À la mémoire de Jean-Paul L'Allier

Publié le 05/01/2016 à 18:42

À la mémoire de Jean-Paul L'Allier

Publié le 05/01/2016 à 18:42

Par Simon Villeneuve (Own work) [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html) or CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons

Par où commencer?

Il survient régulièrement dans la communauté journalistique d’importants débats sur l’éthique de la profession.

Quel est le pire ennemi du journalisme?

Le piège le moins discuté, et probablement le plus fréquent, est celui-ci : les atomes crochus.

Retour en arrière, au début des années 1990.

«Injustifiable et somptueux», disaient les uns. «Une patente sans bon sens de L’Allier. Du gaspillage de fonds publics», répétaient les autres.

Le maire venait de dévoiler son premier projet pour relancer Saint-Roch. Un jardin public de 6 M$, qui, sans trop jouer sur les mots, lui attirait nombre de tomates.

Jeune journaliste au quotidien Le Soleil, j’observais le spectacle avec étonnement.

-Mais où s’en va-t-il avec ça? L’opinion publique est érigée contre lui. Comment un jardin public pourra-t-il revitaliser un quartier aussi désespéré et désespérant? La fondation est friable.

C’est vers cette époque que la direction me proposa d’agir en renfort au municipal (sous l’égide du respecté chef Benoît Routhier).

C’est aussi à cette époque que ma conscience professionnelle allait rencontrer son premier véritable ennemi.

Les événements

Pratiquement toutes les étapes du développement de Saint-Roch (le projet Méduse, l'installation de l'ENAP, etc.) furent conspuées. La critique soufflait fort. Ce qui n’empêchait pas le quartier de se revitaliser. Le jardin du maire donnait d’impressionnantes récoltes.

Vint dans ces mêmes années, la candidature olympique de Québec. Boum! Nouvelle polémique, qui entraîna la région à la porte de la guerre civile. L’Allier continuait néanmoins de foncer. La bataille fut perdue, mais pas sans que le général n’eût solidement tenu sous le feu.

Autre combat, cette fois à la table des maires de la Communauté urbaine de Québec. Le maire de Québec voulait notamment plus d’équité fiscale pour la Ville, qui devait soutenir seule nombre d’infrastructures et services reliés à la tenue d’événements (Colisée, Expo Cité, Centre des congrès, Carnaval, etc.). Il souhaitait voir la région parler avec moins de division et plus de cohésion. Plusieurs maires de la banlieue défendirent leurs intérêts avec pugnacité. Seule voix contre la masse à l’engagement initial, il finit cette fois par remporter la bataille et obtint cette fameuse fusion, que le maire Régis Labeaume voyait lundi comme son legs le plus important.

Et puis il y eut ce fameux jumelage avec la Ville de Bordeaux. C’est lui qui avait relancé la relation, avec la complicité du maire Alain Juppé. Il voulait que Québec rayonne et était en plein accord avec la pensée de Montaigne, grand philosophe bordelais : « Le voyager (sic) me semble un exercice profitable; je ne sache point meilleure école (…) à former la vie que de lui proposer incessamment la diversité de tant d’autres vies ». Encore ici, les critiques fusèrent. Plus de 25 ans plus tard, le mariage fonctionne toujours et a accouché d’un certain nombre de partenariats économiques, sociaux et universitaires.

Le duel

Pendant toutes ces années se déroulait, dans l’esprit du journaliste, un constant duel. D’un côté, il avait envie de mieux connaître l’homme dont les idées contribuaient à construire sa pensée sociale. De l’autre côté, opposante de taille, cette nécessaire distance commandée par la profession.

Le maire de Québec ne bénéficiait surtout pas de traitement de faveur. J’eus droit à quelques algarades et interpellations publiques. Monsieur L’Allier n’aimait pas toujours ce qu’il lisait et les questions posées.

Deux fois, je faiblis cependant, et il entrevit peut-être un peu de ce combat intérieur.

Un soir, après un conseil, avec un confrère, les crayons se déposèrent et on se lança dans un long échange sur la vision du maire. Une discussion à grande échelle, tous azimuts, qui s’étendit jusqu’aux pays en voie de développement. C’était un humaniste.

-Qu’est-ce qui est arrivé, ça fait 20 minutes que ton heure de tombée est passée et que l’on attend ton texte?!!?, me dit le pupitre ce soir-là.

Je n’avais pas vu passer le temps.

Une autre fois, lors d’une mission économique à Bordeaux, dans un parc, entre deux activités, on s’était simplement assis sur un banc pour discuter du monde.

Il me fit suivre son livre, Les Années qui viennent, écrit plusieurs années auparavant, où il réfléchissait sur différents enjeux sociaux.

Puis, nos chemins obliquèrent.

Lors de ses premiers ennuis de santé (il y a quelques années), je lui fis parvenir une carte où je pus enfin lui avouer qu’il avait été un important contributeur à la construction de ma pensée sociale. Il répondit peu après fort aimablement.

Jean-Paul L’Allier aura à la fois permis à Québec de devenir une ville plus belle, plus fière et plus forte. Il laisse le souvenir d’un homme humain, qui voyait grand, qui voyait loin, et qui ne dérogeait jamais à ses convictions lorsqu’il croyait qu’elles étaient ce qu’il y avait de mieux pour le bien commun. Peu importe la force des vents contraires.

L’homme s’en va, le repère demeure.

SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT 

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

Blogues similaires

Encore trop tôt pour sauter dans l’arène

Édition du 14 Juin 2023 | Dominique Beauchamp

ANALYSE. Les banques canadiennes pourraient rester sur le banc des pénalités quelque temps encore.

Shopify: prochaine victime de la malédiction boursière canadienne?

BLOGUE INVITE. Shopify est-elle différente des Nortel, Research in Motion, Valeant, Barrick Gold et autres?