Les "influenceurs"

Publié le 01/04/2009 à 00:00

Les "influenceurs"

Publié le 01/04/2009 à 00:00

Leurs livres sont des best-sellers. Des milliers de gens adoptent leurs idées pour eux-mêmes ou pour leur entreprise. Pourquoi les idées de Malcolm Gladwell, Thomas L. Friedman et Don Tapscott ont-elles un tel effet domino ?

Malcolm Gladwell : le Fred Pellerin du livre d'affaires

Âge : 45 ans

Profession : journaliste au New Yorker

Nationalité : né en Angleterre et élevé en Ontario, il réside aux États-Unis.

Ses livres : Le point de bascule (2003), Intuition (2007), Les prodiges (2009)

Son succès : Ses livres ont passé plus de 275 semaines sur la liste des best-sellers du New York Times.

Son conseil pour être influent au travail : "Passez moins de temps à peaufiner le contenu de vos présentations et attardez-vous aussi au format. Le rythme, l'importance accordée à chaque idée, le moment de les présenter détermine si vos idées influenceront ou non votre auditoire."

Malcolm Gladwell possède deux appartements à New York. Le premier fait surtout office de bureau ; c'est là qu'il reçoit les journalistes. Le second est son sanctuaire. Ces appartements se trouvent à quelques rues l'un de l'autre, dans West Village, un quartier bigarré où cohabitent artistes et gens d'affaires. Malcolm Gladwell n'appartient à aucune de ces catégories. Il a l'habitude de naviguer entre deux univers - son père est britannique, et sa mère jamaïcaine. Son talent d'auteur, l'allure peu banale qu'il cultive et l'afro hérité de sa mère tendent à le placer dans le camp des artistes. Mais son flair pour trouver des sujets accrocheurs et sa carrière florissante de conférencier indiquent aussi qu'il a un sens aigu des affaires.

Ses détracteurs le disent superficiel et affirment que ses théories sont "tirées par les cheveux". On lui reproche son côté populiste. De son côté, le magazine Time le classe parmi les 100 individus les plus influents de la planète. Commerce l'a rencontré un dimanche après-midi de janvier, dans son appartement-bureau de West Village. Nous avons voulu comprendre pourquoi les idées "gladwelliennes" sur les tendances (Le point de bascule), l'intuition (Intuition) et la réussite (Les prodiges) influencent tant de gens d'affaires.

Premier constat : cet homme est un "nerd". Il adore les livres, certes, mais ce n'est pas un intello. La relation qu'il entretient avec les livres et la connaissance en général n'est pas ludique, elle est "boulimique", et son savoir est encyclopédique ! "Dès qu'un livre m'intéresse, je le lis à l'envers. Je saute à la bibliographie, je dévore les notes de bas de page, et je lis tout ce que cet auteur a lu pour construire sa pensée. J'aime reconstituer l'histoire d'une idée."

Pour la plupart d'entre nous, les idées sont des pensées furtives qui traversent notre esprit et en ressortent aussi vite. Malcolm Gladwell, lui, les emmagasine avec un souci maniaque. "Nous entendons tous des idées intéressantes, mais nous les oublions aussi vite. Moi, je les conserve et je les fouille, parce que je suis dans le business des idées."

Qualifié d'"auteur à la mode", Malcolm Gladwell la suit-il ? "Je ne fais pas d'études de marché pour savoir quel sujet a la cote à un moment précis. Je travaille sur ce qui m'allume. Cependant, je suis le produit de mon époque. J'évolue dans un cercle de jeunes professionnels new-yorkais curieux et branchés. Il est évident que je tire plusieurs de mes idées de nos discussions."

Converser avec Malcolm Gladwell est un exercice exigeant. Lorsqu'il donne une conférence, il est en feu - sa prestation de 17 minutes 30 secondes sur la sauce à spaghetti (www.ted.com) est délirante. Par contre, en tête-à-tête, il est réservé au point d'être intimidant. Pour qu'il s'anime, il faut s'adresser au nerd en lui, l'amener à fouiller, à chercher, à analyser. "Malcolm Gladwell, comment bâtissez-vous vos livres ?"

Sa réponse fait de lui le Fred Pellerin du livre d'affaires ! Tout comme le célèbre conteur de Saint-Élie-de-Caxton, Malcolm Gladwell maîtrise l'art de l'histoire avec brio. Et c'est ce qui explique que son influence tient autant à la forme qu'au fond de ses ouvrages. "Les êtres humains se racontent des histoires depuis la nuit des temps. Si vos idées sont transmises dans une histoire, elles voyageront plus facilement de A à B à C, et ainsi de suite", dit-il. À ne pas confondre avec des anecdotes. "Certains critiques disent que mes livres sont anecdotiques. Faux. Une anecdote c'est un bref à-côté qui illustre un point. L'histoire, au contraire, est le moteur de l'idée. L'anecdote est intéressante ; l'histoire, elle, est puissante."

Tous les chapitres de ses livres tournent autour d'une histoire qui porte l'idée qu'il souhaite défendre. Son dernier ouvrage, Outliers (Les prodiges), traite du succès. Il raconte, par exemple, comment les Beatles ont fait leurs débuts dans un club de striptease de Hambourg, en Allemagne, où ils ont joué jusqu'à huit heures par soir, sept soirs sur sept, pendant deux ans. C'est après que leur carrière a décollé. Cette histoire vient appuyer la théorie de Malcolm Gladwell selon laquelle le succès n'est pas uniquement une question de talent. Il résulte d'une combinaison de facteurs : concours de circonstances, réseau, environnement et aussi, le temps consacré à son activité. Cela revient à sa théorie des 10 000 heures : il faut consacrer 10 000 heures à quelque chose pour devenir un spécialiste. Les prodiges fourmille d'histoires où Malcolm Gladwell "déconstruit" le succès de gens connus. Chaque fois, le lecteur découvre de nouveaux éléments d'une histoire qu'il croyait connaître. Des histoires bâties avec une telle efficacité qu'on se laisser happer... même si leurs conclusions sont parfois déroutantes. Il attribue la réussite de Bill Gates au fait qu'en 1968, les mères de son école secondaire ont recueilli 3 000 dollars pour acheter un ordinateur sur lequel le garçon a passé des heures à pratiquer. Ou encore, il impute une partie de la réussite des joueurs de hockey et de soccer professionnels... à leur date de naissance ! Ainsi, un joueur né entre janvier et avril sera repêché par un club d'élite un an plus tôt que ceux qui sont nés à la fin de l'année et pourra donc pratiquer un an de plus. La logique "gladwellienne" !

Cinquante minutes et cinq mille mots : voilà la formule magique derrière les trois best-sellers de ce journaliste du New Yorker. "Lorsque j'ai accumulé suffisamment de matériel pour parler d'un sujet pendant 50 minutes, je suis prêt à écrire un livre. Chaque chapitre doit compter 5 000 mots, au plus 6 000. C'est juste assez long pour soutenir une idée, et juste assez court pour qu'on puisse le lire d'un coup."

Malcolm Gladwell s'interroge pendant des heures sur son public cible. Le principe de l'adhérence, présenté dans Le point de bascule, le hante : quelle forme doit prendre une idée pour accrocher les gens ? "Je ne veux pas que mon lecteur décroche, qu'il "regarde ailleurs", parce que mon propos est trop ennuyant ou trop compliqué."

Avec plus de six millions d'exemplaires vendus, Malcolm Gladwell est un auteur populaire qui profite de l'effet domino. "Le succès de mon premier livre a donné envie aux gens de tenter leur chance avec le second, puis avec le troisième." Et la trentaine de conférences qu'il donne chaque année alimente cet impact.

Quelle définition un auteur influent donne-t-il de l'influence ? "C'est quelque chose d'informel qui n'a rien à voir avec le titre affiché sur votre porte. Le pouvoir, lui, est formel. Vous avez du pouvoir parce que vous gérez un nombre x de personnes ou que vous dirigez une entreprise qui vaut x milliards. Par contre, pour avoir de l'influence, il faut atteindre les gens, gagner leur confiance. On peut être influent sans détenir aucun pouvoir."

Pour écouter des extraits de cette entrevue, visitez www.lesaffaires.tv/video-7100-Malcolm-Gladwell-rencontre-Commerce

Thomas L. Friedman, le globe-trotter

Âge : 55 ans

Profession : journaliste au New York Times

Nationalité : Américain

Ses livres : From Beirut to Jerusalem ; The Lexus and the Olive Tree (1999) ; The World is Flat (2005) ; Hot, Flat, and Crowded (2008)

Son succès : il a reçu trois fois le prix Pulitzer (le prix de journalisme le plus prestigieux des États-Unis), tous ses livres ont été des best-sellers, et il figure parmi les leaders américains du U.S. News & World Report.

Son conseil pour devenir influent : "L'influence est liée à la qualité de ce que l'on fait, et se gagne avec le temps."

Thomas L. Friedman est un optimiste. "Quel que soit le sujet que j'aborde et quelle que sombre que soit la situation, je propose toujours une solution." Sa voix est calme et chaleureuse. Élevé au Minnesota dans une famille heureuse et sans histoire, cet homme est d'une simplicité qui surprend chez un auteur qui a remporté trois fois le prix Pulitzer, et dont le livre The World is Flat a révolutionné le commerce mondial, poussant des milliers de chefs d'entreprise à mettre le cap sur les pays émergents. Commerce a joint Thomas L. Friedman à Washington pour savoir où il puise ses idées et pourquoi celles-ci deviennent aussi populaires.

"Je suis plutôt mainstream, ni de gauche ni de droite. Par exemple, je suis un ardent défenseur du libre-échange, mais aussi des filets de sécurité pour les gens défavorisés. Ma pensée correspond à celle de la plupart des gens, qui ne se trouvent ni dans un camp ni dans l'autre eux non plus, ce qui explique le succès de mes livres."

Le monde que présente Thomas L. Friedman dans ses ouvrages ressemble à celui que l'on connaît - "Je décris ce que je vois au fil de mes voyages" -, à une différence près : en plus de décrire, il explique. "D'abord, je m'attarde à ce qui se passe. Puis, je me demande ce qu'il faut en dé-duire et ce que j'en pense."

L'influence de Thomas L. Friedman tient à son travail de terrain colossal. "Je travaille fort pour rassembler l'information qui servira à bâtir mes opinions." Par exemple, au cours des deux semaines qui ont précédé notre entrevue, il a fait le circuit suivant : Washington-Paris-Davos-Qatar-New Delhi - Bangalore - Corée du Nord -Washington. À chaque étape, il a rencontré des chefs d'État et des leaders influents aussi bien que des citoyens ordinaires. "Je regarde le monde avec leurs yeux et je fais ensuite la synthèse de ce que j'ai vu." En somme, il parcourt le monde à notre place. Là réside une partie de son intérêt. Surtout auprès de la communauté d'affaires, qui a terriblement besoin de cette vision globale de l'économie.

On peut parcourir le monde et en ramener une multitude de sujets. Comment choisit-il les siens ? "Je suis mon instinct et, jusqu'à présent, il m'a plutôt bien servi. Ce dont je parle se réalise généralement, ou s'accentue." Ainsi, son instinct l'a mené à s'intéresser à l'énergie lorsqu'il a joint les rangs du New York Times, en 1981. Au-jourd'hui, ce dossier revêt une importance capitale dans nos vies.

L'énergie est d'ailleurs le thème de son dernier ouvrage, Hot, Flat, and Crowded, qui se veut une suite à The World is Flat, un livre traitant de mondialisation et de l'éveil des pays émergents. Hot, Flat, and Crowded parle de réchauffement climatique, d'épuisement des ressources et de surpopulation. Fidèle à lui-même, l'auteur propose une solution : miser sur les énergies vertes. "En plus de s'attaquer au problème du réchauffement climatique, les énergies vertes deviendront un puissant avantage concurrentiel pour les États et pour les entreprises qui y investiront." Voilà qui n'est pas sans rappeler le nouveau programme d'un certain Obama... "Oui, mais mon livre est sorti en septembre 2008. J'en ai parlé avant lui !" répond Thomas L. Friedman en riant. Son influence se ferait-elle sentir jusqu'à la Maison-Blanche ? En patriote convaincu, il le souhaite. "Je crois que mes idées sont bonnes et qu'elles peuvent aider mon pays."

Don Tapscott, le missionnaire

Âge : 62 ans

Profession : chercheur, professeur, consultant

Nationalité : Canadien

Ses livres : treize ouvrages, dont Paradigm Shift (1992), The Digital Economy (1995), Wikinomics (2006) et Grown Up Digital (2008).

Son succès : The Digital Economy et Wikinomics ont figuré sur la liste de best-sellers de Business Week, et Wikinomics s'est classé parmi les best-sellers du Wall Street Journal, du Financial Times, du Financial Post et de The Economist.

Son conseil pour devenir influent : "Pour avoir de l'influence, vous devez créer de la valeur. Et pour conserver votre influence, vous devez être intègre, car tôt ou tard, les gens découvrent le genre de personne que vous êtes."

Au dernier Forum économique de Davos, Don Tapscott s'est entretenu avec Jean Charest, qu'il considère "un leader progressiste et éclairé". Ils ont parlé de démocratie 2.0, un nouveau modèle d'engagement citoyen.

Le premier livre de Don Tapscott, Office Automation: A User-Driven Me-thod, a été un échec. "Ma mère a acheté tous les exemplaires !" avoue-t-il en riant. Vingt-huit ans et douze livres plus tard, la situation a bien changé. Chaque année, ce Canadien donne une centaine de conférences à des gens d'affaires partout dans le monde. Ses livres The Digital Economy et Wikinomics sont des best-sellers. Don Tapscott conseille les grandes sociétés et les gouvernements, et fait partie du Who's Who de l'économie mondiale qui se réunit à Davos chaque année.

Après avoir longtemps prêché dans le désert - par exemple, en parlant de l'importance d'Internet en 1981 ! -, Don Tapscott appartient au club sélect des "influenceurs". Comment cela est-il arrivé ? Commerce l'a joint à son bureau de Toronto pour lui poser la question. "J'ai répété le même message jusqu'à ce qu'on m'écoute !" dit-il.

Depuis près de trente ans, il écrit et parle toujours du même sujet : les technologies de l'information (TI). Une expertise développée à la fois comme acteur - il a été vice-président chez DMR, une firme de consultation en informatique - et comme observateur. Il est aussi chercheur et professeur à la Rotman School of Management de l'Université de Toronto.

C'est la parution de Paradigm Shift - The New Promise of Information Technology (1992) qui a propulsé Don Tapscott sous les projecteurs. Ce livre a donné aux entreprises une vision de leur avenir et du rôle que les TI y joueraient. Les gens d'affaires étaient prêts à recevoir ce message. Du coup, l'influence de Don Tapscott a débordé du cercle des initiés pour le mener jusqu'au club sélect de Davos. D'ailleurs, lors du dernier sommet, il s'est entretenu avec Jean Charest, qu'il considère comme "un leader progressiste et réfléchi". "Je lui ai proposé de mener auprès des Québécois une consultation sur la démocratie 2.0. C'est un projet mondial qui cherche de nouveaux modèles d'engagement citoyen et de démocratie. Plusieurs États y participent déjà." Internet jouerait un rôle important dans ce nouveau modèle, ce qui explique l'intérêt de Don Tapscott pour ce projet, dont il fait la promotion auprès des chefs d'État dès qu'il en a l'occasion.

Certains "influenceurs" savent exploiter les tendances. Dans le cas de Don Tapscott, celles-ci le rattrapent. En 1996, il publie Who Knows: Safeguarding Your Privacy in a Networked World, qui traite de vie privée à l'ère d'Internet, de sauvegarde des données confidentielles, de piratage... Des enjeux qui font aujourd'hui partie du quotidien des entreprises. En 2003 paraît The Naked Corporation - How the Age of Transparency Will Revolutionize Business. Cette fois, l'auteur dénonce le manque de transparence des marchés financiers et comment Internet, en tant qu'outil de circulation d'information, peut améliorer la situation. Six ans après la sortie de ce livre, une crise financière frappe le monde, déclenchée, entre autres, par le manque de transparence des marchés financiers !

L'idéalisme de Don Tapscott contribue aussi à asseoir son influence. Il met une telle énergie à vouloir changer le monde que son message devient d'autant plus accrocheur. "La plus grande force pour améliorer le monde, à part les gens, ce sont les TI et les réseaux. C'est notre laissez-passer pour une société plus juste." D'ailleurs, les sujets abordés dans ses livres sont de plus en plus sociaux. Wikinomics: How Mass Collaboration Changes Everything, le livre d'affaires le plus vendu aux États-Unis en 2007, traite de la force des réseaux. "Les réseaux influencent notre façon de créer des biens et des services, et aussi, notre manière d'apprendre." Grown Up Digital: How the Net Generation is Changing Your World (2008) est un plaidoyer pour la jeunesse. "On taxe les jeunes de paresse et d'égocentrisme, alors qu'ils détiennent la clé de notre avenir : ils sont nés avec les TI. Il faut les écouter, car ils peuvent nous montrer comment transformer nos organisations en utilisant le pouvoir de la technologie et la collaboration qu'elle permet."

Un dernier élément explique l'influence de Don Tapscott : l'ambition. "Je veux être le meilleur conférencier que mon auditoire ait jamais entendu. Pas le meilleur de la conférence : le meilleur tout court. Sinon, c'est un désastre !"

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