«Si votre marque disparaissait demain, les consommateurs la regretteraient-ils ?» - Seth Godin, auteur et spécialiste du marketing

Publié le 29/10/2011 à 00:00

«Si votre marque disparaissait demain, les consommateurs la regretteraient-ils ?» - Seth Godin, auteur et spécialiste du marketing

Publié le 29/10/2011 à 00:00

We are all weird, affirme le 14e livre de Seth Godin, qui vient de paraître. Le spécialiste du marketing et conférencier ne recule devant rien pour faire passer ses messages. En conférence comme sur son blogue, il se plaît à bousculer son interlocuteur. Je me suis entretenue avec lui à New York, dans le cadre du World Business Forum.

DIANE BÉRARD - Vous écrivez que nous sommes tous bizarres. Pourquoi le suis-je ?

SETH GODIN - Rassurez-vous, vous n'êtes pas plus bizarre que moi ! Comme l'évoque le titre de mon dernier livre, nous le sommes tous à notre manière. Les entreprises l'ont nié pendant des années. Et plusieurs le nient encore. Il est tellement plus facile de fabriquer des produits ou d'offrir des services destinés à «la moyenne». Or, la moyenne existe de moins en moins. Si vous prenez la fameuse courbe en forme de cloche des consommateurs, vous constaterez que le sommet est de plus en plus plat et les côtés de plus en plus étendus. La majorité des consommateurs ne se trouvent plus nécessairement au centre.

D.B. - Pourquoi trouve-t-on davantage de consommateurs bizarres qu'avant ?

S.G. - C'est d'abord une question de richesse. Lorsque vous êtes pauvre, vous n'avez pas le luxe de vous questionner sur vos goûts particuliers, encore moins de les exprimer. La naissance d'une classe moyenne dans certains pays contribue à la différenciation des consommateurs. Le Web ajoute à ce phénomène. Il nous permet de trouver des gens qui affichent les mêmes goûts que nous. Jusqu'à présent, nous nous pensions seuls et n'osions exprimer nos besoins différents. Les «bizarres» se trouvent et se regroupent. Ils ont aussi tendance à accentuer leur «bizarrerie». Cela crée des demandes qui n'existaient pas avant la démocratisation du Web.

D.B. - Vous avancez aussi une raison «morale» pour le droit du consommateur à la différence. Expliquez-nous.

S.G. - Lorsque vous décidez pour quelqu'un ce qui est bon pour lui, vous lui enlevez son libre arbitre et, souvent, sa dignité. Pensez aux pauvres en Inde. On leur parachute des sacs de riz sans se demander si c'est ce dont ils ont envie. Supposons maintenant que vous leur offrez le choix d'acheter, à faible coût, la denrée qu'ils préfèrent. Vous leur redonnez le contrôle de leur destinée, vous respectez leur différence. Le même raisonnement s'applique en affaires. C'est un manque de respect de la part des entreprises d'imposer les mêmes produits à tout le monde alors que nous n'avons pas tous les mêmes goûts. C'est une forme de dictature corporative qui, je crois, tire à sa fin.

D.B. - Votre discours est très contrariant pour les entreprises...

S.G. - Elles ont le choix : être contrariées ou réagir.

D.B. - Comment devraient-elles réagir ?

S.G. - Elles pourraient commencer par réunir leurs employés et leur dire : «Dès maintenant, nous cessons de traiter les demandes hors normes comme des sources de contrariété».

D.B. - Les entreprises ont-elles ce qu'il faut pour traiter les exceptions ?

S.G. - Oui, grâce à la technologie. Prenez Zappos, Amazon et Virgin, elles possèdent toutes suffisamment d'information sur leurs clients pour répondre à leurs demandes spécifiques. Mais, il n'est pas uniquement question de répondre à toutes les demandes différentes des clients en même temps. Une entreprise peut aussi choisir de se concentrer sur une cliente marginale. C'est le cas du secteur bancaire, une industrie archiconservatrice, où rien ne distingue une offre d'une autre. À offres semblables, rendements semblables et croissance nulle ! Imaginons maintenant qu'une institution choisisse d'offrir un service qui requière une valeur ajoutée particulière, le soutien aux municipalités en difficulté par exemple. Ce n'est peut-être pas glamour, mais c'est drôlement utile... et rare. Alors, vous avez d'un côté les Bank of America de ce monde qui servent la masse en ne satisfaisant personne et, de l'autre, les petites institutions financières inconnues qui font des affaires d'or en comblant les besoins des clients à la marge.

D.B. - Changer son modèle d'entreprise représente tout un défi...

S.G. - Pour l'entreprise qui attend d'être acculée au pied du mur, certainement. Prenez le cas d'American Express. Elle a PayPal dans les jambes depuis plusieurs années déjà. Que fait-elle ? Rien. Elle estime que cela ne la concerne pas. Il est aujourd'hui trop tard. American Express aurait dû choisir un petit groupe d'employés, les plus créatifs, les isoler du groupe et les laisser imaginer une autre American Express.

D.B. - Vous tentez vous-mêmes de changer le modèle d'entreprise du monde de l'édition avec le projet Domino. Expliquez-le-nous.

S.G. - Quelles étaient jusqu'à présent les prémisses du secteur de l'édition ? Publier un livre coûtait cher, prenait du temps et représentait un risque financier important, car il fallait rejoindre un grand nombre de lecteurs pour amortir les frais. Rien de tout cela n'est encore vrai. Publier un livre électronique ne coûte presque rien, je n'ai donc pas à en vendre des tonnes pour rentabiliser mon affaire. Et, grâce aux médias sociaux, je peux trouver facilement les communautés de lecteurs que le thème de mon livre intéresse. Pour le projet Domino, nous nous sommes associés à Amazon. Nous en sommes à notre huitième livre. Tous ont été des succès de vente.

D.B. - Songez-vous à abandonner le marketing pour devenir éditeur ?

S.G. - Grand Dieu, non ! Je voulais simplement offrir à ce secteur un modèle qui fonctionne afin que quelqu'un puisse me le voler.

D.B. - Vous affirmez qu'il devient de plus en plus difficile de vendre à des étrangers. Pourquoi ?

S.G. - Parce que les consommateurs ont de plus en plus de choix. Je peux ignorer des tas de marques si ça me chante. J'ai une question difficile pour les entrepreneurs : si leur marque disparaissait demain matin, les consommateurs la regretteraient-ils ? Je vous donne deux exemples : Apple et Montreal Bagels. Si Apple disparaît, imaginez le nombre de consommateurs en deuil. Apple occupe une place énorme dans la vie de nombreuses personnes. Dans le cas de Montreal Bagels, le nombre de convertis est plus restreint, mais ils sont aussi fidèles. Les produits Apple et Montreal Bagels sont irremplaçables aux yeux des consommateurs, mais on peut en dire autant de toutes les marques.

D.B. - À qui vend-on alors ?

S.G. - Vendez à vos amis, vendez aux amis de vos amis. Bref, vendez à ceux qui ont envie d'entendre parler de vous. Pour les rejoindre, donnez à vos amis matière à parler de vous à leurs amis. Que fait votre entreprise de suffisamment remarquable pour que vos clients aient envie de parler de leur expérience chez vous ?

D.B. - Quel message aimeriez-vous faire passer à nos lecteurs ?

S.G. - Cessez d'attendre qu'on vous choisisse, choisissez-vous vous-même ! Tout le monde attend une carte, une feuille d'instructions, un guide en 12 étapes... il faut le trouver par vous-même.

«Je peux ignorer des tas de marques si ça me chante. Que fait votre entreprise de suffisamment remarquable pour que vos clients aient envie de parler de leur expérience chez vous ?»

LE CONTEXTE

Les médias sociaux changent le rapport que le consommateur entretient avec les marques. Il déplace une partie du pouvoir de l'entreprise vers le consommateur. Comment les organisations peuvent-elles s'adapter ?

SAVIEZ-VOUS QUE...

Seth Godin présente un déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH).

Pour lire son blogue : sethgodin.typepad.com

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