L'empire beauceron ébranlé

Publié le 26/05/2012 à 00:00, mis à jour le 24/05/2012 à 09:51

L'empire beauceron ébranlé

Publié le 26/05/2012 à 00:00, mis à jour le 24/05/2012 à 09:51

Longtemps champions de l'exportation, les manufacturiers beaucerons doivent se creuser les méninges pour redéfinir leur économie. Le niveau des exportations n'a jamais été aussi bas depuis 11 ans. Le faible taux de chômage dans Chaudière-Appalaches, le plus bas du Québec l'an dernier à 4,8 %, cache la perte de 4 500 emplois en Beauce depuis 2001 dans le secteur manufacturier. La région mettra des années à traverser cette zone de turbulences.

À l'été 2011, le Groupe RGR, le numéro un de la confection textile au Canada, fermait ses trois usines en Beauce et 300 employés étaient remerciés. Le même été, MAAX abolissait 100 postes à son usine de Sainte-Marie, et la scierie Wilfrid Paquet et fils en faisait autant. En janvier dernier, c'était au tour de Solutions Bonneville de Saint-Joseph-de-Beauce de rejoindre le cimetière des entreprises. Bientôt, Smucker's déménagera en Ohio son usine de confiture de Sainte-Marie et 125 travailleurs perdront leur emploi.

La Beauce a connu d'autres crises, mais en voilà une de longue durée, qui la force à se réinventer. «Le secteur manufacturier s'est fait maganer, mais les gens sont conscients des problèmes et ils se battent. On ne s'écrase pas en Beauce», affirme Placide Poulin, fondateur de MAAX, le fabricant de produits de salles de bain.

La combativité et l'ingéniosité beauceronnes seront pleinement sollicitées ces prochaines années, car les défis de l'avenir seront costauds.

«Les problèmes sont conjoncturels et structurels, remarque la directrice du CLD de la Nouvelle-Beauce, Kathleen Giguère. Mais c'est dans ces situations qu'on se retrousse les manches.»

Crise de l'industrie du bois, crise économique aux États-Unis, hausse de la valeur du huard, concurrence accrue des Asiatiques... Tous ces obstacles ont frappé l'industrie manufacturière au Québec ces dernières années. Mais les Beaucerons, qui exportaient plus que d'autres régions à cause de leur proximité avec le voisin américain, ont été heurtés plus fortement. Dans Chaudière-Appalaches, la région où est située la Beauce, la part du PIB manufacturier dans le PIB total décline plus rapidement que dans l'ensemble de la province. De 2001 à 2011, elle a chuté de neuf points de pourcentage par rapport à sept au Québec.

«Les bénéfices des entreprises se faisaient surtout sur le taux de change, et les gens ont tablé là-dessus trop longtemps sans s'attarder à la compétitivité. Comme il n'y avait pas eu beaucoup d'investissements dans la productivité et les technologies, elles ont perdu leurs marges de profit avec la hausse du dollar», explique Claude Morin, directeur du Conseil économique de Beauce.

Concurrence en hausse, marges en baisse

Les ventes des entreprises manufacturières ont tout de même augmenté de près de 5 % dans la dernière année, mais elles n'ont pas rattrapé le niveau du début du millénaire. Pour combler la perte aux États-Unis, les entreprises beauceronnes se sont tournées vers les marchés québécois et canadien, où la concurrence est devenue plus vive, d'autant que les Américains s'y installent aussi, favorisés par la parité du dollar.

«La concurrence étant plus forte, les marges bénéficiaires sont à la baisse et les entrepreneurs ont donc moins d'argent à investir», regrette M. Morin.

«Il faudrait accorder plus d'aide aux PME pour faire face aux technologies, ajoute Placide Poulin. Les gouvernements aident les grandes entreprises, mais si on veut devenir mondial, il faut pouvoir vendre sur Internet et, pour le faire, il faut investir. Pour innover aussi il faut investir.»

Les entrepreneurs beaucerons, défavorisés par les politiques gouvernementales à l'avantage des régions ressources, dont la Beauce ne fait pas partie (voir page 15), espèrent des programmes d'aide équitables. Mais ils comptent d'abord sur eux-mêmes pour repenser leur avenir.

Diversification

«Les entreprises regardent les processus pour s'améliorer et nous, comme région, on doit se demander où on va. Sans renier ce que nous avons fait, à partir de nos forces, que peut-on faire pour se diversifier ? On réfléchit à ça en ce moment», soumet Kathleen Giguère.

Le défi est particulièrement grand dans la MRC Beauce-Sartignan (Saint-Georges), où le taux de faibles revenus est le plus élevé, à 13,3 %, et où tous les secteurs forts d'autrefois sont ébranlés. La crise du bois d'oeuvre persiste, la production métallique n'est plus aussi vigoureuse (Procycle, qui a déjà eu 500 employés à Saint-Georges n'en a plus que 75) et les textiles sont devenus un secteur mou, bien qu'il reste une poignée d'entreprises, comme le fleuron Victor Innovatex dans les tissus écologiques.

«La couture, c'était le temps d'avant. C'est le manque de main-d'oeuvre qui a amené la fermeture de nos trois usines l'été dernier, affirme le président de RGR, Rolland Veilleux. Vos filles ne seront pas devant des machines à coudre ! Quand je recevais le CV d'une fille de 20 ans, c'est qu'elle avait un gros problème. Mes employées avaient 55 ans en moyenne, certaines étaient en retraite progressive, et je peux vous dire que ça casse une chaîne de production. Je ne voyais plus d'avenir.»

La hausse soudaine de 30 % du prix du denim aura devancé d'un an les fermetures ; les contrats signés auraient engendré des pertes dans un tel contexte. RGR existait depuis 1974 et fabriquait pour Loïs, Tommy Hilfiger et Costco, notamment.

«Arrêtons de penser que la confection textile va reprendre au Québec et au Canada, c'est faux. Et ça n'a rien à voir avec le libre-échange. Ni avec les salaires. On offrait de 15 $ à 20 $ de l'heure, mais on n'avait plus de relève», dit M. Veilleux, avec une pointe de dépit, mais sans baisser les bras. À 70 ans, il dirige encore une douzaine d'entreprises et il redonne vie aux usines fermées. Adieu la couture, bonjour les poêles et les murs préfabriqués.

Redonner du souffle à la Beauce

Il faudra néanmoins trouver de jeunes entrepreneurs de sa trempe pour redonner du souffle à la Beauce. Or, les plus vieux semblent trouver que le goût du risque se perd.

Roger Champagne, qui n'a pas trouvé de repreneur pour sa charcuterie Déli-Beauce, croit révolu le temps des Dutil, Pomerleau et Lacroix, ces grands entrepreneurs qui ont construit la Beauce.

«Ces gens-là n'allaient pas voir leur comptable pour lui demander s'ils feraient de l'argent, ils décollaient, selon leur vision et leur passion. Il n'y a plus de ça aujourd'hui, on dirait que les gens ont peur de démarrer une entreprise. On me disait que mon entreprise était risquée, mais j'ai fait vivre ma famille pendant 20 ans grâce à elle. L'argent ne rentre pas tout seul, il faut travailler, et récolter des gros montants d'argent n'est pas nécessaire. Si tu paies ton monde et que tu te verses un bon salaire, as-tu besoin d'engranger plein d'argent en plus ?»

LA BEAUCE

Habitants

100 000 (1,26 % de la population du Québec)

Emplois manufacturiers

16 388 (5,65 % du total au Québec)

Emplois manufacturiers perdus

875 en 2011 (4 500 depuis 2001)

La part du secteur manufacturier dans le PIB chute plus vite dans la région

Québec

23 % 2001

16 % 2011

Une baisse de 7 points

Chaudière-Appalaches

23,6 % 2001

14,5 % 2011

Une baisse de 9,1 points

Chute des exportations, en valeur, de 2002 à 2011

- 43%

En 2002, 38 % des ventes des entreprises manufacturières beauceronnes étaient destinées à l'exportation.

En 2011, c'était 20 %

Sources : Conseil économique de Beauce, Institut de la statistique du Québec, Desjardins

valerie.lesage@tc.tc

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