Quand peut-on se fier à son intuition ?

Publié le 01/12/2010 à 15:19, mis à jour le 01/12/2010 à 15:53

Quand peut-on se fier à son intuition ?

Publié le 01/12/2010 à 15:19, mis à jour le 01/12/2010 à 15:53

Par Premium

Nombre de dirigeants affirment que les décisions stratégiques importantes qu’ils prennent – le lancement d’un produit, une opération de fusion-acquisition ou les investissements en R&D – s’appuient sur leur longue expérience, ce qu’on pourrait considérer comme un contexte favorable. Ont-ils raison?

Gary Klein : Aucune de ces situations ne concerne un contexte vraiment sûr, mais elles présentent assez de points communs avec leur expérience pour que les dirigeants puissent se fier à leur intuition. En fait, j’aimerais bien que celui ou celle qui est confronté à de tels choix réfléchisse réellement aux différents scénarios possibles, les bons comme les cauchemardesques, en fonction des solutions envisageables au problème, et surtout s’interrogent sur ce qui pousse vraiment leurs collaborateurs à s’enthousiasmer pour ce qu’ils proposent.

Daniel Kahneman : Quand il s’agit de décisions stratégiques, je serais très préoccupé par les excès de confiance. Il y a souvent des aspects entiers du problème qui nous échappent – à titre d’exemple, que feront les concurrents? Un dirigeant peut avoir une très forte intuition que son nouveau produit est vraiment prometteur, sans pouvoir se douter qu’un concurrent est déjà en train d’en mettre au point un similaire. J’ajoute qu’il faut très peu de réussites passées pour que les leaders fassent preuve d’un excès de confiance. Certains acquièrent la réputation d’avoir très bien réussi, mais tout ce qu’ils ont fait, en somme, c’est de prendre des risques que les personnes raisonnables n’auraient pas courus.

Gary Klein : Sur ce point, Daniel et moi sommes d’accord. Quand les dirigeants atteignent les échelons supérieurs, c’est parce qu’ils ont la capacité d’inciter les autres à se fier à leur jugement, même quand celui-ci ne repose sur rien de solide.

Vous croyez donc que les processus de sélection de leaders favorisent les individus qui prennent des risques et sont chanceux, plutôt que les personnes plus rationnelles?

Daniel Kahneman : Aucun doute là-dessus. S’il y a une idée préconçue, elle va dans ce sens. Par ailleurs, ceux qui prennent des risques et qui ont de la chance analysent après-coup leurs décisions de manière à renforcer leur conviction que leur intuition était la bonne. Ça renforce aussi la confiance que les autres auront en l’intuition de leur leader. C’est là l’un des grands dangers qui guettent le choix des leaders dans les organisations : on les sélectionne sur la base d’un excès de confiance. On associe souvent le leadership à la capacité de décider. Cette perception pousse les gens à prendre des décisions plutôt rapides, pour éviter de paraître hésitants ou indécis.

Gary Klein : Je suis d’accord. Dans notre société nord-américaine, un homme comme John Wayne incarne l’archétype de la crédibilité. Quand il évalue une situation et qu’il dit «Voici ce que je vais faire», on le suit. Daniel et moi, nous nous inquiétons tous les deux de ces leaders placés devant des situations complexes, qui n’ont pas assez d’expérience, qui ne se fient qu’à leur intuition sans vraiment la surveiller, sans trop y penser.

Daniel Kahneman : Nous ne sommes pas tous des John Wayne, et ça a des conséquences. On s’attend vraiment à ce que les leaders prennent des décisions et agissent rapidement. On souhaite profondément être dirigés par des personnes qui savent ce qu’elles font et qui n’ont pas besoin d’y penser trop longuement.

Qui serait votre modèle de leader, autre que John Wayne, bien entendu?

Gary Klein : Quand j’étais en Irak, j’ai rencontré un lieutenant-général qui m’a raconté une merveilleuse histoire à propos de sa première année là-bas. Il a appris continuellement durant cette période. Comment? En remettant en question ses préjugés, et en s’apercevant qu’il avait tort. À la fin de l’année, il avait un point de vue complètement différent sur la façon de faire les choses, sans avoir perdu la moindre crédibilité.

Un autre exemple qui me vient en tête est celui de Lou Gerstner, quand il est passé chez IBM. Il arrivait dans une industrie qu’il ne comprenait pas vraiment. Il n’a pas prétendu en saisir les nuances, mais il était perçu comme intelligent et ouvert, si bien qu’il a rapidement gagné la confiance de son entourage.

Il y a quelques minutes, Gary, vous parliez d’imaginer comment une décision pourrait mal tourner. Cela ressemble à votre technique «pré-mortem». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Gary Klein : Cette technique est une façon détournée d’amener les gens à voir le contraire; c’est se faire l’avocat du diable sans rencontrer de résistance. D’habitude, si un projet tourne mal, on se rencontre pour en tirer des leçons et pour comprendre les raisons de cet échec – comme si on faisait une autopsie. Pourquoi ne pas le faire avant? Au démarrage d’un projet, on devrait faire le jeu de rôles suivant : «On regarde dans une boule de cristal, et on découvre que le projet a finalement échoué. C’est un fiasco total. Alors, prenons tous deux minutes pour écrire quelles raisons expliquent cet échec.»

La logique derrière cet exercice, c’est qu’au lieu de montrer à tout le monde combien vous êtes intelligent d’avoir pensé à ce projet, vous leur démontrez plutôt que vous avez l’intelligence de réfléchir à ce qui pourrait mal tourner. En intégrant cette attitude à votre culture d’entreprise, vous créerez une compétition intéressante : «Je veux découvrir des problèmes potentiels auxquels les autres n’auront pas pensé». Plutôt que d’éviter de discuter des problèmes potentiels, pour ne pas briser l’harmonie, tout le monde se mettra à les chercher. Ça change complètement la dynamique.

Daniel Kahneman : Cette technique est une excellente idée. J’en ai parlé à Davos, en précisant que ça venait de Gary, et le président d’une grande société m’a dit que ça valait le déplacement juste pour entendre ça. La beauté du pré-mortem, c’est que c’est vraiment facile à faire. D’après moi, en règle générale, le fait de se plier à cet exercice pour un projet qu’on s’apprête à lancer ne nous fera pas changer d’idée. Mais ça nous forcera à apporter des ajustements très bénéfiques. Bref, c’est une technique peu coûteuse qui peut rapporter gros.

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