Pourquoi les politiciens ne doivent plus s'occuper du climat (3)

Publié le 27/10/2023 à 15:18

Pourquoi les politiciens ne doivent plus s'occuper du climat (3)

Publié le 27/10/2023 à 15:18

Ottawa devrait un jour se doter d’une institution publique indépendante – comme la Banque du Canada, même si le gouverneur est nommé par le gouvernement – à qui il confierait la lutte aux changements climatiques et la stabilisation du climat. (Photo: Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Que se passerait-il si le gouvernement fédéral contrôlait la politique monétaire en ces temps inflationnistes? Ottawa céderait sans doute aux pressions des lobbys pour ne pas augmenter les taux d’intérêt. Résultat? Les prix seraient plus élevés et hors de contrôle, avec son cortège d’effets négatifs sur l’économie. C’est pourquoi la Banque du Canada s’occupe de la politique monétaire. On devrait s’en inspirer pour le climat.

L’actualité politique vient de nous en donner un exemple éloquent.

Ce jeudi, le premier ministre Justin Trudeau a créé toute une surprise. Il a annoncé qu’Ottawa suspendait la taxe sur le carbone sur les livraisons de mazout pendant trois ans dans les provinces de l’Atlantique, en plus de bonifier l’aide pour alléger l’impact financier de la transition énergétique pour les citoyens vivant en milieu rural.

Concrètement, son gouvernement bonifie de 50% la subvention fédérale pour inciter les habitants à installer une thermopompe électrique.

Cette double annonce survient alors que les libéraux de Justin Trudeau traînent la patte dans les sondages derrière les conservateurs de Pierre Poilievre, incluant dans les provinces de l’Atlantique.

Bien entendu, la taxe sur le carbone a un impact sur le portefeuille des gens, tout comme du reste les hausses du taux directeur de la Banque du Canada et, par conséquent, des taux d'intérêt pour contrôler l'inflation.

C’est l’objectif de telles mesures.

C’est le signal de prix du carbone qui incite les citoyens à changer leurs comportements afin de réduire leur consommation de carburants fossiles pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada.

Tout comme c’est le signal des taux d’intérêt (ou du coût du crédit) qui incite les citoyens à changer leurs comportements afin de réduire leurs achats de biens durables ou immobiliers pour diminuer l’inflation.

La même logique s'applique aux entreprises.

Faisons un peu de politique-fiction.

Si Ottawa contrôlait la politique monétaire et non pas la Banque du Canada, le premier ministre aurait fort pu annoncer cette semaine également une baisse du taux directeur, et ce, afin de limiter l’impact des taux d’intérêt sur le portefeuille des électeurs.

 

Dépolitiser la lutte aux changements climatiques

Aussi, Ottawa devrait un jour se doter d’une institution publique indépendante – comme la Banque du Canada, même si le gouverneur est nommé par le gouvernement – à qui il confierait la lutte aux changements climatiques et la stabilisation du climat.

Les principales économies de la planète émettrices de GES, comme la Chine, les États-Unis et l’Inde, devraient aussi adopter cette stratégie.

Les gouvernements pourraient continuer à fixer les objectifs de réduction GES et le prix du carbone.

En revanche, ces institutions du climat indépendantes auraient carte blanche pour atteindre les objectifs, dans le cadre de la loi, en faisant fi des pressions populaires et des groupes de lobby.

Bref, elles seraient les fiduciaires du capital naturel et de sa gestion durable.

Par conséquent, elles n’auraient pas les yeux rivés sur les sondages, et elles ne seraient pas soucieuses de plaire à tout prix aux électeurs à l'approche des élections.

L’ex-premier ministre du Québec, feu Bernard Landry, ancien professeur d’économie, avait une expression savoureuse pour expliquer pourquoi c’est aux banques centrales et non pas aux politiciens de s’occuper de la politique monétaire: don’t let the rabbits watch the lettuce!

Traduction libre et signification: ne laissons pas les lapins surveiller la laitue, car ils auront nécessairement la tentation de la manger – dans le cas des politiciens, de ne pas augmenter les taux d’intérêt, ou pas suffisamment, pour lutter contre l’inflation.

En 1935, lors de la Grande Dépression des années 1930, Ottawa a créé la Banque du Canada afin qu’elle soit fiduciaire de la stabilité des prix au pays – la Réserve fédérale américaine, aux États-Unis, a été créée bien avant, en 1913.

À l’époque, les banques privées au Canada émettaient leurs propres billets. La création de la Banque du Canada a donc permis de standardiser la production des billets de banque canadiens, en plus de contrôler la masse monétaire à l’aide du taux directeur.

Au fil des décennies, la Banque du Canada a été une institution vitale pour stabiliser les prix et assurer notre prospérité économique.

L’heure est venue de se doter collectivement d’une institution similaire, mais pour stabiliser le climat et assurer notre prospérité écologique.

 

À LIRE AUSSI: 

Pourquoi les politiciens ne doivent plus s'occuper du climat

Pourquoi les politiciens ne doivent plus s'occuper du climat (2)

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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