Guerre commerciale : Xi a un atout dans sa manche contre Trump

Publié le 24/05/2019 à 22:50

Guerre commerciale : Xi a un atout dans sa manche contre Trump

Publié le 24/05/2019 à 22:50

Le président chinois Xi Jinping

Le président chinois Xi Jinping (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – La guerre commerciale s’intensifie entre Pékin et Washington, car Donald Trump estime pouvoir faire plier les Chinois en raison de leur dépendance au marché américain pour leurs exportations. Son homologue Xi Jinping a aussi un atout dans sa manche qui pourrait faire plier les Américains : leur dépendance aux terres rares, affirment des analystes.

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Les terres rares sont des minerais stratégiques utilisés dans les technologies de pointe et qui regroupent une famille de 17 éléments, dont le néodyme et le dysprosium. Ils servent à fabriquer des batteries rechargeables, des turbines d'éoliennes et d'autres applications dans les secteurs militaire, médical, scientifique et de l'aérospatiale.

Or, même si une dizaine de pays produisent des terres rares, la Chine domine de loin le marché avec une production qui a atteint 120 000 tonnes en 2018 (71% de la production mondiale), loin devant l’Australie (20 000) et les États-Unis (15 000), respectivement deuxième et troisième pays producteur, selon les données du U.S. Geological Survey.

De plus, la Chine contrôle 40% des réserves mondiales de terres rares, ce qui lui permet de dominer en grande partie la chaîne de valeur de ces minerais stratégiques, et ce, de leur extraction à leur transformation en composants pour fabriquer des technologies de pointe.

Le sol québécois est aussi riche en terres rares, selon le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.

Par contre, le Québec n’a jamais produit de ces minerais stratégiques. Avant 2012 (années où les prix de sont effondrés), on fondait beaucoup d'espoir, dans l'industrie et au gouvernement, dans le potentiel du sol québécois.

L’industrie a depuis déchanté.

Signal fort s’il en est un, le géant japonais des ressources naturelles JOGMEC (Japan Oil, Gas and Metals National Corporation) s'est retiré en 2015 d'un projet d'exploration de terres rares au nord-est de Schefferville.

Certes, la Chine doit importer de plus en plus de minerais afin d’alimenter les producteurs chinois de produits finis.

En revanche, le géant asiatique demeure le poids lourd de l’industrie, avec des exportations qui ont totalisé 53 000 de tonnes en 2018 (44% de sa production), rapporte la chaîne publique Radio France Internationale.

La «game» que pourrait jouer Xi Jinping

Pourquoi les terres rares sont-elles sur l’écran radar des analystes, alors que les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine s’accentuent?

C’est en raison d’une visite, il y a quelques jours, du président chinois Xi Jinping chez JL Mag Rare-Earth, un producteur d’aimants contenant des terres rares, qui exploite une usine dans la province du Jiangxi.

Une visite qui n’a rien d’un hasard, et qui vise à envoyer un message clair aux Américains, selon Ryan Castilloux, directeur d’Adamas Intelligence, une firme spécialisée dans les terres rares.

«Cette visite indique que les Chinois savent non seulement que les terres rares sont importantes pour les industries américaines de haute technologie, mais aussi pour le secteur de la défense», dit-il en entrevue au Financial Times de Londres.

Cette visite de Xi Jinping a suivi la décision de Washington de mettre sur une liste noire le géant des télécommunications chinois Huawei, alors que les Américains et les Chinois se livrent une bataille pour le contrôle de la 5G dans le monde.

Malgré la guerre commerciale, l’administration Trump s’est toutefois bien gardée d’imposer des tarifs sur les importations de terres rares aux États-Unis, étant donné leur importance stratégique pour de nombreux secteurs de pointe.

Pour forcer les Américains à mettre de l’eau dans leur vin, Pékin pourrait limiter les exportations de terres rares aux États-Unis, comme il l’a fait en septembre 2010 contre le Japon (un important importateur) à la suite d’une dispute maritime en mer de Chine.

La Chine a suspendu ses exportations de terres rares au Japon en 2010

La Chine avait alors suspendu ses exportations de terres rares vers le Japon pendant quelques semaines, après que des patrouilleurs japonais eurent arraisonné, le 8 septembre, un chalutier chinois près d’îlots disputés par Pékin et Tokyo.

Il va sans dire qu’une telle stratégie aurait un impact majeur sur les industries de pointe aux États-Unis, sans parler de l’armée américaine, dont la priorité n’est plus la lutte au terrorisme, mais de pouvoir gagner une guerre contre la Chine, selon le magazine américain Foreign Policy.

Cela dit, limiter ou bloquer complètement les exportations chinoises de terres rares aux États-Unis avec des tarifs douaniers par exemple est une arme à double tranchant, soulignent des analystes.

RBC Marchés des Capitaux affirme qu'une interdiction chinoise pourrait favoriser le démarrage de nouvelles productions de terres rares dans d'autres pays, brisant ainsi la mainmise de la Chine sur le marché mondial.

«Si la Chine augmente les prix pour les États-Unis ou l'exclut complètement, elle ne fera qu’accélérer le développement rapide de sources alternatives», souligne RBC dans une note citée par l’agence Reuters.

Le cas échéant, des pays comme le Brésil, le Vietnam, la Russie, l'Inde et l'Australie seront les premiers pays à en bénéficier parce qu’ils disposent d’importantes réserves de terres rares.

Pour réduire leur dépendance aux importations, les États-Unis peuvent aussi accroître leur production. Le Canada peut suivre le pas, car le pays est un partenaire stratégique depuis toujours pour les approvisionnements des transformateurs américains de minerais.

Aussi, si la Chine utilise l‘arme des terres rares pour faire pression sur les Américains, elle voudra sans doute le faire avec parcimonie afin d’embêter un peu les États-Unis, mais sans toutefois provoquer une pénurie de ces métaux stratégiques.

Car, à l’instar d’une partie de poker, ce qui représente actuellement un atout dans la manche de Xi Jinping face à Donald Trump pourrait se transformer en mauvaise main.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand