Le bagel du succès


Édition du 28 Juillet 2018

Le bagel du succès


Édition du 28 Juillet 2018

Isabelle Deschamps, professeure en innovation et entrepreneurship technologique de l'École Polytechnique de Montréal

Un beau jour qu'Isabelle Deschamps se prélassait au Bagel etc. du parc du Portugal, là où son idole Leonard Cohen aimait à manger sur le pouce, elle a eu un flash.

Une idée carrément géniale. La professeure en innovation et entrepreneurship technologique de l'École Polytechnique de Montréal a soudainement réalisé que les clés classiques du succès entrepreneurial tenaient dans l'acronyme B.A.G.E.L. : Bénéfices, Alignement (sur les besoins des consommateurs), Global (marché), Exécution (management) et Lean (efficacité et productivité).

Heureuse de sa trouvaille, elle s'est aussitôt mise à y réfléchir pour saisir que ces clés-là... ne fonctionnaient pas pour les start-up ! « Par exemple, juger du succès d'une start-up en fonction de ses bénéfices n'est pas pertinent, car ça peut lui prendre des années et des années avant d'engranger des profits. Regardez Amazon, qui est née en 1994 et qui n'a enregistré ses premiers bénéfices qu'en 2001... », a-t-elle dit lors de l'événement StartUpFest qui s'est tenu en juillet à Montréal.

Sentant qu'elle tenait tout de même quelque chose, Mme Deschamps a repris sa réflexion et a fini par déterminer de toutes nouvelles clés : Bravoure (« l'art de combiner créativité, confiance en soi et audace »), Alliés (« l'art de nouer des liens solides avec ses partenaires »), Gang (« l'art d'oeuvrer en équipe »), Éthique (« l'art d'agir de manière bienveillante »), et Leadership (« l'art de se conduire comme un agent du changement »).

Des clés qui, elles, collent parfaitement à la réalité des start-up : « Au fond, une entreprise naissante est couronnée de succès à partir du moment où elle fait preuve à la fois d'ouverture d'esprit et d'innovation collaborative, c'est-à-dire où elle s'ouvre à toutes les possibilités, que ce soit dans la folie de son idée fondatrice ou dans celle de sa façon de la mettre au jour », a-t-elle expliqué.

Concrétiser une utopie

Bref, une start-up sur la bonne voie est celle qui parvient à « passer de la science-fiction à la science », en ce sens qu'elle se donne comme mission de concrétiser une utopie. Ce qu'a illustré à merveille un autre conférencier du StartUpFest, David Smith, le professeur d'ingénierie de l'Université Duke qui est à l'origine de... la cape d'invisibilité !

Longtemps, le chercheur s'est intéressé aux métamatériaux, soit les matériaux composites artificiels qui sont perméables aussi bien à l'électricité qu'à la force magnétique. Des matériaux qui étaient alors purement théoriques, car il n'en existait pas dans la nature et personne ne voyait comment en créer un. Jusqu'à ce jour de novembre 2006 où, avec d'autres chercheurs, il a publié dans le magazine Science une étude montrant que la technologie actuelle était maintenant assez évoluée pour mettre au point des métamatériaux, et donc, pour fabriquer des objets aux propriétés aussi renversantes que l'invisibilité. « Les retombées médiatiques ont dépassé l'entendement : tout le monde nous réclamait la cape d'invisibilité d'Harry Potter, plus ou moins en rigolant, a-t-il raconté. Si bien que j'ai fini par décider d'en fabriquer une, histoire de faire taire les sceptiques. »

Comment s'y est-il pris ? En créant sa propre start-up, dans un premier temps au sein de Duke, et dans un second temps, au sein d'Intellectual Ventures, dont le PDG est l'inventeur de génie Nathan Myhrvold et l'un des principaux investisseurs et collaborateurs, Bill Gates. Ce qui l'a amené à fabriquer toutes sortes d'objets en métamatériaux, à commencer par des tissus d'invisibilité.

Le dernier en date est une antenne satellitaire révolutionnaire, « susceptible de rendre obsolètes celles dont on se sert aujourd'hui, qu'elles soient fixes ou mobiles ». Née en 2017, la mTenna de Kymeta (un spin-off d'Intellectual Ventures) est grande comme un autocollant, et il suffit de la coller n'importe où pour capter à la perfection n'importe quel signal, si bien qu'il n'y aura peut-être bientôt plus besoin de recourir aux services d'installateurs pour voir la télévision ou avoir Internet à la maison ; et le succès semble à la clé puisque Airbus et Toyota s'en dotent d'ores et déjà dans l'idée de connecter les véhicules de demain.

Surfer la bonne vague

« La réussite d'une start-up technologique survient vraiment lorsqu'elle s'appuie simultanément sur trois piliers : la vision de l'entrepreneur, l'évolution la plus récente de la science et les besoins émergents des consommateurs, a dit Isabelle Deschamps. Et donc, lorsqu'elle oeuvre dans le bon timing. »

Autrement dit, un entrepreneur est maintenant à même de savoir si sa start-up est sur les bons rails : il lui suffit de vérifier qu'il respecte à la lettre l'acronyme B.A.G.E.L. et qu'il s'appuie sur les trois piliers définis par la professeure. Cela semble être le cas de la start-up de David Smith.

Ne lui reste, dès lors, qu'à adopter la bonne attitude, celle préconisée par un autre conférencier du StartUpFest, Lennie Moreno, PDG et fondateur de Sofdesk, une firme montréalaise spécialisée dans l'énergie solaire : « Il faut impérativement agir en fonction des 3 H : Hype, Hunger et Hate, a-t-il dit. Hype, parce qu'un entrepreneur doit savoir surfer sur la bonne vague. Hunger, parce qu'il ne doit jamais se sentir rassasié. Et Hate, parce qu'il doit avoir la rage de gagner, le besoin viscéral de voler de victoire en victoire. » Telle est la recette secrète de la réussite entrepreneuriale.

À vous désormais de croquer à belles dents dans le bagel du succès !

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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