Les relations amoureuses au travail semblent de plus en plus fréquentes ou, du moins, plus visibles. Les rencontres sociales se multiplient dans les entreprises qui dorlotent leurs employés et les communications internes se raffinent.

Le courrier électronique, par exemple, facilite les rapprochements, en toute discrétion. Les gens commencent leur vie professionnelle plus tard et de surcroît, ils sont célibataires plus longtemps. Voilà de quoi convaincre Cupidon de s'attaquer aux entreprises!

«Nous passons tellement de temps au bureau que je ne serais pas étonnée qu'il y ait de plus en plus de couples qui se forment au travail et même qui se marient! La plupart des relations qui n'ont pas débuté pendant les études commencent au travail», affirme Michèle Poirier, présidente de Michèle Poirier et associés, un cabinet-conseil en gestion de ressources humaines.

Les entreprises ne sont pas pour autant mieux préparées à gérer ce genre de situation.

«Le problème, c'est quand les personnes se retrouvent dans une situation de conflit d'intérêts ou de bris de confidentialité, et c'est bien évident qu'un couple qui émerge dans une organisation a des canaux privilégiés. Les gens se racontent des choses et ne savent pas toujours quand s'arrêter», indique Mme Poirier.

L'amour entre deux employés de même niveau hiérarchique? Les intervenants consultés n'y voient pas vraiment de problème. «Comme gestionnaire, ça ne me dérange pas. Je regarde la performance au travail et l'intégrité des employés et s'il y a des choses qui me tracassent, j'en parle aux gens concernés», explique André Reid, vice-président et directeur général de la Société de psychologie industrielle Pierre Boucher

Dans un article de l'Agence France Presse publié il y a une dizaine d'années, deux sexologues suédois soutenaient même que l'amour entre collègues augmentait le chiffre d'affaires! Les employés auraient plus d'énergie et un meilleur rendement.

Ce qui pose problème, c'est quand la relation implique un patron et son employé. Personnellement, André Reid avoue qu'il ne voudrait jamais que sa conjointe travaille avec lui. «Ça complique les choses». Favoritisme, conflits d'intérêt ou apparence de conflits, le gestionnaire qui flirte au boulot prête le flanc à toutes les critiques. Quant à l'employé, il ou elle s'expose aux sarcasmes de ses collègues.

La situation devient on ne peut plus délicate lorsqu'il y a rupture. La consultante Michèle Poirier dit être intervenue à trois reprises dans des cas où l'employée, une femme, laissée par son conjoint et patron, l'accusait de harcèlement sexuel en guise de représailles. Et l'inverse est aussi vrai. Des patrons, non contents d'être mis de côté, peuvent exercer des pressions indues sur leur ex-amie et employée.

L'employeur doit respecter la vie privée

Une relation entre un supérieur et son subalterne peut-elle justifier un congédiement? Une entreprise peut-elle émettre des consignes claires à ce sujet?

«Un employeur n'a pas le droit de s'immiscer dans la vie privée de ses employés, tant que ça ne remet pas en cause les activités de son entreprise», tranche François Garneau, associé de la firme Desjardins Ducharme Stein Monast et spécialiste du droit du travail.

Par exemple, une clause dans un contrat de travail interdisant d'avoir une relation intime avec un collègue, un patron ou un employé, n'aurait aucune force de loi. «Ce serait contraire à la Charte des droits et libertés», explique M. Garneau.

L'employeur peut intervenir s'il réussit à prouver qu'il y a du favoritisme, de l'abus de pouvoir ou l'évidence d'un conflit d'intérêt (patron et délégué syndical, par exemple). L'entreprise peut alors décider de muter l'un des deux employés dans une autre division.

D'autre part, l'employé n'a pas non plus l'obligation de dévoiler sa relation avec un collègue. Par contre, comme le constate Mme Poirier, plusieurs personnes vont demander elles-mêmes à être mutées ailleurs par souci de loyauté. «C'est souvent la femme qui sera déplacée parce qu'elle est la subalterne dans la majorité des cas», dit- elle.

En effet, les relations entre un patron féminin et son employé masculin seraient plus rares, du moins plus discrètes, mentionnent les intervenants. Encore plus tabou? Sans doute, car l'amour au travail est encore en soi un sujet occulté par les entreprises. Les cadres ne sont jamais formés pour se protéger des coups de foudre entre eux, avec leurs employés ou entre ceux-ci, observe Mme Poirier. «En fait, on espère toujours que ça n'arrivera pas!»

Des chiffres...

- 34 % des Canadiens affirment avoir déjà eu des fantasmes sexuels incluant un ou une collègue.

- 14 % ont déjà eu une aventure avec un ou une collègue.

- 12 % ont eu des relations intimes sur les lieux du travail.

- 2 % ont avoué avoir eu une aventure avec leur patron, comparativement à 1 % avec un subordonné...

Source: Sun Media (enquête menée en 1998 auprès de 1 500 entreprises canadiennes)

VOTRE ORGANISATION EST-ELLE ENDO OU EXOGAMIQUE?

Avis à tous les célibataires: Hydro-Québec, Canadair et le Mouvement Desjardins sont des endroits propices pour faire des rencontres...

Certaines organisations, en particulier les grandes entreprises, créent des situations favorables à la création de couples! Elles favorisent le travail d'équipe, ont beaucoup de rencontres sociales et comptent une proportion d'hommes et de femmes à peu près équivalente.

«Ce sont des milieux où les gens ont des relations professionnelles d'une nature telle qu'elles créent des occasions propices aux relations interpersonnelles», constate Michèle Poirier, présidente d'une firme de consultants en gestion des ressources humaines.

Il y a aussi des secteurs d'emploi plus fertiles comme la santé, l'enseignement, l'aviation (pilotes et agents de bord), le cinéma et les médias.

Ce phénomène sociologique dans les entreprises s'appelle endogamie, c'est-à-dire l'obligation pour les membres d'une même tribu de se marier entre eux pour assurer la survie du clan! Les entreprises où il y aurait juste des hommes, juste des femmes ou encore des représentants sur la route (!) seraient des organisations plutôt exogamiques.