«À cause du marketing, nous ne vivons ni dans le monde réel ni dans le présent» - Martin Lindstrom, spécialiste en marketing et auteur

Publié le 15/10/2011 à 00:00

«À cause du marketing, nous ne vivons ni dans le monde réel ni dans le présent» - Martin Lindstrom, spécialiste en marketing et auteur

Publié le 15/10/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Le spécialiste danois en marketing Martin Lindstrom figure au palmarès des 100 personnalités les plus influentes du magazine Times. Dans Brandwashed, un livre lancé en septembre, il dénonce les subterfuges et supercheries de ses confrères. «Les entreprises et les marketers ont besoin qu'on leur donne des balises. Mon livre se veut un signal d'alarme pour que les consommateurs réclament ces balises.»

«La technologie nous attire vers des mondes virtuels dans lesquels nous séjournons de plus en plus longtemps. Le marketing nous éloigne encore plus de la réalité en nous «vendant» le passé.»

le contexte

Les consommateurs américains ont un ratio dette par rapport au revenu personnel de 154 %. Quelle est la proportion de ces dettes attribuable à des achats superflus influencés par un marketing trop efficace ?

Saviez-vous que...

Enfant, Martin Lindstrom dormait sur un lit fait de blocs Lego et il a transformé le jardin familial en musée Lego. Si bien que l'entreprise l'a invité à siéger à son conseil consultatif. C'est ainsi qu'il fit précocement ses débuts dans le monde du marketing.

diane bérard - Les spécialistes du marketing sont-ils tous diaboliques ?

Martin Lindstrom - Non, cependant ils sont allés trop loin. Trop de valeurs ont été mises de côté au nom du marketing. Il serait temps que les marketers se souviennent qu'ils sont aussi des clients. Aiment-ils être manipulés ? Comment manipulent-ils les consommateurs ?

d.b. - Peut-on vendre un produit sans manipuler les consommateurs ?

m.l. - Lego n'a jamais fait de fausse représentation, et ses ventes se portent très bien. Mais la frontière entre le marketing efficace et le marketing mensonger est mince. Tout dépend de la pression que vous exercez. Chaque technique de marketing peut être poussée à l'extrême et exploiter les angoisses les plus profondes des consommateurs, pour ne lui laisser aucun autre choix que celui de consommer. Dans certains cas, le produit est carrément conçu pour entraîner une dépendance chez celui qui l'emploie. Le baume à lèvres Carmex en est l'exemple parfait ; il contient de l'acide salicylique, un ingrédient qui assèche les lèvres. Au lieu de régler votre problème, ce produit l'aggrave. Vous devenez complètement dépendant de votre baume à lèvres !

d.b. - Donnez-nous un exemple d'entreprise dont le marketing évolue sur une glace bien mince.

m.l. - Apple. Voilà une société qui a démocratisé la technologie en créant des produits conviviaux. Mais Apple verse de plus en plus dans le «trop». Trop de pression pour vendre ses produits, trop d'infos personnelles sur ses clients, trop de cupidité, trop d'arrogance face à certains enjeux, comme l'environnement et les droits humains... Mon livre traite de tout le «trop» en marketing.

d.b. - Côté excès, la campagne Axe, marque de savons et de shampoings pour hommes, a fait école. Expliquez- nous.

m.l. - Axe est l'archétype de l'excès. Son fabricant, Unilever, vise les jeunes hommes peu sûrs d'eux. La campagne exploite leur manque de confiance en soi en associant l'utilisation de ces produits à un succès boeuf auprès des femmes. Pas une femme, mais bien plusieurs femmes à la fois... La promesse de vente est si forte qu'on a vu de jeunes hommes s'asperger d'eau de Cologne Axe au point d'incommoder leur entourage. Les produits Axe ont été interdits dans certaines écoles.

d.b. - Vous avouez avoir vous-même usé d'un subterfuge (trick) pour vendre ce livre...

m.l. - Brandwashed parle d'éthique en marketing. J'aurais pu l'annoncer ouvertement sur la couverture et dans le titre. Mais personne n'aurait acheté mon livre. L'éthique ne fait pas vendre. Or, je veux être lu. Il me fallait trouver un moyen de présenter mon sujet autrement. J'ai choisi de choquer et de surprendre les lecteurs-consommateurs en leur donnant des exemples concrets de manipulation plutôt qu'en faisant la leçon à l'industrie. C'est plus efficace.

d.b. - Quelle technique de marketing s'avère la plus efficace pour manipuler le consommateur ?

m.l. - La peur sous toutes ses formes. Peur de tacher sa chemise, d'être malade, de perdre son emploi, etc. La peur est pernicieuse dans le sens où plus nous y sommes exposés, plus nous la ressentons. Ce qui donne des munitions énormes aux marketers. De l'industrie pharmaceutique jusqu'aux fabricants d'articles pour enfants, en passant par le secteur des cosmétiques et celui de l'assurance, on ne compte plus le nombre d'entreprises qui profitent de nos peurs pour nous pousser à acheter leurs produits.

d.b. - Vous prévoyez l'apparition d'un «WikiLeaks des marques». Qu'entendez-vous par là ?

m.l. - Je suis convaincu qu'une organisation dévoilera bientôt tous les mensonges véhiculés par les marques. Ce sera un jour sombre pour bien des entreprises.

d.b. - Comment vivions-nous avant l'existence des marques ?

m.l. - On trouve des marques depuis plus de 300 ans. Les plus vieilles viennent du Japon. Mais, en fait, les marques existent depuis que les religions existent. Celles-ci présentent toutes les caractéristiques des marques.

d.b. - Les temps sont durs. La meilleure façon de pousser les consommateurs à dépenser consiste-t-elle à leur offrir des rabais ?

m.l. - Pas nécessairement. Certaines entreprises emploient la technique inverse : «Achetez aujourd'hui, car demain les prix seront plus élevés». Ne sous-estimez jamais le pouvoir de la peur... Hyundai, pour sa part, a trouvé un moyen redoutable de tirer profit de la récession pour stimuler ses ventes : faire croire au consommateur qu'elle est de son côté. Le message de Hyundai se résume à ceci : «Cher consommateur, nous savons que vous avez peur de dépenser. Voici ce que nous vous proposons : si vous achetez une de nos voitures et perdez votre emploi dans l'année qui suit, nous reprendrons votre véhicule». Seulement cinq voitures ont été retournées !

d.b. - Vous affirmez que le marketing nous éloigne du monde réel pour nous précipiter dans un univers parallèle. Expliquez-nous.

m.l. - Nous ne vivons ni dans le monde réel ni dans le présent. La technologie nous attire vers des mondes virtuels dans lesquels nous séjournons de plus en plus longtemps. Le marketing nous éloigne encore plus de la réalité en nous «vendant» le passé. Après la peur, la nostalgie est l'outil de vente le plus efficace. Nous avons tendance à embellir le passé.

d.b. - Parlons un peu des pièges que nous tendent les épiciers...

m.l. - Les épiceries donnent l'illusion d'être des marchés fermiers. Les épiciers nous vendent le rêve de la ferme à la ville. Cette technique ne me poserait pas de problème si elle se limitait au décor. Mais que dire de ces pommes pourries, vieilles de 14 jours, qu'on arrose de bruine pour nous donner l'illusion qu'elles sont fraîches ? Et de ces bananes dont la couleur jaune est tout sauf naturelle ?

d.b. - Quel sera le prochain outil de manipulation dans le marketing ?

m.l. - Nos voisins ! De plus en plus d'entreprises vont payer des familles ou des individus pour qu'ils utilisent leurs produits et nous influencent. C'est ce que fait la Girls Intelligent Agency (girlsintelligenceagency.com), une agence de marketing qui recrute 40 000 femmes de 8 à 29 ans pour effectuer du bouche-à-oreille auprès de leurs pairs.

diane.berard@transcontinental.ca

Suivez Diane Bérard sur...

twitter.com/ diane_berard

www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

À la une

Apple autorise un programme de rachat d'actions de 110G$US

Mis à jour à 18:21 | AFP

Apple a réalisé un chiffre d’affaires de 90,75G$US lors des trois premiers mois de l’année.

Bourse: Wall Street rassurée par la Fed

Mis à jour à 18:08 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de Toronto a quant à elle progressé de plus de 90 points.

Bourse: les gagnants et les perdants du 2 mai

Mis à jour à 18:26 | LesAffaires.com et La Presse Canadienne

Voici les titres d'entreprises qui ont le plus marqué l'indice S&P/TSX aujourd'hui.