Des élections qui comptent

Publié le 07/04/2012 à 00:00

Des élections qui comptent

Publié le 07/04/2012 à 00:00

Par François Normand

Le programme nucléaire de l'Iran vous laisse indifférent, tout comme les politiques sociales en Chine ? Vous feriez pourtant bien de vous en préoccuper, car les décisions prises par des dirigeants à l'autre bout du monde ont des impacts importants sur votre organisation. D'autant plus que 2012 est jalonnée d'élections et de passations de pouvoir. Il faudra surveiller les leaders qui prendront les commandes.

C'est particulièrement vrai en Iran, aux États-Unis, en France, au Mexique et en Chine. Pourquoi ? Parce que ce sont des partenaires commerciaux clés du Québec ou des pays qui influencent le prix des ressources naturelles. L'Iran, à couteaux tirés avec l'Occident quant à son programme nucléaire, joue un rôle majeur sur le cours du pétrole, par exemple.

Ne négligez pas non plus le changement de garde en Russie, en Égypte et en Corée du Sud, même si ces pays sont moins stratégiques pour nous. Par exemple, les politiciens qui seront portés au pouvoir lors des élections en Corée du Sud seront-ils favorables ou hostiles à un accord de libre-échange avec le Canada ? Au total, une vingtaine de pays changeront de chef d'État et de gouvernement en 2012.

États-Unis

Pourquoi : premier partenaire économique et commercial du Québec (68 % de nos expéditions internationales, soit 42,9 G$ en 2011)

Élection présidentielle : 6 novembre 2012

Enjeu principal : la montée du protectionnisme

La hache de guerre est déterrée : peu importe qui, du démocrate Barack Obama ou de son adversaire républicain, remportera l'élection, préparez-vous à une montée du protectionnisme.

«Le protectionnisme transcende désormais le parti démocrate et le parti républicain», insiste Pierre Fournier, analyste en géopolitique à la Financière Banque Nationale.

Martin Lavoie, directeur des politiques des Manufacturiers et exportateurs du Canada, déplore qu'on utilise d'ailleurs davantage la clause inspirée du Buy American Act dans les contrats publics. «Cette mesure, qui devait être temporaire pour relancer l'économie en 2008-2009, devient la norme, surtout dans les infrastructures.»

Cette clause force le gouvernement fédéral à s'approvisionner localement pour ses achats de marchandises. Des États et des villes peuvent y être astreints s'ils ont des projets financés par Washington. Les entreprises étrangères établies aux États-Unis sont mieux positionnées pour décrocher des contrats.

Cette montée du protectionnisme tient à la faiblesse du marché du travail. L'économie américaine ne crée pas encore assez d'emplois pour faire reculer le taux de chômage de manière significative. En février, il était à 8,3 %, comparativement à 7,4 % au Canada.

À cela s'ajoute la «réindustrialisation» des États-Unis. Celle-ci risque de provoquer des fermetures d'usines au Canada. «Ce sera un enjeu fondamental après l'élection», insiste John Parisella, qui vient de quitter son poste de délégué général du Québec à New York.

Les employés d'Electrolux et de Mabe, deux fabricants d'électroménagers, peuvent témoigner de cette menace patriotique. Le premier a fermé son usine de L'Assomption, dans Lanaudière, pour la déplacer au Tennessee d'ici 2014, causant la perte de 1 300 emplois. Le second mettra la clé dans la porte de son usine montréalaise en 2014 pour déménager la production aux États-Unis et au Mexique. Cette décision entraîne la disparition de 740 emplois.

Ces transferts de production surviennent alors que Reshoring Initiative, un organisme américain, veut rapatrier trois millions d'emplois aux États-Unis au cours des 5 à 10 prochaines années, dont un million dans le secteur manufacturier.

France

Pourquoi : quatrième marché d'exportation du Québec (1,4 G$ ou 2,3 % de nos expéditions internationales) en 2011 et présence d'environ 450 entreprises françaises au Québec

Élection présidentielle : premier tour le 21 avril ; second tour le 6 mai

Enjeu principal : la faiblesse de la croissance économique

Le candidat socialiste François Hollande ou le président sortant Nicolas Sarkozy n'y pourront rien : le gouvernement français devra sabrer ses dépenses après le 6 mai. Les agences de notation l'en féliciteront, mais la croissance économique et les importations françaises (donc, les exportations québécoises) pâtiront.

Le 2 mars, 25 des 27 pays de l'Union européenne (UE) - dont la France - ont signé un nouveau pacte de discipline budgétaire. Il force les membres de l'UE à avoir un déficit budgétaire ne dépassant pas 3 % de leur PIB, à compter de 2013. Cette obligation existait déjà pour les

17 pays de la zone euro, mais ils ne le respectaient pas. La crise de la dette souveraine devrait inciter les pays à s'y tenir, cette fois.

«Pour y arriver, le gouvernement français devra réduire ses dépenses et probablement augmenter les impôts», dit Julien Toureille, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM.

En 2011, le déficit a représenté 5,3 % du PIB. Paris s'est déjà engagé à le ramener à 4,5 % cette année, puis à 3 % en 2013. Selon un haut fonctionnaire cité par Le Monde, l'atteinte de cette cible l'année prochaine est tout un défi, car elle nécessitera des économies supplémentaires de 15 milliards d'euros (20 G$ CA). Cela représente 4 % du budget de 370,6 milliards d'euros de l'État français pour 2012.

François Hollande veut renégocier le pacte s'il est élu. Mission difficile, selon des analystes. Il faut donc s'attendre à des compressions budgétaires. Primo, parce que des pays comme le Portugal auront sans doute déjà ratifié le pacte. Secundo, parce que d'autres ne voudront tout simplement pas rouvrir le pacte, en premier lieu l'Allemagne, partisane d'une stricte rigueur budgétaire.

Mexique

Pourquoi : présence de dizaines de concurrents des manufacturiers québécois dans des secteurs comme l'aérospatiale, et de fournisseurs d'entreprises québécoises

Élection présidentielle : 1er juillet

Enjeu principal : une économie mexicaine qui devient plus concurrentielle

Si la tendance se maintient, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a dirigé le Mexique sans interruption de 1928 à 2000, reprendra le pouvoir cet été, avec à sa tête Enrique Peña Nieto. Au menu : une relance de l'économie en réformant entre autres le code du travail.

Actuellement, les entreprises hésitent à créer des emplois, car les coûts pour embaucher et licencier sont trop élevés, affirme Carlos Ramírez Fuentes, spécialiste du Mexique chez Eurasia Group, une firme en gestion du risque. «La création d'emplois n'arrive pas à répondre à la demande», dit-il, en précisant que le code du travail n'a pas été modifié depuis 1970. Selon lui, les syndicats du secteur privé - des alliés traditionnels du PRI - ne s'opposeront pas à une réforme du code si elle met l'accent sur la flexibilité du travail sans s'attaquer à leurs pouvoirs. Si celle-ci va de l'avant et rend les usines mexicaines plus concurrentielles, ce sont les nôtres qui pourraient en souffrir.

D'autres réformes sont nécessaires, notamment dans les télécommunications. «Ce secteur y performe moins bien que dans la plupart des pays de l'OCDE en raison du manque de concurrence», dit Carlos Ramírez Fuentes. Par exemple, Telmex contrôle 80 % du marché des téléphones fixes, et Telcel détient 70 % du segment de la téléphonie mobile. Ces sociétés appartiennent à America Movil, contrôlée par le magnat des télécommunications Carlos Slim.

Le Mexique a aussi besoin de reformer son secteur pétrolier. Depuis le pic de 2004, la production a chuté de 34 % pour atteindre une moyenne de 2 575 barils par jour en 2010, selon le site de statistiques IndexMundi. Carlos Ramírez Fuentes dit que Pemex, la société d'État pétrolière, a besoin de capitaux pour financer ses activités d'exploration. «Il faut lui permettre de créer des coentreprises avec des pétrolières étrangères.»

L'analyste estime toutefois que le PRI aura plus de difficultés à réformer les secteurs des télécoms et de l'énergie que celui du travail. Le PRI y a des alliés syndicaux et patronaux qui souhaitent maintenir le statu quo. Le PRI devra former une alliance avec le Parti d'action nationale (PAN), actuellement au pouvoir, s'il souhaite faire cette réforme.

Chine

Pourquoi : deuxième marché d'exportation du Québec (3,8 % de nos expéditions internationales, soit 2,4 G $ en 2011)

Passation de pouvoirs : nouvelle génération de leaders à la tête du pays à compter d'octobre

Enjeu principal : la hausse des coûts des entreprises

Vous avez des fournisseurs en Chine ou vous y exploitez une usine qui vend sur le marché chinois ? Eh bien, attendez-vous à payer plus cher vos employés et à subir des hausses des charges sociales, car la stabilité sociale sera prioritaire pour les futurs dirigeants et le nouveau président pressenti du pays, Xi Jinping (actuellement vice-président).

«Ils essayeront de mieux répondre aux aspirations sociales des Chinois et de mieux distribuer la richesse», dit Zhan Su, professeur de stratégie et de gestion internationale à l'Université Laval.

La reconstruction d'un filet social est aussi une priorité du plan quinquennal annoncé en 2011. «L'accès aux soins pour toute la population et de meilleures pensions de retraite demeurent des objectifs de premier plan pour le gouvernement», souligne Caroline Bérubé, avocate et associée chez HJM Asia Law & Co, à Canton, en Chine.

Depuis 2005, les salaires augmentent de près de 20 % par année dans le pays, selon le Boston Consulting Group. Et si la tendance se maintient, les entreprises établies dans les provinces à haute production manufacturière pourraient devoir payer leurs employés 6,31 $ US de l'heure, d'ici 2015.

Ces hausses de salaire s'expliquent par la diminution du bassin de main-d'oeuvre. Les révolutions dans le monde arabe pèsent aussi dans la balance. Les autorités craignent un «printemps chinois», d'où leur volonté d'améliorer le sort de la population.

Depuis un an, 21 des 22 provinces chinoises ont d'ailleurs augmenté leur salaire minimum... Le 1er octobre 2011, la province centrale de Henan a relevé de 35 % les siens (elle en a trois, établis en fonction des régions) pour les porter à 1 080 yuans (169 $ CA), 950 yuans (149 $ CA) et 820 yuans (129 $ CA) par mois, selon l'agence officielle Xinhua News.

Les entreprises en Chine payeront aussi davantage de charges sociales, souligne Zhan Su. «Elles doivent contribuer à financer l'assurance maladie et les retraites.» Les charges sociales relèvent des villes, et varient donc d'un bout à l'autre du pays, note Caroline Bérubé. Ainsi, pour un travailleur chinois résident local (en Chine, toute personne doit être enregistrée dans une ville pour des raisons de planification démographique), l'employeur de Shenzhen paye un taux de 11 %, celui de Pékin, 20 %, et celui de Shanghai, 22 %.

Cela dit, la Chine n'est pas en train de tourner le dos aux réformes économiques qu'elle a réalisées depuis une trentaine d'années pour «resocialiser» son économie. Selon Pierre Fournier, analyste en géopolitique à la Financière Banque Nationale, nous assistons plutôt à une normalisation en Chine et à la mise en place d'un filet social moderne. «La nouvelle garde sera en fait plus libérale sur le plan économique et plus favorable à l'entreprise privée», précise-t-il.

Cette tendance doit toutefois être mise en perspective, compte tenu des rumeurs persistantes de coup d'État dans le pays, apparues à la mi-mars sur les médias sociaux après le limogeage à Chongqing du leader du Parti communiste chinois, Bo Xilai. Rumeurs auxquelles les autorités ont répondu par la fermeture de plusieurs sites Internet et des arrestations.

Iran

Pourquoi : la hausse du prix du baril de pétrole

Élection législative : 2 mars 2012 (le peuple a déjà voté, le parlement reste dominé par les conservateurs)

Enjeu principal : tension avec l'Occident sur son programme nucléaire

Le prix du pétrole restera très élevé en 2012 en raison de la victoire des conservateurs aux élections parlementaires en Iran. Le président Mahmoud Ahmadinejad poursuivra son programme nucléaire, les tensions avec l'Occident s'accentueront, sans parler de la possibilité que l'aviation israélienne bombarde les sites nucléaires iraniens.

«Une guerre avec l'Iran est plus probable qu'il y a trois ou quatre ans», dit Sami Aoun, spécialiste du monde arabo-musulman à l'Université de Sherbrooke. Une guerre avec l'Iran, deuxième plus important producteur de l'OPEP, ferait augmenter les coûts énergétiques des entreprises réparties dans le monde, menaçant la faible reprise mondiale. Toutefois, les pétrolières canadiennes en profiteraient.

Par exemple, un analyste de Rapidan Group cité dans Bloomberg Businessweek indique qu'une attaque israélienne suivie d'une riposte iranienne ferait augmenter le baril de pétrole de 23 dollars américains ($ US), soit une hausse de 22 % par rapport au prix du baril de pétrole (West Texas Intermediate), en date du 30 mars.

Même sans conflit, le prix du pétrole restera élevé, disent les analystes. La seule sortie de crise serait que l'Iran renonce à son programme nucléaire. Les États-Unis comptent sur l'embargo qu'eux et l'Union européenne ont imposé sur les importations de pétrole iranien pour y parvenir. Si ce scénario se réalise, l'embargo pourrait être levé et les prix du pétrole descendraient.

Égypte

(présidentielle, les 23 et 24 mai)

Le pays tient sa première élection présidentielle depuis le départ du président Hosni Moubarak, en février 2011, sous la pression populaire. En principe, l'armée devrait céder le pouvoir au nouveau président. Selon Sami Aoun, spécialiste du monde arabo-musulman à l'Université de Sherbrooke, les militaires continueront à jouer un rôle important dans la société. «Ils contrôlent 23 % de l'économie. Cela pourrait même aller jusqu'à 33 %, selon certaines estimations.»

Corée du Sud

(législative, le 11 avril, présidentielle, le 19 décembre)

Selon plusieurs médias, les élections législative et présidentielle pourraient consacrer le retour de la gauche au pouvoir, au détriment du parti conservateur, dont Park Geun-hye est la candidate la plus en vue. L'enjeu est important pour le Canada. Le nouveau gouvernement sera-t-il favorable à une relance des négociations, amorcé en novembre 2004, pour conclure un accord de libre-échange avec le Canada ? La signature d'un accord avec les États-Unis a divisé la population. L'enjeu est de taille pour les producteurs québécois de porcs qui exportent dans ce pays, d'autant plus que leurs concurrents américains, eux, bénéficient déjà du nouveau traité de libre-échange entre les États-Unis et la Corée du Sud.

Russie

(présidentielle le 4 mars 2012, Poutine élu)

Le retour de Vladimir Poutine à la présidence change peu de choses, puisqu'il tirait déjà les ficelles lorsqu'il était premier ministre. «La corruption restera toujours un problème», note Pierre Fournier, analyste en géopolitique à la Financière Banque Nationale. De plus, la Russie est l'un des rares pays où la population diminue, ce qui mine sa croissance économique.

26,8 %

Hausse des exportations du Québec vers le Mexique de 2010 à 2011, à 1 G$.

45,8 %

Hausse des exportations du Québec en Chine, pour la même période, à 2,5 G$.

Source : ISQ

20

Nombre de pays qui vont changer de chefs de l'État ou de chef de gouvernement cette année

Source : lepoint.fr

françois.normand@tc.tc

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