Utiliser l'IA pour trier les CV, un risque de «déshumaniser»?

Publié le 17/03/2022 à 11:00

Utiliser l'IA pour trier les CV, un risque de «déshumaniser»?

Publié le 17/03/2022 à 11:00

Par Olivier Schmouker

«Nous utilisons depuis peu une intelligence artificielle pour trier les CV et les lettres de motivation que nous recevons.» (Photo: 123RF)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Nous utilisons depuis peu une intelligence artificielle pour trier les CV et les lettres de motivation que nous recevons. Ça a l’air efficace, mais je m’interroge tout de même: le jour où les gens sauront que ce n’est pas un être humain qui retient, ou pas, leur candidature pour un premier entretien, vont-ils avoir une image positive ou négative de notre entreprise? Bref, risquons-nous de passer pour une organisation "déshumanisée"?» – Léana

R. — Chère Léana, votre entreprise entend gagner en efficacité dans ses opérations de recrutement, et c’est tout à son honneur. Maintenant, vous relevez un point judicieux: à trop recourir à la technologie, ne risquons-nous pas de perdre en humanité? Regardons ça ensemble.

Yongchao Martin Ma est doctorant en management à l’Université des sciences et technologies Huazhong, à Wuhan en Chine. Zhongzhun Deng est professeur de marketing à l’Université du Sichuan, à Chengdu en Chine. Les deux chercheurs chinois se sont demandé si les candidats à l’embauche appréciaient a priori d’être triés par une IA, ou pas. Par exemple, ils ont voulu savoir si les gens considéraient que le risque était d’être écartés à cause d’un biais insoupçonné de l’IA (il est déjà arrivé qu’une IA analyse les dix dernières années de recrutement pour le poste considéré et en arrive à la conclusion qu’il lui fallait écarter les candidatures des femmes vu qu’aucune femme n’avait jusqu’alors occupé ce poste-là!). Dans le même ordre d’idée, ils ont voulu regarder si, au contraire, les candidats avaient un a priori plutôt positif envers le recours à une IA, celle-ci étant peut-être plus «neutre» qu’un recruteur humain qui, par exemple, n’a jamais recruté de candidats ayant récemment immigré et aurait un frein inconscient à le faire pour la première fois.

Ils ont procédé à trois expériences à ce sujet, ce qui leur a permis de découvrir que:

— Les candidats chinois — issus d’une culture collectiviste — perçoivent la sélection de candidats à l’embauche par une IA comme étant «plus juste» que celle effectuée par un recruteur humain. Pourquoi ça? Parce qu’ils considèrent que le traitement effectué par une IA est «très cohérent» et satisfait «la poursuite d’intérêts collectifs», en l’occurrence les intérêts globaux de l’employeur, et non pas les intérêts particuliers du recruteur humain.

— Les candidats américains — issus d’une culture individualiste — perçoivent la sélection de candidats à l’embauche par une IA comme étant «moins juste» que celle effectuée par un recruteur humain. De fait, ils estiment que l’IA n’est pas en mesure d’évaluer «la performance» qu’ils pourraient enregistrer au poste concerné, pas plus qu’elle n’est capable de satisfaire «leurs intérêts et objectifs personnels».

Voilà pourquoi l’étude en arrive à la conclusion que le recours à une IA dans un processus d’embauche n’est pas nécessairement approprié dans une société individualiste, comme c’est le cas en Amérique du Nord. D’autant plus que cela peut avoir un effet boomerang pour l’employeur: «L’utilisation d’une IA dans un tel cas de figure peut nuire directement à la réputation d’une entreprise, les candidats rejetés pouvant être amenés à dire du mal de celle-ci autour d’eux et à ne plus jamais postuler pour celle-ci», notent les deux chercheurs.

Bref, vos craintes, ma chère Léana, sont bel et bien fondées. Votre entreprise peut passer pour une organisation «déshumanisée» auprès des candidats écartés par votre IA, et voir sa réputation en pâtir.

La solution? Soit vous arrêtez de recourir à une IA pour recruter. Soit vous continuez, mais en attachant un soin particulier aux candidatures rejetées, qui peuvent se révéler des candidatures en or pour les postes que vous ouvrirez prochainement. Il faut trouver le moyen de maintenir un lien avec toutes sortes de profils professionnels qui ne répondent pas à vos attentes aujourd’hui même, mais qui pourraient bien combler vos attentes demain matin. Visez à plus long terme que d’habitude, et vous pourrez vous en frotter les mains à l’avenir.

Ce qui revient à dire qu’il vous faut, en vérité, montrer plus d’humanité que jamais envers les candidats écartés par votre IA. Et donc, consacrer davantage de temps à vos opérations de recrutement, alors que j’imagine que le but de recourir à une IA était d’y consacrer moins de temps.

En passant, le dramaturge britannique Edward Bond a dit: «Seul l’humain peut avoir conscience de la perte de l’humain».

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