Protection des consommateurs: la gaffe d'Ottawa!

Publié le 13/12/2016 à 11:30

Protection des consommateurs: la gaffe d'Ottawa!

Publié le 13/12/2016 à 11:30

(Photo: 123rf.com)

Ouf, hein? Vous pouvez me remercier. J’allais embarquer dans la mêlée. Quand c’est venu à l’oreille du ministre des Finances du Canada Bill Morneau, il a lâché le morceau avec sa Loi sur les banques qui allait avoir préséance sur notre Loi sur la protection du consommateur.

Tout le monde avait forcé avant moi pour ouvrir le pot, les notaires, les organismes de défense des consommateurs, le gouvernement du Québec, des sénateurs, les avocats, des collègues… Passez-moi le pot! Une fois dans mes mains, je n’ai même pas eu besoin de toucher son couvercle, il s'est ouvert comme par magie.

Quelqu’un veut un cornichon?

Ottawa a donc renoncé hier à aller de l’avant avec le pan de la loi C-29 qui touchait les banques. Sage décision à un moment où l’étoile de Justin pâlit à vitesse grand «V». Quelle mauvaise idée d'affaiblir le consommateur vis-à-vis des banques! Quelle maladresse d’essayer, pour ce faire, d’empiéter sur un champ de compétences provincial! Quelle mesquinerie de tenter de passer tout ça en douce dans un projet de loi qualifié de «mammouth».

On a beaucoup parlé du projet de loi C-29 depuis deux semaines, mais moins de celle sur laquelle elle devait faire de l’ombre, la Loi sur la protection du consommateur. Parlons-en un peu de cette loi québécoise. Elle régit les liens contractuels entre les commerçants et leurs clients. Dans les relations avec les consommateurs, ce sont les commerçants qui ont le gros bout du bâton en définissant les termes du contrat. Les clients y adhèrent, oui, mais même les plus avisés ne peuvent en anticiper la portée et peuvent se faire avoir. Alors la Loi sur la protection du consommateur délimite ce que peuvent et ne peuvent pas faire les commerçants.

Elle a 45 ans bien sonnés, la LPC. Au pays, on dit que c’est la loi de protection des consommateurs la plus sévère. Mais d’un autre côté, on affirme aussi qu’elle prend parfois du temps à s’adapter. Elle a pris un important retard par rapport à ce qu'on trouve en Europe, par exemple. Elle n’offre pas une protection blindée. Il se trouvera toujours des profiteurs pour tirer partie des failles et de la crédulité de consommateurs, souvent les moins bien informés, donc les plus vulnérables. Et on ne parle même pas des défis posés par le foisonnement des offres de services en ligne.

Mais elle a le mérite de ratisser large. En régissant les relations contractuellement entre commerçants et consommateurs, elle vient encadrer dans ce domaine autant une chaîne de commerce de détail que les institutions financières.

Outre les banques, la LPC casse particulièrement les pieds des compagnies aériennes et des fournisseurs de services de télécommunications, des industries qui, comme la plupart des banques, sont encadrées au niveau national. Quand les entreprises de ces secteurs trouvent la loi du Québec trop contraignante, ou quand elles sont poursuivies en recours collectif en vertu de la LPC, elles arguent devant les tribunaux que leur encadrement fédéral les soustrait des dispositions des lois provinciales. Débat classique qui occupe les hautes cours de justice. C’est long et coûteux. Il faut être opiniâtre pour mener ces batailles, et pour ça, il faut remercier les groupes de défenses des consommateurs d’avoir mené le combat avec les moyens du bord.

Le projet C-29 du gouvernement Trudeau promettait d’occuper bien du monde dans le système judiciaire, et ce, pour des années. Il prévoyait une protection moins efficace pour les clients des banques, mais le problème n’était là. Il affirmait sa suprématie sur les lois provinciales en se présentant comme un «régime complet et exclusif pour encadrer les relation des institutions avec les clients et le public […]»

C'est pourquoi le gouvernement fédéral a été accusé, avec raison, de vouloir niveler la protection des consommateurs par le bas tout en empiétant sur un champ de compétences provincial, en l’occurrence les relations contractuelles.

Mais il était prématuré d'affirmer que les banques allaient être libérées de la LPC. Le débat n'est pas nouveau. La Cour suprême a rendu plusieurs décisions «pro-consommateurs» par le passé. Elle s’est prononcée sur l'application de la LPC en 2014 dans une affaire impliquant la Banque de Montréal (BMO c. Marcotte) pour des frais de conversion de devises étrangères sur une carte de crédit. Je ne suis pas avocat, ni constitutionnaliste. Vous non plus. Mais avouez qu’il y a matière à s’obstiner ici dans ce passage de la décision rendue par les juges du plus haut tribunal du pays :

[…]S’il faut comprendre de l’argument des banques que le régime fédéral est censé constituer un code complet excluant l’application de toute autre disposition, alors cet argument doit également être rejeté puisque le régime fédéral est assujetti aux règles fondamentales provinciales, telles celles en matière contractuelle. Ces dernières n’empêchent pas la réalisation de l’objectif fédéral qui consiste à établir des normes complètes et exclusives, si tant est qu’un tel objectif existe; il en va de même des règles générales sur la mention des frais et les recours qui s’y rattachent: elles appuient le régime fédéral; elles ne lui nuisent pas.

Signalons seulement que ce recours collectif a été déposé en 2003, qu’il a cheminé dans le système pendant plus de 10 ans avant d’aboutir à une décision favorable aux consommateurs, en 2014. La question de fond n'était pas de savoir les banques abusaient ou non, mais plutôt si les banques étaient soumises à la LPC. Et s'il faut en coire le ministre des Finances, on n'a pas fini d'emcombrer les salles d'audience avec ce débat.

Devant la levée de boucliers qu’a provoquée C-29, Bill Morneau recule d'un pas, mais dit vouloir revenir à la charge avec un projet, certes plus sévère envers les banques, mais toujours aussi litigieux d'un point de vue constitutionnel.

Si les clients des banques peuvent espérer être mieux protégés dans les autres provinces, cela n’assure pas pour autant la prépondérance de la loi fédérale sur la Loi de la protection du consommateurs au Québec, qui, malgré sa lenteur à évoluer parfois, s'améliore sans cesse pour mieux protéger les consommateurs. Pourra-t-on en dire autant de la loi fédérale?

Le débat est loin d’être terminé. Il commence. Il recommence. 

Remerciements pour leurs lumières à Yannick Labelle et à Philippe Viel, de l'Union des consommateurs, ainsi qu'à l'avocat François Lebeau.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.