-emploi ou de l'aide sociale, aux travailleurs à statut précaire et aux personnes sans emploi.

De son côté, Philippe Demers souligne qu'il est fréquent que les entreprises culturelles n'entrent pas dans le cadre. «Les Conseils des arts et le ministère de la Culture soutiennent la création et des tournées pour faire rayonner la culture du Québec à l'international, mais pas les entrepreneurs culturels.» Ceux-ci sont aussi exclus par bien des fondations ou des organismes qui accordent des bourses. «C'est comme si l'entrepreneuriat et l'art n'allaient pas ensemble. Il faut briser ce tabou», dit-il.

Ces observations amènent Jean-Sébastien Noël, cofondateur de la plateforme de sociofinancement La Ruche, à parler de ce moyen d'obtenir des fonds. «Les cadres, c'est de la gestion de risques. Quelqu'un analyse ton profil et essaie de te faire entrer dans une boîte. Mais les entrepreneurs entrent de moins en moins dans les boîtes. Il faut des moyens moins traditionnels de se financer, comme le sociofinancement qui redonne du pouvoir à l'entrepreneur.»

David Côté, cofondateur de Jus Loop, raconte avoir eu recours au sociofinancement en passant par la plateforme Ulule. «Peu après, on a obtenu des bourses de deux organismes. Le succès de notre campagne de sociofinancement a probablement eu un impact sur la décision de ces organismes de nous accorder des bourses.»

Les institutions financières, ces mal-aimées

Pourquoi les institutions financières ne s'appuieraient-elles pas sur le sociofinancement pour assouplir leurs critères ? «Si l'entrepreneur faisait une prévente de tant de dollars avec le sociofinancement, on lui en prêterait tant, propose Jean-Sébastien Noël. Au lieu de gérer les risques, on gérerait la réussite !»

Si les participants à la table ronde s'entendent pour dire que les institutions financières sont peu présentes au démarrage, David Parent voit un bon côté à cette situation. «Les banques canadiennes ne sont pas spéculatrices, et c'est pourquoi notre système financier est stable.»

Judith Fetzer leur reproche tout de même d'être frileuses à l'égard des entreprises du secteur de l'alimentation en plus de jouer à la chaise musicale avec leur personnel. «On a à peine le temps de commencer à nouer une relation avec notre conseiller bancaire qu'il change de poste. Il faut alors tout recommencer.»

La Banque de développement du Canada (BDC), une banque qui se consacre aux entrepreneurs, fait cependant l'unanimité par sa compréhension de la réalité du monde des affaires. Au moins trois participants témoignent d'une expérience positive, dont Noémie Dupuy, fondatrice et coprésidente de Budge Studios.

«Après avoir rencontré quelques firmes de capital de risque, on s'est rendu compte que ce n'était pas pour nous et on s'est tournés vers la BDC qui nous a prêté de l'argent, dit-elle. Depuis ce temps, on a une belle relation avec elle.

Elle a même une participation dans l'entreprise. Et puis, la BDC s'engage à long terme. Ce n'est pas comme les investisseurs en capital de risque.»

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Prudence avec le capital de risque

Les avis sont d'ailleurs partagés à propos du capital de risque. Alexandre Leclerc, chef de la direction et cofondateur de Poka, estime qu'il en faudrait davantage au Québec, parce que «ce n'est pas nécessairement au gouvernement de décider si une idée d'affaires marchera ou non». Il croit aussi que, s'il y avait plus de firmes dans ce créneau, il y aurait plus de concurrence entre elles. «À San Francisco, il y en a plein !»

Le jeune entrepreneur et son associé, Antoine Bisson, ont jusqu'ici obtenu 6,5 millions de dollars en capital de risque, au Québec et aux États-Unis.

Judith Fetzer est de ceux qui ont des réserves. Avec Anges Québec, le processus est long et redondant, selon elle. Après presque un an de démarches, de nombreuses rencontres dans trois villes différentes, une dizaine d'heures de travail par semaine pour chacun des trois associés, plusieurs documents à remplir - «souvent, c'était la même information qui était demandée» -, elle vient de se désister.

«En mai, nous avons eu une lettre d'intention qui nous empêchait d'aller voir d'autres investisseurs, raconte-t-elle. D'habitude, dans l'industrie du capital de risque, ça signifie à 90 % qu'il y aura une entente officielle. Mais il semble que ce ne soit pas le cas avec Anges Québec.» Bref, après deux reports de la signature de l'entente, l'équipe de Cook It a décidé de chercher des investisseurs ailleurs.

Même s'il pense que le capital de risque est important dans l'offre de financement, David Parent, lui, s'inquiète de son modèle qui fait en sorte que les investisseurs veulent sortir à un moment donné pour toucher leur profit. «Il n'y a rien pour encourager les entrepreneurs à garder leur entreprise. Comment assurer la pérennité des entreprises et qu'elles restent au Québec ? Il faut réfléchir sur le sujet.»

Enfin, malgré les difficultés relatives au financement, les participants n'auraient pas voulu avoir tout cuit dans le bec. Noémie Dupuy obtient l'approbation générale quand elle dit : «J'ai misé beaucoup, j'ai investi, j'ai pris des risques et il faut garder ça. Beaucoup de start-up présentent une idée sur papier et s'attendent à être financées, à ce que d'autres assurent leurs arrières. Il y a un gros bout que ces gens ont manqué d'après moi. Pour être entrepreneur, il faut se lancer».

Sans compter que les obstacles permettent de départager ceux qui ont l'étoffe d'un entrepreneur des autres. «Les difficultés forgent l'entrepreneur, soutient Jean-Sébastien Noël. C'est pour ça qu'il faut que le gouvernement soit plus partenaire que maître d'oeuvre des projets d'affaires.»

Pas seulement de l'argent

Les échanges ont également fait ressortir que le soutien à l'entrepreneuriat va bien plus loin que l'argent. Isabelle Quinn souligne la nécessité d'un guichet unique, une idée qui ne date pas d'hier, mais qui tarde à se concrétiser. «Les formalités administratives, c'est ce qui me faisait le plus peur lorsque j'ai commencé en affaires», opine Alexandre Leclerc.

«Pour grandir, il faut aussi le regard de gens d'expérience», poursuit Isabelle Quinn, en ajoutant qu'elle vient de créer un conseil consultatif. Ces propos trouvent tout de suite écho auprès des autres participants. «Sans mon mentor, je ne serais pas où je suis en ce moment, souligne Noémie Dupuy. Il me recentre quand je suis déprimée, il me fait réfléchir, il me met devant mes quatre vérités.»

Au démarrage de PixMob, David Parent a obtenu un prêt de Futurpreneur à condition d'avoir un mentor. «C'est Pierre Lortie, un ancien haut dirigeant de Bombardier. Après 10 ans, il est encore avec nous. Il nous apporte beaucoup, car il est gestionnaire plutôt qu'entrepreneur. Et le défi des entrepreneurs comme nous, c'est de gérer !»

L'apport des conseillers est tout aussi important, selon David Côté. «Le premier comptable que j'ai eu faisait ce que je lui disais au lieu de me conseiller. Aujourd'hui, j'ai un bon comptable et un bon avocat. Ça change tout.»

On ne doit pas hésiter non plus à demander conseil à des dirigeants qu'on admire, selon Alexandre Leclerc qui a bénéficié de l'expérience de Guy Gauvin et de Jean Lavigueur, de Coveo. «Souvent, ces personnes-là sont disposées à déjeuner avec nous. Elles ont été aidées et sont prêtes à aider.»

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Judith Fetzer : Cook It

Fondée en 2013 - 15 employés

«Avec seulement 2 % des aliments qui sont achetés sur Internet, le Québec est en retard, affirme Judith Fetzer. Dans certains pays d'Europe, c'est 8 à 10 %.» Cook It livre à domicile des trousses comprenant les ingrédients nécessaires à la préparation d'un repas.

David Parent : PixMob

Fondée en 2006 - 70 employés

À l'aide de bracelets connectés lumineux qui déclenchent des effets visuels et sonores, la technologie de PixMob fait vivre une expérience immersive aux spectateurs. Quelques événements l'ayant utilisée : Jeux olympiques de Sotchi, spectacle de la mi-temps du Super Bowl, tournée de Taylor Swift.

Philippe Demers : MASSIVART

Fondée en 2009 - 10 employés

«On relie les arts et les affaires en intégrant du contenu artistique aux événements des entreprises», résume Philippe Demers. Quelques clients : KPMG, Veuve Clicquot, Parcs Canada, Converse et Place Ville Marie.

Isabelle Quinn : Sweet Isabelle

Fondée en 2010 - 20 employés

«J'avais envie de recevoir et d'avoir du plaisir, dit-elle. Et une grosse partie de mon entreprise, c'est l'expérience qu'on offre avec nos ateliers de décoration de biscuits et de cupcakes.» Deux boutiques : Montréal et Longueuil

Jean-Sébastien Noël : La Ruche

Fondée en 2013 : 4 employés

«Pour expliquer à mon grand-père ce qu'on fait, je dis qu'on est comme un perron d'église où les gens se rencontrent», illustre Jean-Sébastien Noël. La Ruche est une plateforme de financement participatif de proximité active à Québec, à Montréal et en Mauricie. D'autres régions s'ajouteront prochainement.

Noémie Dupuy : Budge Studios

Fondée en 2010 : 100 Employés

Les jeux pour enfants sur tablettes et téléphones intelligents de son entreprise comptent plus de 250 millions d'utilisateurs dans le monde. Budge conçoit des jeux mettant en vedette des personnages connus, comme Dora l'exploratrice, Garfield et Hello Kitty. Elle en crée aussi avec ses propres personnages.

 

David Côté : Jus Loop

Fondée en 2016 - 4 employés

La nouvelle entreprise du cofondateur de Crudessence et de Rise Kombucha crée de la valeur avec des fruits et des légumes invendus qui se retrouveraient autrement à la poubelle. Même la pulpe de ses jus pressés à froid est réutilisée, dans la nourriture pour animaux notamment.

Alexandre Leclerc : Poka

Fondée en 2012 - 32 employés

Son entreprise réinvente le transfert du savoir dans les usines. Poka est une application multiplateforme permettant de diffuser, à l'aide de photos et de vidéos, de l'information sur l'opération et l'entretien des équipements. Quelque 250 usines l'utilisent.

 

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