La filière des filiales

Publié le 26/05/2012 à 00:00

La filière des filiales

Publié le 26/05/2012 à 00:00

Pour les cadres ambitieux, les filiales des multinationales servent de plus en plus de tremplin pour une carrière de haute voltige à l'international. Voici comment.

Martial Lalancette est un homme comblé. Au moment où vous lisez ces lignes, il déambule probablement dans les rues de Paris, faisant sa tournée hebdomadaire des marchands de vin à l'ombre de la tour Eiffel. Est-il en vacances, en sabbatique ? Pas du tout. Cet épicurien de 47 ans occupe, depuis avril, le poste de directeur des ressources humaines d'une importante division de L'Oréal. Son nouveau lieu de travail : le siège social parisien du numéro un mondial des cosmétiques, qui compte 66 000 employés dans le monde.

Comment ce Québécois, natif de Marieville, peut-il jouer des coudes avec les Français dans la Ville lumière ? C'est que ce père de famille a grandi, professionnellement parlant, au sein de la division canadienne de L'Oréal. C'est là que la multinationale française a découvert son talent de gestionnaire et l'a développé jusqu'à le recruter pour changer les choses dans les plus hautes fonctions de l'organisation. Car chez le géant du cosmétique, le message est clair : quelle que soit votre nationalité, si vous êtes bon, the sky is the limit.

Vous rêvez d'un poste à Paris, à Londres, à New York ou à Oulan-Bator ? Sachez que les filiales des multinationales étrangères installées au Québec, et pas seulement les québécoises comme Bombardier et le Cirque du Soleil, peuvent vous propulser dans des postes de haut niveau partout dans le monde. L'époque où les entreprises américaines ou européennes ne confiaient les postes de haute direction qu'à des cadres ayant la nationalité de l'entreprise est révolue.

«Depuis les années 1980, les multinationales abandonnent leur côté ethnocentrique pour aller chercher de plus en plus les talents là où ils se trouvent, manifestant, de plus en plus, leur personnalité transnationale», constate Tania Saba, professeure à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail. La tendance n'est pas encore généralisée, mais elle s'amplifie chaque année.

Le parcours de Martial Lalancette en est un exemple parfait. Il commence sa carrière en 1993 chez L'Oréal Canada, une division du groupe mondial qui compte 1 200 employés, dont 800 au Québec. À l'époque, la Belle Province nage en pleine crise économique. Si L'Oréal s'en tire assez bien, grâce au fameux effet lipstick - les femmes n'arrêteront jamais de se maquiller -, la récession fait des ravages.

Peu avant, à titre de directeur des ressources humaines d'une PME, Martial Lalancette a eu la tâche ingrate de congédier des centaines de personnes. «L'usine pour laquelle je travaillais a déménagé ses activités au Mexique. J'ai vu des personnes quitter des emplois qu'elles avaient occupés toute leur vie», se souvient-il.

Pour ce diplômé en enseignement de l'Université de Sherbrooke, cette expérience s'avère toutefois enrichissante : elle lui permet de développer sa vision des ressources humaines. «Cette entreprise n'aurait jamais dû fermer. Elle aurait pu rester concurrentielle, mais elle n'avait jamais investi dans son personnel», analyse-t-il.

Chez L'Oréal Canada, il met en pratique sa vision, axée sur le développement de potentiel. Rapidement, cet «architecte de carrière», comme il se définit, gravit les échelons, et en 1995, il est nommé directeur des relations avec les employés pour L'Oréal Canada. Quand l'occasion de travailler à l'étranger se présente, en 1998, Martial Lalancette, sa femme et ses deux enfants s'installent une première fois à Paris.

Son mandat : développer des outils de recrutement sur Internet, où la société française, encore branchée sur Minitel, affiche un troublant retard... Sa nomination est l'équivalent d'une miniprise de la Bastille. «J'ai été le premier non-Français à joindre les rangs de l'équipe des ressources humaines à Paris», raconte-t-il. En évitant d'attirer l'attention, il gagne le respect de ses collègues. Sa mission accomplie, il passe 18 mois à New York avant de rentrer à Montréal, où il devient vice-président principal des ressources humaines, le plus haut poste de ce niveau au Canada.

À ce point, il ne lui restait qu'une option pour relever de nouveaux défis : l'expatriation. D'où son retour dans la Ville lumière pour un long mandat à l'international. Toutefois, en 2012, son cas n'est plus exceptionnel chez L'Oréal. Actuellement, une soixantaine de Canadiens occupent des fonctions à l'étranger, et au siège social parisien, 60 nationalités différentes se côtoient. La Bastille a bel et bien été envahie !

CADRES À VALEUR AJOUTÉE

Pour pourvoir leurs postes de haut niveau, les multinationales sont continuellement en quête des cadres les plus performants. Pour ceux qui font partie de cette élite, dit Denis Morin, professeur en relations industrielles à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, il n'y a plus de frontières. «Toutes les entreprises veulent des vedettes, car celles-ci rapportent, dit-on, une valeur ajoutée à l'entreprise», explique ce spécialiste.

Pour repérer la crème de la crème, les grandes sociétés mettent en place des programmes sophistiqués de gestion de talent. «Les candidats à haut potentiel sont pris en charge, suivis et évalués périodiquement, afin de constituer un bassin de personnel prêt à relever des défis partout dans le monde. Vu leur importance, ces programmes relèvent généralement de la haute direction», constate Tania Saba.

Pratt & Whitney Canada (P & WC) sert aussi de pépinière de talents pour sa société mère, United Technologies Compagnies (UTC), une mégaentreprise qui compte 200 000 employés à l'échelle internationale. À preuve : Benoît Brossoit, d'origine montréalaise, nommé en janvier vice-président, exploitation, au siège social d'UTC à Hartford, au Connecticut, après un parcours sans faute dans les installations de Longueuil. Son nouveau mandat : s'occuper notamment du déploiement du système d'exploitation ACE (Achieving Competitive Excellence) dans les activités mondiales d'UTC. Pas une mince affaire.

Jeune homme, Benoît Brossoit montre vite ses grandes ambitions. Plutôt qu'entrer dans une école de gestion montréalaise après son passage au collège André-Grasset, il quitte le Québec pour aller étudier au GMI Engineering & Management Institute de Flint, au Michigan, où il participe à un programme international de cinq ans. «Cette expérience sensationnelle m'a permis de développer des contacts avec des gens partout dans le monde», dit ce père de deux enfants adultes.

Parrainé par GM, qui défraie ses coûteuses études, l'ingénieur entame sa carrière dans les installations du constructeur automobile de Sainte-Thérèse. «Cela a été une grande école. J'ai participé à l'élaboration de la plateforme d'assemblage des Camaro/Firebird», dit-il. Attiré par de nouveaux défis, il passe en 1995 chez P & WC, employeur qu'il choisit en raison de son programme de développement des talents.

«Comme on le dit chez nous : on fait des moteurs ET on fait des leaders», dit Benoît Brossoit. Et ce n'est pas qu'un simple slogan. «Dès mon arrivée chez P & WC, j'ai eu l'impression que quelqu'un s'occupait de ma carrière», raconte-t-il.

Parmi les programmes de développement de talents, P & WC mise sur les stretch assignments. En quoi ça consiste ? Les participants occupent un poste sans lien avec leur description de tâches, ce qui les oblige à sortir de leur zone de confort. «Les cadres doivent mettre leurs compétences à l'épreuve, tout en en acquérant de nouvelles. Cela leur permet aussi d'élargir leur réseau de relations au-delà de la base traditionnelle», explique Annick Lambert, directrice des communications chez le motoriste. Grâce à cette pratique, P & WC comble 80 % de ses postes à l'interne.

De telles stratégies de gestion de talent permettent aux multinationales d'améliorer la rétention du personnel dans leurs filiales. «Auparavant, les possibilités d'avancement y étaient minces. Les meilleurs cadres plafonnaient et finissaient par quitter leur poste», affirme Tania Saba. Aujourd'hui, à la rigueur, même un bureau satellite peut servir les ambitions d'un cadre ambitieux. Une situation gagnant gagnant, tant pour les entreprises que pour les employés.

Depuis que Martial Lalancette et Benoît Brossoit ont été lancés en orbite dans les plus hautes sphères de leur organisation, avec des défis à accomplir à la hauteur de leur savoir-faire, ils n'ont plus l'intention d'atterrir. Seuls la retraite ou le mal du pays, disent-ils, pourraient les ramener au Québec.

À la une

Les bénéfices de Gildan en baisse de près de 20% au 1T

L’entreprise est dans une querelle avec certains de ses principaux actionnaires pour savoir qui devrait diriger Gildan.

L’ancien patron de Gildan a obtenu 10M$US au cours des trois dernières années

Le CA de Gildan l’accuse d’avoir «considérablement réduit» son implication quotidienne dans la gestion de la société.

Gildan: le PDG, Vince Tyra, dévoile sa stratégie de croissance

Il a fait le point lundi pour les investisseurs trois mois après avoir pris les rênes de l'entreprise.