Les pirates attaquent !

Publié le 12/05/2011 à 15:08, mis à jour le 12/05/2011 à 15:08

Les pirates attaquent !

Publié le 12/05/2011 à 15:08, mis à jour le 12/05/2011 à 15:08

Par Premium

Si contourner, voire court-circuiter, certaines procédures qui entravent la productivité est parfois nécessaire, rares sont les entreprises qui encouragent leurs employés à le faire. Pourtant, en permettant certains actes de piratage, elles gagneraient en créativité et en efficacité.

Après plusieurs décennies passées à observer le monde de l’entreprise, Bill Jensen et Josh Klein confirment ce constat : qu’elle le veuille ou non, chaque organisation possède une armée de pirates qui détournent les règles dans le but de mieux performer à leur façon. Raison de plus pour apprendre à gérer, avec flexibilité et fermeté, ces créateurs de valeur qui constituent une force positive de changement.

Une histoire vraie : Jean-François, vice-président des ventes sur le marché asiatique d’une filiale d’un conglomérat alimentaire, raconte comment, pour des raisons de sécurité, son service de technologies de l’information (TI) lui interdit d’utiliser des clés USB avec son ordinateur portable. « Je ne suis pas censé transférer des données professionnelles sans l’accord des TI, dit-il. Mais c’est une aberration, et je le fais quand même. » Autrement dit, ce cadre responsable des opérations d’un groupe important sur tout un continent est traité comme un gamin de deux ans. Absurde ? Oui, mais hélas très répandu ! Après avoir observé le monde de l’entreprise pendant des décennies, les auteurs concluent que « ce sont les paradoxes paralysants, liés à des outils et à des processus pourtant censés faciliter notre travail, qui nous compliquent les choses ». Résultat, les entreprises voient se développer une armée de nouveaux héros, ces hackers qui s’affranchissent des règles, utilisent des outils interdits et ignorent les diktats de la direction. Bien sûr, dans des organisations sclérosées, le piratage peut se révéler particulièrement indispensable pour dynamiser la culture d’entreprise ; mais, même dans des sociétés ouvertes au changement, le hacking peut se révéler profitable aux employés et aux entreprises. Bien évidemment, le bris des règles a… ses propres règles. D’où l’importance de savoir pirater intelligemment et de gérer habilement les hackers.###

Pirater oui, mais intelligemment

Les individus sont programmés pour défier les règles, car ils sont naturellement enclins à améliorer sans cesse leur environnement. De l’avis de Bill Jensen et de Josh Klein, « pirater, c’est comprendre suffisamment un système pour le déconstruire, jouer avec ses fondements internes et l’optimiser ». Dans les entreprises, cela se traduit par la capacité à repousser les barrières et à repenser les outils qui nuisent à la productivité, afin de s’octroyer le pouvoir nécessaire pour bien faire son travail. Les auteurs définissent trois éléments qui peuvent motiver le piratage au sein d’une entreprise.

> La curiosité : « Je me demande ce qui se passerait si… »

> L’imagination : « Ce serait sûrement plus efficace, par exemple si… »

> La rébellion : « Cette interdiction n’a aucun sens. Il y a sûrement une autre solution ! »

Le hacking, selon les auteurs, serait une force positive de changement. Car, dans un monde en constante rupture, des employés qui savent briser les règles et les réinventer constituent un facteur décisif d’avantage concurrentiel.

Concilier piratage et éthique

Le hacking peut-il être un comportement éthique dans une entreprise ? Oui, s’il ne sert pas à défendre des intérêts strictement personnels, comme obtenir une promotion ou se procurer des informations privilégiées en espionnant les courriels des collègues. C’est pourquoi les hackers doivent respecter certaines règles.

> S’assurer que l’acte de piratage est nécessaire. Un hack n’est pas forcément la solution ; pour résoudre un problème, il suffit parfois d’en parler à son supérieur immédiat.

> Ne pas nuire à l’entreprise. Le but, c’est d’optimiser une procédure ou un outil qui sert à l’entreprise, pas de les détruire.

> Respecter les individus. Divulguer des informations touchant des clients ou la propriété intellectuelle d’une entreprise à des individus qui ne devraient pas y avoir accès est contraire à l’éthique.

Quand le piratage devient nécessaire

Constat : nous pouvons tous être plus performants si nous savons nous affranchir des procédures irrationnelles que nous impose notre employeur. Dans les circonstances suivantes, par exemple, hacker est le meilleur moyen de corriger des problèmes chroniques qui ne se résoudront jamais d’eux-mêmes.

> L’entreprise n’est pas orientée utilisateur. Les structures, les procédures et les outils sont pensés pour faciliter la gestion interne, pas pour augmenter la performance de ceux qui les utilisent.

> Les gestionnaires contrôlent plus qu’ils ne gèrent. Plus le contrôle est important, moins le travail des gestionnaires est complexe. Bill Jensen et Josh Klein observent que, dans les entreprises, le quotidien est rempli de « chevaux de Troie », c’est-à-dire de procédures et d’outils — comme les rapports hebdomadaires, les évaluations et les analyses fastidieuses — mis en place davantage pour contrôler insidieusement les employés que pour leur faciliter la tâche.

> Les employés se sentent à l’étroit. Quand une entreprise demande à ses employés de donner le meilleur d’eux-mêmes, parfois dans des conditions où prévalent coupures de budget et de personnel, elles ont tout intérêt à leur accorder une marge de manœuvre suffisante pour y parvenir.

Comment gérer les pirates ?

Dans une entreprise, le piratage modifie les règles du jeu, tant pour les supérieurs immédiats de ceux qui s’y adonnent que pour la haute direction. Si les premiers peuvent très bien choisir de fermer les yeux, les seconds doivent réaliser que, si le piratage existe, c’est qu’il est temps de (re)donner du pouvoir — ou à tout le moins une plus grande marge de manœuvre — aux employés ; sinon, ils continueront d’être tentés de court-circuiter procédures et outils de travail. Certes, gérer des hackers au quotidien exige flexibilité tout autant que fermeté. Comme le résume Kumar Sharma, ex-consultant chez Infosys, le piratage ne doit servir qu’aux intérêts du groupe, être absolument nécessaire et créateur de valeur, et il ne doit en rien nuire aux individus ; et, s’il est accepté, il doit être géré… dans les règles.

Quelques clés

Pris entre deux feux, les gestionnaires doivent concilier les règles imposées par la haute direction et la volonté des employés de bien faire leur travail. Ils sont responsables de ce que font leurs employés et sont les personnes les mieux placées pour comprendre leurs besoins. En fonction du degré de risque qu’ils souhaitent prendre, ils peuvent suivre l’une des deux voies suivantes.

1. Couvrir les hackers. Concrètement, offrir une couverture consiste soit à expliquer aux employés comment éviter de se faire prendre quand ils défient les règles, soit à leur fournir les ressources nécessaires (infrastructures, informations, collaborateurs) pour être en mesure de défier l’ordre établi sans pour autant mettre en danger l’entreprise.

2. « Rien vu, rien entendu ». Soutenir secrètement les hackers n’est pas honteux. Cela consiste par exemple à fermer les yeux et les oreilles quand des employés sous-entendent qu’ils vont contourner certaines règles pour mener à bien un projet.

Quant aux hauts dirigeants, dont le rôle diffère de celui des gestionnaires, ils doivent laisser les employés concevoir les outils qui leur permettront de mieux exécuter leur travail — et même les encourager à le faire. Mais, pour en arriver là, la haute direction doit se demander pourquoi le piratage existe dans l’entreprise ; voici donc quelques pistes utiles pour faire ce diagnostic.

> Se poser les bonnes questions. Accepter que les hackers participent significativement à l’innovation suppose de prendre conscience des limites dans lesquelles l’organisation confine ses employés.

> Aller au fond des choses. La haute direction n’a souvent aucune idée des efforts que fournissent les employés pour accomplir des tâches simples. Il faut arrêter de se baser uniquement sur les données recueillies par le service des ressources humaines et aller passer une journée auprès des employés ou des clients pour mieux saisir leur quotidien.

> Ouvrir le dialogue. « Les grands patrons adorent donner l’illusion qu’ils contrôlent tout », raillent Bill Jensen et Josh Klein. C’est pourquoi parler ouvertement de hacking leur fait peur. Pourtant, leur rôle est de promouvoir le changement et donc d’être à l’écoute des besoins de tous et d’en parler ouvertement.

Deux entreprises, Zappos et Google, ont bien compris la nécessité de remettre les employés au cœur des procédures que suit une entreprise. Zappos, pour repérer rapidement les nouveaux employés qui ne pourront pas cadrer dans l’entreprise, leur offre 2 000 $ pour qu’ils démissionnent après leur première semaine de travail ; Google propose à ses employés de consacrer 20 % de leur temps de travail à des projets personnels. Ces deux entreprises, qui prennent toute la mesure des besoins de leurs employés, sont-elles à l’abri du piratage pour autant ? Non, plus encore, elles l’encouragent ! Par exemple, la direction de Google invite ses employés à concevoir, pour eux-mêmes, des outils sur le modèle de ceux qu’ils créent pour leurs clients : des outils simples, utiles, fiables et rapides, novateurs, beaux, universels et personnalisables.

À retenir

Les hackers contournent les procédures organisationnelles et détournent des outils. Bref, ils s’octroient le pouvoir qui leur manque pour bien faire leur travail.

Ces actes de piratage sont des forces positives de changement. Les entreprises ont intérêt à en tirer profit pour repenser leur fonctionnement.

Accepter les hackers dans une équipe ne signifie pas nécessairement leur donner carte blanche. Le mieux est d’observer et de laisser faire sauf quand il y a risque de dérapage.

Face aux pirates, les gestionnaires et les hauts dirigeants ont un rôle décisif à jouer. Les premiers peuvent choisir de les encourager ou de fermer les yeux ; les seconds doivent réaliser que si le piratage existe, c’est qu’il est temps de redonner aux employés la marge de manœuvre dont ils ont besoin.

Le respect de la hiérarchie est nécessaire, car il importe de donner des consignes claires aux équipes de travail : quels types de hacks sont tolérés et ceux qui sont formellement interdits.

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