TransForce... le repos du guerrier

Publié le 09/06/2012 à 00:00, mis à jour le 07/06/2012 à 09:18

TransForce... le repos du guerrier

Publié le 09/06/2012 à 00:00, mis à jour le 07/06/2012 à 09:18

Après une année passée sur les chapeaux de roue, marquée par une succession d'acquisitions, le président et chef de la direction de TransForce, Alain Bédard, prévoit que 2012 en sera une de récupération.

«Des années de 370 M$ d'acquisitions, on ne peut pas faire ça tous les ans. [...] À un moment donné, il faut savoir ralentir, ne pas devenir fou et s'assurer de ne pas perdre le contrôle», affirme à Les Affaires celui qui peine depuis trois ans à trouver le temps de profiter de sa nouvelle résidence secondaire de Magog, dans les Cantons-de-l'Est.

Spécialisée dans quatre secteurs - la livraison de colis et de courrier, le transport de lots brisés, le transport de lots complets, et les services spécialisés (énergie, gestion des déchets, logistique) - la montréalaise TransForce est devenue, au fil de ses dernières acquisitions, un acteur majeur dans l'industrie du transport, tant au Canada qu'aux États-Unis.

Selon Bloomberg, au cours des 12 dernières années, soit depuis 1999, l'entreprise - anciennement connue sous le nom de Cabano-Kingsway - a multiplié les acquisitions pour une valeur totale de 629 M$. Plus de la moitié de cette somme a été dépensée dans trois acquisitions d'envergure, toutes réalisées au cours de l'exercice 2011.

De fait, en 12 mois, TransForce a avalé coup sur coup Dynamex, du Texas, active dans la livraison de colis et de courrier, les activités canadiennes de DHL Express regroupées depuis au sein de Loomis Express, puis IE Miller, qui exploite une des plus importantes flottes de transport d'équipement de forage aux États-Unis.

Tant et si bien qu'en 2011, TransForce a vu son chiffre d'affaires bondir de 34 %, à 2,7 milliards de dollars (G$), son bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) exploser de 29 %, à 186,4 M$, et son effectif presque doubler. De 11 600 employés à la fin de 2010, TransForce en comptait 21 330 un an plus tard, dont 6 650 entrepreneurs indépendants.

«Il ne suffit pas de les acheter, ces entreprises. Il faut aussi les intégrer, améliorer leur façon de faire, et parfois aussi, comme c'est le cas avec Loomis, procéder à leur transformation complète», explique le patron de 59 ans, comme pour s'excuser d'une année qui s'annonce plus tranquille que celle qui vient de se terminer.

Croissance organique faible

Habitués à plus d'activités de la part de TransForce, les analystes financiers ont accueilli avec une certaine déception, fin avril, l'annonce que l'entreprise se concentrerait à court terme sur l'intégration de ses nouvelles entités.

Suggérant que la croissance de TransForce ne dépende trop de ses acquisitions, l'analyste Turan Quettawala, de Banque Scotia, se désolait que la «croissance interne de l'entreprise demeurait faible dans la plupart des segments» et que tout indiquait qu'il en serait ainsi pendant encore 12 mois, «étant donné que la reprise économique est lente et la concurrence, ardue.»

Quoi qu'il en soit, à défaut d'acquisitions, les efforts d'intégration en cours auraient déjà permis à l'entreprise d'améliorer au premier trimestre 2012 ses marges bénéficiaires de 1,7 % tous secteurs confondus, soulignait, le 29 avril, l'analyste Jason Granger, de BMO Marchés des capitaux.

Déjà deux nouvelles acquisitions

Mais imaginer une année de disette reviendrait à mal connaître l'acquéreur en série qu'est Alain Bédard.

À preuve, depuis janvier, celui qui a fait ses classes chez Saputo (1996-2007), a conclu l'acquisition de deux sociétés : Quick X, dans le transport de lots brisés, et certains actifs de Peak USA Energy Services, une filiale de Nabors Industries, spécialisée dans le déplacement d'équipements de forage.

Au total, ces deux transactions auront requis des déboursés de 75 M$ de la part de TransForce, qui prépare une troisième acquisition, celle-là dans le secteur de la livraison de colis, laisse tomber M. Bédard, natif de Saint- Hyacinthe. Et tout indique que cette troisième transaction, d'une centaine de millions, se fera aux États-Unis.

C'est sur ce territoire principalement que ce diplômé en administration de l'Université de Sherbrooke voit la croissance de TransForce. La taille du marché («C'est 10 fois plus grand.»), la force du huard par rapport à la devise américaine et les frais de financement qui y seraient moins élevés (jusqu'à 1 %) qu'au Canada justifient cette stratégie, selon M. Bédard.

L'homme fort de TransForce compte continuer de s'implanter au sud de la frontière dans deux secteurs. D'abord, celui de la livraison de colis et de courrier, qui lui procure déjà «le meilleur rendement sur actif de l'entreprise», souligne M. Bédard. Par ailleurs, c'est le secteur qui connaît la plus grande croissance chez TransForce. De 2010 à 2011, ses revenus ont presque triplé, bondissant de 69 %, à 971 M$.

Ensuite, autre secteur de prédilection, celui de l'énergie et autres services connexes. TransForce est devenue, grâce entre autres au développement des sables bitumineux dans l'Ouest canadien, le plus important déménageur de plateformes pétrolières en Amérique du Nord. «Les Américains ont commencé à comprendre qu'ils devaient devenir autosuffisants. Dans leur pays, les activités de forage sont plus nombreuses que jamais.»

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que M. Bédard se soit établi dans l'Ouest au cours des dernières années. Sa résidence principale se trouve à Calgary, il possède un pied-à-terre en Utah, et TransForce a des bureaux à Denver, Dallas et Houston.

Cette décentralisation géographique permet à la québécoise d'être perçue comme américaine aux États-Unis et comme canadienne au Canada. «Oui, la direction de TransForce demeure à Montréal, assure M. Bédard. Mais j'ai 15 % de mon actionnariat qui est américain. Et demain, ce sera 25 %.»

Une dette sous surveillance

Mais qui dit acquisitions en série dit hausse de la dette, et TransForce n'échappe pas à la règle. À la fin de l'exercice 2011, l'entreprise faisait face à une dette à long terme de 863 M$, comparativement à 633,9 M$ un an plus tôt, en hausse de 230 M$, ou 36 %, malgré des acquisitions de 370 M$, s'est targuée la direction lors de sa dernière assemblée annuelle.

L'analyste Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, qualifie cette dette de suffisamment «significative» pour souhaiter la voir diminuer. Comme aucune échéance de remboursement n'est prévue avant deux ans, l'analyste se dit à l'aise avec la situation financière de l'entreprise.

L'ENTREPRISE D'UN SEUL HOMME ?

Homme-orchestre, Alain Bédard l'est certainement. D'ailleurs, en entrevue avec Les Affaires, le grand patron de TransForce se compare spontanément à un «chef d'orchestre». De là à dire que TransForce est l'entreprise d'un seul homme, il y a un pas, que le premier intéressé ne franchit pas.

Il n'en demeure pas moins qu'en plus de cumuler les postes de président et de chef de la direction de TransForce, M. Bédard agit également à titre de chef de la direction financière et de président de son CA.

Est-il raisonnable de concentrer autant de pouvoirs dans les mains d'un seul homme ? «Certainement pas», répond sans hésitation Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP).

«Alain Bédard est un excellent gestionnaire. L'entreprise se porte bien, et l'intégrité de M. Bédard n'est nullement mise en doute. Par contre, il est imprudent pour une entreprise de laisser autant de pouvoirs entre les mains d'une seule personne.»

«Qu'adviendrait-il de l'entreprise si M. Bédard avait un accident ? demande-t-il. Et puis, l'erreur est humaine. Tout le monde, y compris les personnes les plus compétentes, a besoin d'un contrepoids.»

Le CA que préside M. Bédard juge des activités d'une entreprise dirigée par M. Bédard (président et chef de la direction), sur la base des données financières, également fournies par M. Bédard (chef de la direction financière), poursuit M. Nadeau. «Il faudrait absolument une diversification des sources d'information et de l'expertise dans cette entreprise.» En particulier dans une entreprise qui, comme TransForce, traverse une période d'acquisitions en série.

Le fait qu'autant de pouvoirs soient confiés à un seul homme nous ramène à cette époque où des entreprises étaient contrôlées par les membres d'une seule famille, estime M. Nadeau. Aujourd'hui, les trois quarts des entreprises du Québec ont séparé les fonctions de président du conseil et de chef de la direction de l'entreprise. Ce serait déjà un premier pas, à son avis.

Le poste de chef de la direction financière était occupé jusqu'au 24 août 2009 par Salvatore Vitale, devenu chef de la direction financière de Farley WinDoor. M. Bédard assume l'intérim depuis trois ans.

«Écoutez, les finances, j'ai fait ça toute ma vie, explique M. Bédard. Ensuite, mes vice-présidents finances (Martin Quesnel) et administration (Ken Tourangeau) sont deux gars très solides, qui travaillent avec moi depuis plus de 10 ans. En réalité, être chef de la direction financière n'est vraiment pas, pour moi, une grosse affaire.»

C'est pourquoi il n'est pas question pour l'instant de nommer un directeur financier. «Non. C'est ça. On ne peut jamais dire jamais, mais on n'en cherche pas un en tout cas !»

Quant à la direction du conseil et de l'entreprise, M. Bédard affirme avoir réussi à réduire le poids de ses tâches en mettant en place, il y a un an, une équipe composée de cinq vice-présidents principaux pour l'épauler dans l'exploitation quotidienne de l'entreprise.

Cette équipe est composée de Jean-François Dodier, Marc Fox, James P. Houston, Brian Kohut et Bob O'Reilly, tous déjà présents chez TransForce. Un sixième, et peut-être un septième, v.-p. exécutif pourrait être nommé sous peu, dit le président.

«IL FAUT EN LAISSER AUX ACTIONNAIRES»

Depuis un an, TransForce a augmenté le dividende à deux reprises, une hausse totale de 30 %. De 0,40 $ l'action, ce dividende est passé à 0,52 $. Et s'il faut en croire le président de la société, Alain Bédard, ce n'est pas demain la veille qu'il cessera de croître. «Je pourrais me contenter de réduire la dette. Mais contrairement à d'autres, j'applique toujours le même principe : il faut en laisser aux actionnaires.»

De 2002 à 2008, alors qu'elle était une fiducie de revenu, TransForce a augmenté ses distributions aux porteurs de parts à 14 reprises. De 1,14 $ la part en 2002, sa distribution s'élevait à 1,59 $ six ans plus tard.

«C'était une autre époque, reconnaît le président et chef de la direction de TransForce. Mais les faits parlent quand même d'eux-mêmes, ajoute-t-il. Je crois qu'il est injuste de laisser le rendement de nos actionnaires ne dépendre que du mouvement de nos actions en Bourse, un élément sur lequel nous n'avons, finalement, que très peu de contrôle.»

Convertie en société par actions en 2008, TransForce a toujours versé un dividende depuis.

Est-ce qu'elle poursuivra dans cette voie ? «Tant et aussi longtemps que nous serons capables de garder un équilibre et d'augmenter nos flux de trésorerie de façon durable, c'est sûr que nous continuerons d'améliorer le dividende que nous versons aux actionnaires», assure M. Bédard.

Survol des données financières

2011 / 2010 / Variation (en %)

Revenus 2,7 G$ / 2 G$ / + 34

Profit net 100,8 M$ / 99,1 M$ / + 1,7

Répartition géographique des revenus

Canada 64 %

États-Unis 36 %

Un marathon d'acquisitions

Dynamex 23 février 2011

DHL Express Canada (intégrée à Loomis Express) 26 juin 2011

IE Miller 30 novembre 2011

Quik X 1er janvier 2012

Peak USA (certains actifs) 19 avril 2012

TRANSFORCE

Dix analystes suivent le titre

9 analystes en recommandent l'achat

1 recommande de le conserver

0 de le vendre

Sources : Rapport de gestion et états financiers consolidés de TransForce, exercice 2011

Le titre de TransForce a doublé depuis sa transformation en société par actions

8,34 $ (23 mai 2008)

18 $ (1er juin 2012)

Source : Bloomberg

12 %

Proportion des revenus totaux annuels (17 % du BAII) de TransForce en 2011 qui provenaient de l'industrie pétrolière.

Par l'intermédiaire de Jolina Capital, la famille Saputo contrôle 16,71 % de l'actionnariat de TransForce, ce qui en fait son actionnaire le plus important. Son président, Alain Bédard, est le deuxième actionnaire en importance, avec 4,51 % des actions. Source : Bloomberg

martin.jolicoeur@tc.tc

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