Le mois dernier, j’ai participé à une rencontre réunissant le président et 70 vice-présidents et directeurs généraux d’une grande entreprise canadienne pour discuter vision d’avenir et leadership. Les hommes portaient un complet sans cravate et les femmes un tailleur, uniformément déclinés du gris anthracite au noir. Ils formaient un groupe très together, mobilisé pour faire croître l’entreprise et dépasser les concurrents.
Le premier jour, j’ai agi à titre d’observateur ; j’ai écouté attentivement les gestionnaires se présenter à tour de rôle avec assurance, humour et enthousiasme. Mais, au bout d’un moment, j’ai senti une certaine tristesse m’envahir. Certes, tous semblaient animés par un esprit d’équipe, et pourtant la solitude, voire l’isolement, était palpable. En effet, ils semblaient vraiment seuls avec leurs doutes, leurs peurs, leurs insatisfactions, mais aussi leurs rêves… Mon constat ? Tous unissaient leurs efforts pour atteindre les objectifs de l’organisation, mais chaque personne gardait pour soi les émotions qu’elle vivait en cours de route. Bref, ils étaient seuls, ensemble.
Je leur ai donc fait part de mon impression… et un long silence a suivi. En fait, il a fallu près d’une heure avant que quelqu’un n’ait le courage de briser la glace et de confier son sentiment d’isolement. Puis un autre a osé dire combien les ruptures, comme la réaffectation des équipes et le départ de collègues, l’affectait. Enfin, une participante a avoué sa peur de ne pas être à la hauteur, dévoilant du même coup sa vulnérabilité. Et quelqu’un a déploré le fait « qu’on ne parle jamais de ces choses-là ».###
Le patron, loin de freiner cet élan d’ouverture, a encouragé l’échange entre les participants, qui a alors pris une nouvelle tournure. On découvrait doucement les individus derrière les titres, les émotions derrière les plans d’action. Même si chacun avait un peu le vertige, l’atmosphère devenait plus légère. L’authenticité succédait au paraître, à la conformité, au politically correct. Une nouvelle intelligence se manifestait, transformant chaque participant.
Selon vous, combien de milieux professionnels sont-ils ainsi soumis à une certaine loi du silence, fermés aux émotions et au dialogue ? Combien d’organisations nuisent-elles à l’éclosion d’un véritable esprit d’équipe, qui permettrait à chaque personne d’être elle-même, libérée de la crainte du jugement de ses coéquipiers, et de contribuer ainsi au bien commun de l’équipe ? Certes, être soi-même au travail et dans la vie exige une bonne dose de courage. Plusieurs choisiront de ne pas le faire par peur de perdre leur crédibilité, leur force au sein du groupe, voire leur poste. Hélas ! cette crainte peut nous amener à perdre une partie de nous-mêmes.
À mon sens, la « vraie rencontre » entre les membres d’une équipe nécessite de l’ouverture et de la confiance, des attitudes qui se développent si les gens dévoilent leurs vulnérabilités. À cela s’ajoute la curiosité, car le fait de se préoccuper les uns des autres fait naître la complicité et favorise la fidélité au groupe. Ça me rappelle le jour où j’ai dit à mon patron qu’il semblait plus intéressé à « combien » j’allais, plutôt qu’à «comment» je me portais. Il importe de s’enquérir du bien-être de chacun. Aussi, dans une équipe véritablement soudée, chaque membre est à la fois mobilisé par la vision et les objectifs de son organisation et soucieux de ce que chacun vit pour y parvenir. Ainsi unie dans l’aventure, une telle équipe ne connaît pas de limites. Et vous, vous sentez-vous seul au sein de votre équipe ? Et si vous étiez le premier ou la première à avoir le courage d’en parler ?
