Le tailleur de coûts

Publié le 18/06/2011 à 00:00, mis à jour le 16/06/2011 à 15:43

Le tailleur de coûts

Publié le 18/06/2011 à 00:00, mis à jour le 16/06/2011 à 15:43

Par Dominique Beauchamp

Vêtements de sport Gildan a connu une croissance fulgurante depuis son entrée en Bourse en 1998. Elle est devenue le fabricant de t-shirts, de chandails et de chaussettes au plus bas coût, grâce à son intégration verticale et à ses usines à grand volume au Honduras. L'entreprise de Montréal aura d'ici deux ans la capacité de vendre pour 2,5 milliards de dollars américains de vêtements de base. Son président et chef de la direction Glenn Chamandy nous révèle comment il entend soutenir ce train d'enfer, tout en préservant son avantage de coûts.

Après avoir multiplié par six en 11 ans les revenus de Vêtements de sport Gildan, Glenn J. Chamandy nourrit de nouvelles ambitions. Le président et chef de la direction rêve du jour où ses t-shirts de marque privée côtoieront les sous-vêtements de marque Gildan ainsi que les marques de chaussettes Gold Toe et Auro chez le même détaillant. Pour y arriver, il appliquera le modus operandi qui a permis à l'entreprise montréalaise de se hisser parmi les grands de son secteur.

" Il s'agit d'exploiter au maximum notre méthode de production à bas coût pour occuper le plus de créneaux de prix possible dans les vêtements de base. Nous avons à peine gratté la surface du marché des détaillants américains auprès desquels Fruit of the Loom et Hanes, par exemple, réalisent des ventes de sept milliards de dollars américains (G$ US) ", a expliqué M. Chamandy, au cours d'une longue entrevue accordée au siège social de Gildan, au centre-ville de Montréal.

De telles aspirations imposent un train d'enfer à l'entreprise et à ses troupes. À cet égard, M. Chamandy, un bourreau de travail, prêche par l'exemple, confie Lawrence Sellyn, premier vice-président, chef des services financiers et administratifs, de Gildan. " La fierté d'atteindre nos objectifs et la réussite de l'entreprise sont une sorte de religion ", dit-il.

" Tel le coach d'une équipe sportive, M. Chamandy est exigeant, mais il fait gagner son équipe, qui, en retour, lui est fidèle ", fait remarquer Claude Proulx, analyste chez BMO Marchés des capitaux.

Économiser avant de vendre

M. Chamandy consacre une semaine par mois à visiter les usines de Gildan, au Honduras surtout, pour s'assurer que leur exploitation est rondement menée. Cette rigueur s'impose : des ratés de production à son usine en République dominicaine, en 2008, ont fait perdre à Gildan des millions de dollars de ventes.

" M. Chamandy peut expliquer en détail quelle étape précise dans la longue chaîne de production fait économiser temps et argent ", dit Michael Hakes, vice-président, actions, chez McLean Budden, qui a visité les installations honduriennes.

Une telle obsession est cruciale pour une entreprise dont les coûts de main-d'oeuvre ne représentent que 10 % des coûts totaux de production. " Nous vendons aujourd'hui nos t-shirts pour environ 1,75 $ US l'unité aux grossistes. C'est un tiers de moins qu'en 1993 ", indique M. Chamandy.

Or, le prix du coton a doublé depuis 12 mois, et le prix du carburant a triplé depuis la crise de 2008.

Cette culture des bas coûts lui a été inculquée par son grand-père Joseph, un fabricant de vêtements pour enfants, qui lui a enseigné qu'en affaires " tu ne fais pas d'argent, tu en économises ". " C'est logique, puisque toute entreprise contrôle davantage ce qu'elle dépense que ce qu'elle vend. Depuis son décès en 1982, je me suis souvent demandé ce qu'il aurait fait à ma place ", confie M. Chamandy.

L'homme d'affaires juge que son rôle consiste de plus en plus à développer dans toute l'organisation l'approche encore entrepreneuriale de Gildan, à poursuivre sa quête perpétuelle des plus bas coûts et à maintenir la discipline financière d'une société ouverte. " Je demande souvent aux employés quelle décision ils prendraient si l'entreprise leur appartenait. "

140 millions de nouvelles économies

La course aux plus bas coûts de production est un marathon sans fil d'arrivée chez Gildan, car maintenir cet avantage concurrentiel est déterminant pour la croissance des ventes et des bons rendements financiers.

" Nous avons vu juste en installant des chaînes de production à très grande échelle dans les Caraïbes. Nos concurrents nous ont imités depuis, mais nous creusons sans cesse notre avance en investissant environ 10 % de nos revenus dans les modes de production les plus efficaces ", explique avec une animation évidente Glenn Chamandy.

Sur le marché américain, Gildan estime avoir sur les fournisseurs asiatiques un avantage de coût de 50 %, coût qui comprend l'approvisionnement en coton, le transport, la main-d'oeuvre et les frais de douane.

Cet avantage lui vaut une marge d'exploitation supérieure de 5 % à celle de ses concurrents, précise Hughes Bourgeois, analyste de Financière Banque Nationale.

Pour maintenir son avance, l'entreprise a déterminé 140 millions de dollars (M$) de nouvelles économies à réaliser d'ici cinq ans. " Elles feront surtout sentir leur effet dans les trois premières années ", dit M. Chamandy.

Gildan a récemment commencé à récupérer toutes les retailles de textiles de ses chaînes de production du Honduras et de République dominicaine. Ce coton est déchiqueté puis envoyé à son usine de filage américaine qui le retransforme en fil de coton.

" Ce processus coûte environ 0,50 $ US la livre, y compris le transport. C'est du coton que nous n'avons plus à acheter à 1,50 $ US la livre. Finalement, la filature sera faite sur place, et nous économiserons aussi les frais de transport ", explique M. Chamandy.

D'ici 2012, une nouvelle usine de mélange des teintures et des produits chimiques sera pleinement fonctionnelle, au Honduras. Gildan pourra ainsi se procurer les concentrés chimiques directement chez les fabricants en Inde et en Chine - ils seront donc moins coûteux -, et les diluer elle-même sur place, ce qui réduira ses coûts de transport.

Depuis l'an dernier, l'usine de textile de République dominicaine et deux usines de chaussettes au Honduras produisent déjà de la vapeur à partir de biomasse - des résidus agricoles et certains déchets de production. Ce processus réduit l'utilisation du mazout comme combustible pour le chauffe-eau nécessaire à la coloration des chandails.

Gildan installe actuellement des systèmes semblables pour alimenter en vapeur les trois usines de textile du Honduras. Ces systèmes de génération de vapeur représentent des économies d'environ 25 millions de dollars américains pour l'entreprise. " La vapeur est produite à un coût de carburant équivalant à 30 $ US le baril, alors que son prix sur le marché est trois fois plus élevé. Nous obtenons aussi des crédits de carbone. "

La nouvelle méga-usine en construction Rio Nance 5, au Honduras, incorporera aussi l'utilisation de la biomasse pour alimenter ses chauffe-eau. Elle entrera en production au cours de 2011, mais fonctionnera à pleine capacité l'an prochain.

" Comme toutes nos usines utiliseront 6 000 gallons d'eau à la minute, chauffée à 300 degrés en 2012, on peut imaginer les économies ", ajoute M. Chamandy.

Au final, le président et chef de la direction de Gildan aimerait que les usines deviennent autosuffisantes en électricité. " Il suffirait d'ajouter une turbine au processus de génération de vapeur pour que nous puissions réduire davantage notre facture d'électricité au Honduras ", précise-t-il.

Gildan envisage l'achat de terrains pour faire pousser une plante similaire à la canne à sucre. Les terres seraient irriguées grâce à l'eau que Gildan traite sur son site.

Toutes les étapes de la chaîne de Gildan sont continuellement passées au peigne fin pour réduire davantage les coûts. " Nous évaluons aussi nos méthodes de manutention. Par exemple, nous changeons la configuration des palettes de bois pour le transport de nos vêtements afin d'augmenter de 8 % la quantité de marchandises dans chaque conteneur. Cette configuration respecte les spécifications des bateaux qui emprunteront le canal de Panama élargi à partir de 2014. "

À L'ASSAUT DU MARCHÉ DES VÊTEMENTS DE BASE

Malgré des fondations solides, Gildan doit relever un nombre croissant de défis. Par exemple, la multiplication de ses produits va de pair avec la forte croissance qu'elle connaît. Voici comment Glenn Chamandy entend soutenir son élan de croissance.

De multiples voies de croissance

Gildan s'approprie 61 % du marché des t-shirts et chandails vendus aux imprimeurs sérigraphes qui y apposent des logos et des images. M. Chamandy croit possible de faire passer sa part de ce marché à 70 % et d'y doubler ses revenus, d'ici cinq ans.

Gildan compte aussi écouler davantage de ses chandails à imprimer auprès d'autres grossistes nationaux qui offrent directement leurs chandails à des entreprises telles que Disney, un marché auquel elle a commencé à s'attaquer en 2010. " C'est un marché estimé à un milliard de dollars américains (G$ US) aux États-Unis. Chaque tranche de 5 % de ce marché représente environ 100 M$ de revenus additionnels ", précise M. Chamandy. Gildan vise 30 % de ce marché. Les marchés internationaux constituent pour Gildan un autre axe d'expansion à explorer, en fonction de sa capacité de production. L'entreprise peut aller y chercher des revenus additionnels de 300 M$ US.

Pour l'instant, elle estime avoir une part de 15 % du marché des grossistes de chandails en Europe et de 10 % de celui au Mexique. En Asie, Gildan vend aux grossistes d'Australie, du Japon, de la Corée et des Philippines. " Le marché de la Chine est le plus prometteur, car il croît de 30 % par année, mais nous procédons graduellement ", explique M. Chamandy. Aller chercher 15 % du marché chinois représente des revenus additionnels de 240 M$ US.

Après tout, Gildan vient à peine de se doter d'une première usine de tricot, de teinture, de finition, de coupe et de couture, pour la fabrication de t-shirts de qualité supérieure tricotés avec du fil à anneaux au Bangladesh, acquise au coût de 15 M$ US, en février 2010. Sa capacité de production sera bientôt doublée à cinq millions de douzaines. Gildan doit adapter ses produits pour les ajuster au gabarit plus petit des consommateurs asiatiques.

Les chaussettes : le cheval de Troie du détail

Le marché des détaillants - où Gildan vend directement à de grandes chaînes - est sans doute le marché le plus porteur de croissance, mais aussi le plus difficile à servir. " Les détaillants ont un pouvoir d'achat immense, des exigences très précises en matière de livraison et d'emballage ", explique M. Proulx, analyste chez BMO Marchés des capitaux.

Gildan a repéré cette voie d'expansion en 2005, grâce à sa part déjà dominante du marché des t-shirts à imprimer aux États-Unis. Elle a construit une usine de chaussettes au Honduras et a acquis les fabricants Kentucky Derby Hosiery en 2006 et V.I. Prewett & Son en 2007, afin de se doter d'une base de clients et d'un réseau de distribution.

Pour accélérer sa percée, Gildan a aussi senti le besoin d'acheter le fournisseur de chaussettes Gold Toe Moretz Holdings pour 350 M$ US, en avril.

" Gold Toe est partout où nous ne sommes pas. Quelque 90 % de nos clients sont des grands détaillants de masse ; ces clients représentent seulement le quart des ventes de Gold Toe. Nous fabriquons surtout des produits sans marque. Gold Toe est avant tout une organisation de mise en marché de multiples marques propres et licencées ", explique le président et chef de la direction de Gildan.

Avec une base de revenus de 600 M$ générés par les ventes de chaussettes, Gildan se classe parmi les cinq premiers fournisseurs de chaussettes en Amérique du Nord. À mesure que sa capacité de production le permettra, Gildan compte fabriquer certaines des chaussettes que Gold Toe importe d'Asie. " Nous rapatrierons la fabrication de ses produits à plus grand volume les plus intéressants ", dit M. Chamandy. Ultimement, Gildan pourrait confectionner des sous-vêtements de marque Gold Toe, Auro, All pro, entre autres.

Gildan vend la marque licencée de sous-vêtements Starter dans 100 magasins Walmart depuis l'an dernier. Gildan vend aussi des vêtements de base pour hommes sous sa propre marque dans 5 100 magasins de chaînes régionales, telles que Boscov, de Pennsylvanie. Elle fournit aussi des chaussettes de marque privée à Dollar General.

En outre, le géant ajoute sans cesse de nouveaux produits à sa gamme, dont les vêtements de travail ainsi que les uniformes et les chandails de coton de performance. Ces nouveaux produits ajouteront, pour leur part, 100 millions de dollars à ses ventes au cours des prochaines années, estime M. Chamandy.

Pour réaliser ses ambitions et répondre à la demande, Gildan termine la construction d'une cinquième usine au Honduras. Lorsque cette usine fonctionnera à plein régime en 2013, la production totale de Gildan atteindra 2,5 G$ US, 92 % de plus que les revenus de 1,3 G$ US réalisés en 2010.

SAVIEZ-VOUS QUE...

L'action de Gildan est passée de 0,75 $ à 35,10 $, depuis son entrée en Bourse en 1998

Sa valeur boursière a explosé de 70 millions de dollars à 4,3 milliards de dollars (G$) en 13 ans

Ses revenus sont passés de 224 M$ US en 1999 à 1,3 G$ US en 2010

Ses bénéfices ont crû au rythme annuel composé de 23 %, depuis 1999

La capacité de production accrue de ses usines pourra générer des revenus de 2,5 G$ US d'ici 2013

11,2 M$ La rémunération totale de M. Chamandy, en 2010, le classe au 1er rang québécois du classement Les Affaires. Elle comprend l'attribution spéciale de 8,4 M$ d'unités d'actions et d'options, auxquelles il aura droit en octobre 2019, si le conseil d'administration est satisfait de son rendement.

1,75 $ US

Prix de vente moyen d'un t-shirt à imprimer, de 33 % inférieur à ce qu'il était en 1993.

CV

Nom : Glenn J. Chamandy

Âge : 50 ans

Parcours : M. Chamandy a fait ses classes, en 1981, à l'âge de 20 ans, chez le fabricant de vêtements pour enfants Harley fondé par son grand-père Joseph. Après son décès en 1982, Glenn Chamandy, son frère Gregory et leur mère ont repris les rênes de Harley. En 1984, les frères Chamandy ont fondé le fabricant de tissus Gildan Textiles pour approvisionner Harley. En 1992, Harley a fermé ses portes, et Gildan est devenu un fabricant de chandails. Glenn Chamandy a été président et chef de l'exploitation de Gildan jusqu'en août 2004, puis il a remplacé son frère Gregory en tant que chef de la direction, quand ce dernier a vendu toutes ses actions et a quitté Gildan pour s'adonner à d'autres passions.

Famille : M. Chamandy est père de deux enfants.

Loisirs : Il s'adonne à la pêche au saumon à Baie-Comeau et à Sept-Îles.

Son mentor : Son grand-père Joseph

dominique.beauchamp@transcontinental.ca

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