Cet homme peut-il rétablir les ponts avec la Chine?

Publié le 06/09/2019 à 20:45

Cet homme peut-il rétablir les ponts avec la Chine?

Publié le 06/09/2019 à 20:45

Le nouvel ambassadeur du Canada en Chine Dominic Barton (source photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – L’homme d’affaires Dominic Barton est le nouvel ambassadeur du Canada en Chine. Les attentes sont grandes, alors que les tensions sont plus tendues que jamais entre Pékin et Ottawa. Or, il faut réduire nos attentes, car il hérite d’une situation difficile qui nécessite de manoeuvrer avec finesse à long terme.

Aussi, les entreprises et les investisseurs canadiens actifs en Chine qui s’attendent à un réchauffement rapide de nos relations avec les Chinois risquent de déchanter. Il est plus réaliste de miser sur rapprochement graduel entre les deux pays, sans exclure du reste l’impossibilité de revenir à la case départ aux niveaux politique et économique.

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La crise diplomatique entre le Canada et la Chine a débuté en décembre.

La police canadienne a alors arrêté la cheffe de la direction financière de Huawei, Meng Wanzhou (la fille du fondateur du géant chinois des télécoms), lors d'une correspondance à Vancouver, et ce, à la demande de la justice américaine.

Cette dernière demande son extradition afin qu’elle réponde à des accusations de fraude en lien avec des contrats que Huawei aurait conclus avec l'Iran, ce qui contrevient aux sanctions américaines décrétées contre Téhéran.

Aux yeux des Chinois, l’arrestation de Mme Meng au Canada est inacceptable et perçue comme une espèce de trahison d’un pays relativement ami à l’égard la Chine.

Après son arrestation, les autorités chinoises ont arrêté deux Canadiens en Chine, l'ancien diplomate Michael Kovrig et l'homme d'affaires Michael Spavor, qui croupissent en prison dans des conditions très difficiles (Mme Meng est quant à elle assignée à résidence à Vancouver).

Officiellement, la Chine dit détenir les deux Canadiens au nom de la sécurité nationale. Pékin soupçonne entre autres Michael Kovrig d'espionnage et de vols de secrets d'État. Or, selon Ottawa, les autres puissances occidentales et la quasi-totalité des analystes, ces deux arrestations sont en fait une mesure de représailles à l'arrestation de Mme Meng, ce que dément le gouvernement chinois.

Un citoyen manifestant à Vancouver en faveur des deux Canadiens emprisonnés en Chine (source photo: Getty Images)

Tout comme on assimile également à des mesures de représailles la décision de la Chine de suspendre, en juin, les importations de porc et de bœufs canadiens pour des raisons de santé publique liées à la qualité de la viande canadienne.

En mars, Pékin a aussi bloqué les importations de canola canadien, également pour des motifs de santé publique.

Les forces et les faiblesses de Dominic Barton

Bien entendu, la nomination de Dominic Barton (il entrera bientôt en fonction) ne peut pas nuire à nos relations avec la Chine, car cet ancien dirigeant de la firme internationale de consultants McKinsey connaît très bien ce pays.

Il a non seulement brassé longtemps des affaires en Chine et en Asie, mais il a aussi habité quelques années à Shanghai -il ne parle toutefois pas mandarin.

Cet économiste de formation a aussi un grand réseau d’affaires et politique en Chine. Il a déjà fait partie du comité aviseur de la China Development Bank Capital, en plus d’être professeur adjoint à la prestigieuse Université Tsinghua, à Pékin, selon le Globe and Mail.

Enfin, comme il connaît bien les rouages de l’économie chinoise, Dominic Barton comprend parfaitement les besoins et les risques des entreprises et des investisseurs canadiens en Chine, ce qui représente un avantage important pour le Canada inc.

Par contre, l’ancien dirigeant de McKinsey a un gros talon d’Achille : ce n’est pas un diplomate de carrière expérimenté, qui maîtrise la politique chinoise et la complexité de l’appareil étatique du pays, selon un ancien diplomate.

De plus, sa principale mission, convaincre Pékin de libérer les deux Canadiens emprisonnés en Chine, sera une tâche très difficile.

Certes, la solution la plus simple pour faire libérer les deux hommes serait que les États-Unis renoncent à extrader Meng Wanzhou.

Par contre, il est difficile d’imaginer la justice américaine retirer les accusations portées contre la dirigeante de Huawei, à moins bien entendu que de nouvelles informations ne la disculpent.

De plus, comme les États-Unis sont un État de droit, une éventuelle intervention du président Trump pour tenter d’influencer la justice américaine est vouée à l’échec.

C’est la même sitution au Canada, qui est aussi un État de droit.

Ottawa ne peut pas demander à la justice canadienne de libérer la dirigeante de Huawei tel que l’exige la Chine. Le système canadien de justice ne fonctionne pas comme le système de justice chinois : les pouvoirs policiers et judiciaires ne sont pas aux ordres du pouvoir politique.

Les rapports de force du Canada

Dans ce contexte, le nouvel ambassadeur canadien devra tenter de négocier avec la Chine en tenant compte de cette réalité et des rapports de force à sa disposition, car il y en a quelques-uns, selon certains analystes.

1.Retarder le libre-échange avec la Chine : Ottawa peut aviser Pékin qu’un éventuel accord de libre-échange avec le Canada (comme le souhaitent les Chinois depuis des années) pourrait être retardé, voire ne jamais être conclu, si jamais la Chine continue de s’en prendre à ses citoyens et à ses intérêts économiques.

2.Limiter les exportations chinoises au Canada : Ottawa peut indiquer à Pékin qu’il peut limiter l’entrée de certains produits chinois au Canada, à commencer par les appareils électriques pour la téléphonie sans fil, les technologies de l’information ainsi que les composants automobiles. En 2018, ces trois groupes de produits représentaient 24% des exportations totales de la Chine sur le marché canadien, selon Statistique Canada.

3.Limiter les exportations canadiennes en Chine : ultimement, pour faire pression, le Canada peut aussi limiter ses principales exportations en Chine, soient des ressources naturelles et des denrées alimentaires. L’idée n’est pas ici de restreindre du jour au lendemain ces exportations canadiennes, mais de laisser entendre à Pékin que ces importations chinoises stratégiques pourraient un jour diminuer.

Dans un contexte où la Chine pâtit déjà de la guerre commerciale avec les États-Unis qui s'annonce très longue, peut-être voudra-t-elle éviter une autre guerre commerciale, cette fois avec le Canada.

La réussite de toute négociation, qu’elle soit commerciale ou diplomatique, réside dans la prise de conscience et l’utilisation appropriée de ses rapports de force.

La Chine a des rapports de force à l’égard du Canada. Elle est non seulement une superpuissance politique, mais elle aussi la deuxième économie mondiale, dont le marché de 1,386 milliard d'habitants est très important pour les entreprises et les investisseurs canadiens.

Le Canada a aussi des rapports de force face à une Chine qui y importe de plus en plus des ressources stratégiques, sans parler d’un marché domestique non négligeable de 37 millions d'habitants pour les exportateurs chinois de produits de moyenne et de haute technologies.

Reste à voir toutefois si Dominic Barton saura les utiliser à bon escient afin de persuader Pékin qu’il a tout intérêt à libérer MM. Kovrig et Spavor, tout en faisant comprendre aux dirigeants communistes que le système judiciaire canadien ne fonctionne pas comme le système judiciaire chinois.

Sans être des pays alliés, le Canada et la Chine ne sont pas pour autant des ennemis, du moins pour l’instant : les deux pays ont donc tout intérêt à résoudre dans les meilleurs délais cette crise politique et économique.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand