«L'IA arrive chez nous. Dois-je paniquer pour mon emploi?»

Publié le 01/02/2024 à 07:29

«L'IA arrive chez nous. Dois-je paniquer pour mon emploi?»

Publié le 01/02/2024 à 07:29

Par Olivier Schmouker

24% des entreprises canadiennes qui se servent déjà de l'IA disent que son adoption va inévitablement se traduire par des suppressions de postes. (Photo: Possessed Photography pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Je travaille dans le numérique au sein d'une agence de communication marketing. Des bruits de couloir disent que plusieurs de nos boss sont en train d’expérimenter une intelligence artificielle (IA). Pour l’heure, aucun d’entre eux ne nous en a parlé. Dois-je m’inquiéter, voire carrément paniquer, pour mon emploi?» – Cendrine

R. – Chère Cendrine, je me dois de vous prévenir que je vais vous présenter des faits qui risquent de ne pas vous plaire. Loin de moi l’envie de vous faire paniquer, mais plutôt celle de vous donner l’heure juste, même si cette dernière peut se révéler stressante.

Pour commencer, des chiffres. Le groupe américain de messagerie et de livraison UPS compte supprimer quelque 12 000 emplois dans le monde. Il compte aujourd’hui 500 000 salariés. L’origine principale de cette vague de licenciements: l’implantation d’un programme massif d’automatisation, qui comporte de l’intelligence artificielle (IA), selon les explications Carol Tomé, la PDG d’UPS, en marge de la dernière présentation des résultats financiers de l’entreprise.

Ce programme comporte notamment le recours à un tout nouveau site baptisé UPS Velocity, à Louisville (Kentucky), où une grande partie des opérations est d’ores et déjà assurée par quelque 700 robots gérés par une IA. Il devrait permettre «des économies d'un milliard de dollars américains dès 2024», a précisé Carol Tomé.

Poursuivons avec ce qui se passe actuellement dans le milieu des jeux vidéo, réputé être l’un des «fleurons économiques» du Québec, je me permets de le souligner. À l’échelle de la planète, ce sont plus de 6 000 mises à pied qui ont été annoncées ici et là – Activision-Blizzard, Riot Games, etc. – ces dernières semaines. C’est autant que pour l’ensemble de 2023 (Behaviour Interactif, Eidos-Montréal, etc.).

Pourquoi toutes ces suppressions de postes? Les hautes-directions des entreprises concernées restent assez vagues à ce sujet, évoquant la nécessité d’effectuer, par exemple, des «restructurations», des «changements organisationnels», ou encore des «recentrages des priorités». Des termes passe-partout qui font croire qu’en vérité autre chose se passe à l’interne qui ne peut pas être encore dit au grand jour, à savoir que les entreprises technologiques, comme celles de l’industrie des jeux vidéo, ont été les premières à expérimenter l’IA et sont à présent, en toute logique, les premières à remplacer les travailleurs humains par des robots intelligents.

C’est du moins la conviction profonde de Jonathan Roberge, professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui a récemment confié à Radio-Canada que «ces entreprises sont à l’avant-plan des transformations technologiques, et en deviennent maintenant les cobayes». Selon lui, l’industrie du jeu vidéo cumule les annonces de pertes d’emploi ces temps-ci parce que «les programmeurs et les créatifs savent très bien qu’ils sont parfaitement remplaçables par les technologies qui sont en train de se développer», dit-il.

Une connaissance dans le milieu des jeux vidéo m’en a récemment parlé. Elle m’a confié, le plus simplement du monde, qu’elle avait l’habitude de mener à bien ses projets avec l’aide de deux ou trois programmeurs, mais que depuis qu’elle avait découvert et expérimenté ChatGPT Plus, d’OpenAI, elle ne ressentait plus le besoin de faire appel à leurs services: «Il me suffit de lui dire – même plus besoin de rédiger, on peut s’adresser à cette IA juste par la voix, maintenant! – ce que je veux comme résultat final, et l’IA me donne toutes les lignes de code nécessaires pour l’obtenir, m’a-t-elle confié, des étincelles dans les yeux. Il n’y a jamais aucune erreur, le code fonctionne toujours. Je peux même lui demander de me rédiger des lignes de code plus «élégantes», et elle le fait en un clin d’œil. C’est quasiment magique!»

Résultat? Disons-le sans fard: bye-bye les programmeurs! Un gestionnaire qui sait lui-même coder, et donc voir si les lignes de code fournies par une IA sont bonnes, ou pas, n’a plus besoin d’équipe. Le travail est réalisé «en un clin d’œil». Il est parfait. Il peut être effectué 24/7. Et il est gratuit, ou presque.

À ce compte-là, un secteur d’avenir à court et moyen termes est, me semble-t-il, celui des programmes de formation en utilisation de l’IA, en particulier de ChatGPT, car tous les gestionnaires qui entendent conserver leur job dans les années à venir vont en avoir absolument besoin. Oui, «expert en ChatGPT» va sûrement devenir une mention incontournable sur les CV de demain matin…

Poursuivons, Cendrine. Adastra, un cabinet-conseil en gestion des affaires, vient de dévoiler son rapport annuel sur le marché canadien des professionnels de données. Il en ressort plusieurs informations qui devraient vous intéresser au plus haut point:

– 94% des organisations canadiennes qui se servent d’ores et déjà de l’IA s’en disent globalement satisfaites.

– 90% d’entre elles sont «fermement convaincues» que l’IA va entraîner une hausse globale de la productivité de leur organisation, et que nombre de tâches effectuées habituellement par leurs employés humains vont bientôt l’être par l’IA.

– 45% d’entre elles sont aussi «fermement convaincues» que l’IA leur permet, et va continuer de leur permettre, de diminuer leurs coûts.

– 24% estiment que l’adoption de l’IA va inévitablement se traduire par des suppressions de postes.

Un dernier chiffre tiré du rapport d’Adastra montre combien les boss sont sensibles à l’IA: 76% des gestionnaires de ces entreprises-là disent utiliser régulièrement ChatGPT afin d’avoir une idée du contenu qu'ils pourraient utiliser pour une réunion ou une présentation à venir. Autrement dit, grâce à elle, nos boss peuvent paraître plus «intelligents», ce qui peut expliquer en partie pourquoi ils la voient d’un aussi bon œil…

Alors, Cendrine, que pouvons-nous faire face à cette déferlante qui est en train de naître sous nos yeux ébahis?

 

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