Comment penser autrement

Publié le 17/11/2012 à 12:00, mis à jour le 20/11/2012 à 12:00

Comment penser autrement

Publié le 17/11/2012 à 12:00, mis à jour le 20/11/2012 à 12:00

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Plutôt que d’être de simples machines à générer des profits, des entreprises choisissent de combiner la logique financière et la logique sociale pour assurer leur pérennité.

Par : Rosabeth Moss Kanter, Harvard Business Review

Les économistes et les gens d’affaires ont toujours soutenu que l’objectif des entreprises se résume à faire des profits, et que plus elles en font, mieux c’est. Profondément ancrée dans le système capitaliste américain, cette vision complaisante façonne les actions de la plupart des sociétés, ce qui les oblige à viser l’optimisation des profits à court terme et à offrir des rendements à leurs actionnaires. Les impératifs financiers dictent leurs décisions.###

Je dis « complaisante » parce que cette logique bancale force les entreprises à occulter le fait qu’elles disposent d’immenses ressources qui ont une influence durable sur le monde et que leurs stratégies façonnent la vie de leurs employés, de leurs partenaires et des consommateurs dont elles dépendent. Malgré tout, le point de vue traditionnel des entreprises ne représente en rien la façon dont les meilleures entreprises envisagent la voie de la réussite. Celles-ci estiment que le monde des affaires est une partie intégrante de la société, et elles reconnaissent que, comme la famille, le gouvernement et la religion, il est un des piliers de notre société depuis le début de l’ère industrielle. Bien sûr, les meilleures entreprises poursuivent leurs activités dans le but de faire des profits, mais elles choisissent de le faire en pensant à leur pérennité. Elles investissent dans l’avenir, tout en étant conscientes de la nécessité de contribuer au bien-être des individus et de la société.

Cet article décrit cette logique très différente — une logique sociale ou institutionnelle — sur laquelle reposent les pratiques de nombreuses entreprises qui jouissent de l’estime générale, des entreprises super performantes et durables. Pour ces entreprises, la société et les individus ne sont pas des laissés-pour-compte ou des données à utiliser et à jeter, ils se trouvent au cœur de leurs activités. Mes recherches continues sur des entreprises prospères et admirées dans plus de 20 pays répartis sur quatre continents sont à l’origine de ma réflexion sur le rôle de la logique institutionnelle en affaires.

Selon la logique institutionnelle, les entreprises ne sont pas seulement des instruments à générer des profits. Elles ont aussi une mission sociale et offrent un moyen de subsistance essentiel à ceux qui travaillent pour elles. Pour cette école de pensée, la valeur qu’une entreprise crée se mesure non seulement en termes de profits à court terme ou de chèques de paie, mais aussi en fonction de la façon dont elle soutient les structures qui lui permettent de progresser au fil du temps. Les dirigeants de ces entreprises offrent davantage que des rendements financiers. Ils bâtissent des institutions durables.

Un objectif commun

Le fait de concevoir une entreprise comme une institution sociale tempère l’incertitude et le changement en offrant aux organisations une identité cohérente.

À mesure qu’une entreprise progresse, qu’elle fait des acquisitions et qu’elle diversifie ses activités, sa composition change. De plus, les fonctions des employés varient souvent d’un pays à l’autre. Alors, comment les entreprises acquièrent-elles une identité cohérente ? Où sont les sources de certitude qui permettent aux individus de passer à l’action dans un monde instable ? L’objectif et les valeurs — et non les produits — sont au cœur de l’identité d’une organisation, et ce sont eux qui peuvent guider les individus dans leurs efforts pour trouver de nouveaux produits qui bénéficient à la société.

Prenez le Mahindra Group de Mumbai, une entreprise multidisciplinaire qui affiche un actif de 11 milliards de dollars et emploie 117 000 personnes dans 100 pays. À l’instar de nombreuses entreprises des marchés émergents, le Mahindra Group exerce ses activités dans de nombreux secteurs, dont ceux de l’automobile, de la finance, des technologies de l’information, etc. À l’instar des meilleures entreprises, elle investit dans la création d’une culture qui repose sur un objectif commun afin d’offrir de la cohérence dans la diversité, et proclame qu’elle est formée de « nombreuses entreprises unies dans la poursuite d’un but commun : permettre aux gens de progresser ».

La mondialisation dissocie les organisations d’une société en particulier, et exige cependant qu’elles internalisent les besoins de nombreuses sociétés. Il est possible de résoudre cette question complexe en établissant des valeurs institutionnelles claires. Par exemple, PepsiCo a fait de la santé un volet de son aspiration à Donner un sens à la performance, son slogan. La nutrition, la responsabilité environnementale et la rétention des talents en sont les piliers. Ce slogan fournit un cadre d’orientation stratégique et de motivation à divers secteurs d’activité, dans de nombreux pays. Il exige un changement progressif partant de la notion de plaisir vers celle du mieux-être, puis celle du bien-être, dans le langage de PepsiCo. Il donne un fondement aux acquisitions et aux investissements. Il explique la création d’une unité organisationnelle, le Global Nutrition Group, et les nouveaux postes de direction tels que celui de directeur mondial de la santé. Le slogan oriente l’objectif de réduire ou d’éliminer le sucre et le sel dans les aliments et les boissons. Et surtout, il offre une identité aux gens qui travaillent pour PepsiCo partout dans le monde.

Les dirigeants peuvent compenser l’incertitude économique par un ancrage institutionnel.

L’ancrage institutionnel est un investissement dans les activités et les relations qui, sans tracer immédiatement une voie directe vers le profit, reflètent les valeurs défendues par l’entreprise et la manière dont elle assurera sa pérennité.

L’ancrage institutionnel peut séparer les entreprises survivantes de celles qui sont dépassées par l’évolution mondiale.

En 2007, Grupo Santander, d’Espagne, a acquis Banco Real, du Brésil, et l’a intégrée à son actif brésilien. L’esprit de Banco Real représentait beaucoup plus que ses avoirs financiers. C’est le chef de la direction de l’époque, Fabio Barbosa, qui a reçu le mandat de créer la nouvelle entité, Santander Brazil. Bien que la nouvelle organisation subisse des pressions pour accroître la rentabilité de ses succursales, sous la direction de Fabio Barbosa, l’accent mis par Banco Real sur la responsabilité sociale et environnementale, de même que son modèle de banque privée, ont gagné l’ensemble de Santander Brazil et de sa société mère.

Certaines des meilleures entreprises expriment notamment leur identité en affirmant leur objectif et leurs valeurs par le bénévolat. Prenons IBM. En juin 2011, l’entreprise a célébré son 100e anniversaire en offrant des heures de bénévolat au monde entier. Plus de 300 000 employés d’IBM se sont engagés à effectuer 2,6 millions d’heures de bénévolat à l’occasion de la Journée mondiale du bénévolat. Ils ont offert de la formation et l’accès à des outils informatiques, dont bon nombre avaient été conçus expressément pour l’occasion, à des écoles, à des organismes gouvernementaux et à des ONG. Parmi les projets figuraient de la formation sur la protection des renseignements personnels et sur la lutte contre l’intimidation dans 100 écoles en Allemagne ; un nouveau site Web réalisé en Inde à l’intention des malvoyants, avec un lancement à 50 endroits ; et l’accès à des ressources pour petites entreprises pour les femmes entrepreneures des États-Unis. IBM a fait don des outils, même dans les cas où le logiciel pouvait former la base de produits commerciaux, afin de prouver son engagement à contribuer à la société.

Une vision à long terme

Le fait d’envisager l’entreprise comme une institution sociale ouvre une perspective à court terme qui peut justifier tout sacrifice financier à court terme nécessaire pour atteindre l’objectif de l’entreprise et pour assurer sa pérennité.

Pour maintenir une entreprise en activité, il faut des ressources. Il est donc normal de se pencher sur l’aspect financier. Toutefois, les meilleures entreprises sont prêtes à renoncer à des occasions d’affaires à court terme si celles-ci sont incompatibles avec les valeurs institutionnelles. Ces valeurs orientent des questions déterminantes pour l’identité et la réputation de l’entreprise telles que la qualité du produit, la nature des clients servis et les produits dérivés du processus de fabrication. Banco Real, par exemple, a créé un processus de sélection pour évaluer les normes sociétales des clients potentiels, de même que leur situation financière. La banque était prête à prendre ses distances par rapport à ceux qui ne répondaient pas à ses critères de responsabilité environnementale et sociale. Ce sacrifice à court terme représentait une gestion prudente du risque à long terme.

Les entreprises qui utilisent la logique institutionnelle sont souvent disposées à investir dans leurs ressources humaines, des investissements qui ne se justifient pas par des rendements immédiats, mais qui aident à créer des institutions durables. En Corée du Sud, après la crise financière de la fin des années 1990 en Asie, la banque Shinhan a entrepris de faire l’acquisition de la banque Chohung, une banque plus importante et plus ancienne, que le gouvernement avait renflouée. Dès l’annonce de l’acquisition, 3 500 employés masculins d’un syndicat de la banque Chohung, parmi lesquels se trouvaient des gestionnaires, ont exprimé leur opposition en se rasant la tête et en déposant leurs cheveux en tas devant le siège social de la banque Shinhan, dans le centre-ville de Séoul. L’acquéreur a donc dû décider s’il persistait dans son projet d’acquisition, et le cas échéant, ce qu’il devait faire à propos des employés de la banque Chohung.

Les dirigeants de la banque Shinhan ont appliqué la logique institutionnelle. Ils ont négocié avec le syndicat de la banque Chohung une entente qui prévoyait le report de trois ans de l’intégration officielle, une représentation égale pour les gestionnaires de la banque Shinhan et pour ceux de la banque Chohung au sein d’un nouveau comité de gestion et une augmentation salariale pour les employés de la banque Chohung afin de l’harmoniser à la rémunération plus élevée des employés de la banque Shinhan. L’acquéreur a également distribué 3 500 casquettes aux protestataires. La banque Shinhan a énormément investi dans ce qu’elle appelait l’« intégration émotionnelle » en offrant une série de séances de réflexion et de conférences qui visaient non seulement à diffuser de l’information stratégique et opérationnelle, mais aussi à favoriser la création de liens et un sentiment d’unité. Selon la logique financière, l’acquéreur gaspillait de l’argent, mais selon la logique institutionnelle de la banque Shinhan, les investissements étaient essentiels pour assurer l’avenir.

Résultat : en moins de 18 mois, la banque Shinhan a augmenté la base de clients des deux banques, et le syndicat de la banque Chohung a eu de la difficulté à alimenter le mécontentement à l’égard de l’acquéreur. Même si la fusion officielle n’était prévue que 18 mois plus tard, les employés des banques Shinhan et Chohung travaillaient ensemble au sein de comités de travail et discutaient de pratiques exemplaires, et les idées se propageaient, contribuant à l’harmonisation des succursales. Autrement dit, les employés s’organisaient. Lors de la fusion officielle, trois ans plus tard, la banque Shinhan se démarquait non seulement du secteur bancaire, mais également du marché boursier de la Corée du Sud.

L’engagement émotionnel

La transmission de valeurs institutionnelles peut susciter des émotions positives, stimuler la motivation et propulser l’autoréglementation ou la réglementation par les pairs.

La rationalité utilitaire n’est pas la seule force qui régisse la performance d’une entreprise et le comportement au sein des organisations. Les émotions aussi jouent un rôle important. Les sentiments sont contagieux, et ils peuvent avoir une influence sur des aspects tels que l’absentéisme, la santé et les niveaux d’efforts et d’énergie. Les gens s’influencent les uns les autres, et ce faisant, ils augmentent ou diminuent les niveaux de performance des autres.

À titre de haut dirigeant chez Procter & Gamble, Robert McDonald a toujours cru que les objectifs, les valeurs et les principes d’une entreprise étaient le fondement de sa culture, qu’ils suscitaient de vives émotions chez ses employés et donnaient un sens aux marques de l’entreprise. Un mois à peine après sa nomination à titre de chef de la direction en 2010, il a fait de l’objectif de l’entreprise une stratégie d’entreprise — améliorant du coup la vie des consommateurs du monde entier —et a ainsi contribué à améliorer l’existence d’un plus grand nombre d’individus dans plus de régions.

Chez P&G en Afrique de l’Ouest, par exemple, chaque employé a un objectif concret mesurable sur le plan quantitatif : combien de vies de plus ai-je touchées cette année ? Le groupe des soins pour bébés de P&G en Afrique de l’Ouest a mis sur pied des cliniques mobiles Pampers afin de réduire le taux élevé de mortalité infantile et d’aider les enfants à bien se développer. Un médecin et deux infirmières sillonnent la région à bord d’une fourgonnette, enseignent les soins postnatals, examinent les bébés et dirigent les mères vers les hôpitaux pour les suivis ou les vaccins. Ils inscrivent également les mères au programme mVillage, un service de messages texte (en Afrique de l’Ouest, bon nombre de démunis ont un téléphone cellulaire) qui offre des conseils de santé ainsi que la possibilité de poser des questions à des professionnels de la santé. À la fin de chaque visite à la clinique mobile, chaque visiteur reçoit deux couches Pampers. Les employés de P&G sont très touchés émotionnellement. Ils sont inspirés par le fait que leur produit est au cœur d’une mission qui vise à sauver des vies. Ils sont également fiers de constater que le chiffre d’affaires de Pampers a monté en flèche et que l’Afrique de l’Ouest figure parmi les marchés de P&G qui enregistrent la plus forte croissance.

Partenariat avec le secteur public

L’obligation de franchir les frontières et les secteurs pour exploiter de nouvelles occasions d’affaires doit s’accompagner d’un intérêt pour les questions qui préoccupent le public à l’extérieur de l’entreprise, ce qui requiert la création de partenariats public-privé dans lesquels les hauts dirigeants tiennent compte à la fois des intérêts sociétaux et de ceux de l’entreprise.

Le nombre et l’importance des partenariats public-privé qui visent à répondre à des besoins sociétaux sont en pleine croissance ; on les trouve surtout parmi les entreprises qui pensent de façon institutionnelle. Ces partenariats peuvent prendre diverses formes : des activités internationales en collaboration avec les Nations Unies et d’autres organisations mondiales telles que le programme de Procter & Gamble, Children’s Safe Drinking Water, avec l’UNICEF et plusieurs ONG ; de grands projets nationaux entrepris en collaboration avec les ministères et les organismes de développement gouvernementaux, par exemple les projets agricoles de PepsiCo au Mexique avec l’Inter-American Development Bank ; le développement de produits ou de services pour répondre à des besoins sociaux non satisfaits, par exemple, les liens de P&G avec les hôpitaux publics en Afrique de l’Ouest ; ou les efforts de bénévolat à court terme, comme le travail d’IBM après le tsunami de 2004 en Asie, l’ouragan Katrina et les tremblements de terre en Chine et au Japon : IBM a donné des logiciels permettant d’assurer le suivi des secours d’urgence et de réunir les familles.

Dans les entreprises qui adhèrent à une logique institutionnelle, les dirigeants cultivent des relations avec les fonctionnaires, non pas pour obtenir des faveurs ni pour faire avancer un dossier en particulier, mais parce qu’ils cherchent à comprendre les politiques publiques et à y contribuer, alors même qu’ils les influencent. Par exemple, le directeur mondial de la santé de PepsiCo, qui œuvrait auparavant au sein de l’Organisation mondiale de la santé, planifie un projet intersectoriel pour réduire l’obésité infantile. Le PDG d’IBM, Samuel Palmisano, parcourt le globe six ou sept fois par an pour rencontrer des représentants nationaux et régionaux et pour discuter avec eux de la façon dont IBM peut aider leur pays à atteindre ses objectifs. Il ne s’agit pas de vente ou de marketing, mais plutôt d’un débat de haut niveau pour montrer l’engagement de l’entreprise à contribuer au développement des pays dans lesquels elle exerce des activités. Un tel engagement de la direction de l’entreprise aide les autres dirigeants d’IBM à obtenir une place à la table des discussions qui portent sur l’avenir du pays.

Lorsque les dirigeants comprennent qu’ils ont un objectif sociétal, ils participent à des événements locaux, nationaux, voire mondiaux. Il y a quelques années, le dirigeant d’IBM en Chine a organisé une mission diplomatique personnelle à Washington, au cours de laquelle il a rencontré des représentants de la Maison-Blanche et des hommes politiques américains pour discuter de l’impact de l’émergence de la Chine comme superpuissance économique. Il souhaitait voir les deux nations progresser et pensait que son rôle dans une entreprise mondiale lui offrait un éclairage unique. Après avoir pris sa retraite en 2009, il est resté très près d’IBM, qui l’a encouragé à fréquenter pendant un an une grande université américaine pour se familiariser avec le secteur de la santé, aux frais de l’entreprise. À la fin de 2010, il est rentré en Chine et a lancé une initiative avec un institut du gouvernement chinois pour développer une base de données informatisée pour la médecine chinoise traditionnelle qui exploitera les liens avec IBM.

Innovation

Le fait de formuler un objectif plus vaste que celui de faire des profits peut guider les stratégies et les actions, permettre de trouver de nouvelles sources d’innovation et aider les gens à exprimer leurs valeurs personnelles et celles de l’entreprise dans leur travail de tous les jours.

Les affirmations des entreprises selon lesquelles elles sont au service de la société deviennent crédibles lorsque leurs dirigeants consacrent du temps, des talents et des ressources à des projets nationaux ou communautaires, sans chercher à obtenir des rendements immédiats, et lorsqu’ils encouragent les habitants d’un pays à en aider un autre. Chez Cemex, le fait que l’entreprise applique la logique institutionnelle dans ses activités et qu’elle tient compte des besoins sociétaux non satisfaits a conduit à des innovations telles que le béton antibactérien, qui est particulièrement important pour les hôpitaux et les fermes ; le béton résistant à l’eau, qui est pratique dans les zones inondables ; et un matériau de revêtement routier produit à partir de vieux pneus, idéal pour les pays où la construction de route se fait à un rythme accéléré. Le concept de béton résistant à l’eau salée, développé en l’Égypte et qui est utile dans les zones portuaires et marines, a donné naissance à un produit lancé aux Philippines.

Le renforcement institutionnel aide l’établissement de liens entre partenaires à l’échelle d’un écosystème, produisant des innovations en matière de modèles d’affaires. En 2001, Cemex a mis sur pied Construrama, un programme de distribution pour les petites quincailleries, en réponse à la concurrence de Home Depot et de Lowe’s qui perçaient le marché latino-américain. Construrama offre aux petites quincailleries de la formation, du soutien, une marque forte et un accès facile aux produits. Dans le respect de ses valeurs, Cemex a cherché des concessionnaires qui avaient la confiance de leurs collectivités, rejetant les candidats dont les tactiques commerciales ne répondaient pas aux normes d’éthique de l’entreprise. Cemex est propriétaire de la marque Construrama et s’occupe des promotions, mais elle ne facture pas les distributeurs, n’exploite aucun magasin et n’a aucun pouvoir décisionnel. L’entreprise exige toutefois que les magasins respectent ses normes de bénévolat, dont celle de participer à des entreprises philanthropiques qui visent le renforcement communautaire, par exemple l’agrandissement d’un orphelinat ou l’amélioration d’une école. Au milieu des années 2000, Construrama avait ouvert suffisamment de magasins pour être reconnue comme une importante chaîne de vente au détail en Amérique latine et prenait de l’expansion dans d’autres pays en développement.

Auto-organisation

Les meilleures entreprises présument qu’elles peuvent s’appuyer non seulement sur des règles et sur des structures, mais aussi sur des individus et sur des relations. Elles sont plus susceptibles de traiter leurs employés comme des professionnels autonomes qui coordonnent et intègrent les activités en s’organisant et en générant de nouvelles idées.

Pour bien comprendre une entreprise, il faut connaître sa structure sociale et ses réseaux officieux, et pour optimiser sa performance, il faut des investissements sociaux. À la banque Shinhan, les deux banques se sont intégrées grâce à des relations et à des liens sociaux créés bien avant la fin de la période de trois ans prévue pour la fusion officielle. Chacune des deux banques a témoigné de ses liens avec l’autre par des gestes comme le fait de suspendre volontairement l’enseigne de l’autre dans son siège social. Chez Procter & Gamble, les cadres du Brésil ont bouleversé les traditions stratégiques et organisationnelles pour développer à faible coût des solutions de rechange de qualité aux produits haut de gamme. Ils ont pris cette initiative risquée de leur propre chef et se sont organisés pour améliorer le travail d’équipe intersectoriel et les partenariats avec les clients. Ils ont ressenti l’obligation d’améliorer la vie des consommateurs qui n’avaient pas les moyens de s’offrir des produits haut de gamme. Une logique institutionnelle semblable a mené l’équipe de P&G de l’Himalaya, un groupe interfonctionnel mondial, à trouver des moyens de rendre les rasoirs Gillette plus abordables et attirants pour les hommes qui sont souvent blessés par les lames rouillées ou usées des barbiers.

Les gestionnaires des meilleures entreprises comprennent que les structures officielles peuvent être trop générales ou trop rigides pour accommoder les avenues multidirectionnelles que prennent les ressources et les flux d’idées. La rigidité freine l’innovation. Les réseaux informels, auto-organisés, évolutifs, à forme variable et temporaires sont plus souples et permettent d’établir des liens entre les individus ou de relier des groupes de ressources plus rapidement. Les fonctions officielles des employés s’apparentent alors au port d’attache dont ils s’éloignent continuellement pour réaliser leurs projets et pour accomplir leurs tâches quotidiennes, pour développer des relations de travail et pour participer à des activités d’équipe ou de groupe. Les organisations matricielles — dans lesquelles les personnes relèvent de deux patrons ou plus selon les différentes dimensions de leurs tâches — deviennent ce que j’appelle des « matrices sur stéroïdes ». Les individus doivent rendre des comptes à l’égard de nombreuses dimensions simultanément, ce qui les amène à jongler avec de multiples projets et à utiliser leurs réseaux pour réunir des ressources pour tous ces projets, sans être nécessairement soumis à une hiérarchie décisionnelle.

Bien que de nombreux emplois comportent leur part d’inconvénients et d’isolement — de nombreux employés de Cemex travaillent en usine, les caissiers des succursales de la banque Shinhan sont cloîtrés derrière un comptoir et chaque entreprise compte du personnel de soutien confiné à un bureau — la motivation des employés est plus grande lorsqu’on leur fait confiance pour choisir l’endroit où ils devraient travailler, quand et avec qui. Par exemple, chaque jour, environ 40 % des employés d’IBM aux États-Unis ne se rendent pas dans un bureau d’IBM. Ils travaillent à domicile ou chez les clients, ils se déplacent d’un endroit à l’autre et ils prennent leurs vacances aux périodes de leur choix. Les programmes de travail à domicile, tels que celui qui a été mis en œuvre au Japon en 2001, ont retenu l’attention des gouvernements qui souhaitent garder dans la main-d’œuvre active les femmes qui ont des diplômes techniques. Dans certains cas, IBM offre des indemnités pour soutenir l’infrastructure à domicile, ce qui a permis à une diplômée de Harvard qui travaillait en Inde de concevoir des projets tout en élevant ses enfants, par exemple, et à une responsable logiciels de l’Égypte de déménager avec son mari à Dubaï.

Lorsque les gens s’organisent pour créer des réseaux de partage de l’information, de nouvelles initiatives ou innovations en résultent souvent. Par exemple, trois gestionnaires de PepsiCo en Amérique latine partageaient depuis environ dix ans le rêve de développer de nouvelles variétés de pommes de terre qui conviendraient aux climats méridionaux, moins farineuses et plus viables sur le plan environnemental. Ils estimaient que l’initiative devait prendre son envol au Pérou, le berceau de la pomme de terre. Le trio est resté en contact, même si chacun de ses membres a déménagé à un endroit différent, et même après des années de procrastination, ils parlaient encore de leur idée chaque fois qu’ils le pouvaient. Ils ont fini par recevoir un coup de pouce lorsqu’une nouvelle croustille péruvienne qu’ils avaient contribué à lancer a fait sensation. Faite à partir de pommes de terre de couleur produites par de petits agriculteurs dans des villages isolés des Andes, la croustille combinait nutrition, goût et contribution sociale. La validation du concept a fait du rêve une réalité : en août 2010, la chef de la direction, Indra Nooyi, a annoncé l’établissement d’un centre mondial de développement de la pomme de terre au Pérou, avec à sa tête un des membres du trio.

Les collectivités auto-organisées peuvent être un vecteur de changement qui propulse les entreprises dans des directions qu’elles n’auraient peut-être pas prises autrement. Les individus qui n’ont pas de responsabilités officielles servent d’explorateurs et d’entrepreneurs. Par exemple, sans les réseaux spontanés, IBM aurait pu être à la traîne ou rater deux excellentes idées : la virtualisation et l’informatisation verte. Ces dernières sont devenues de grandes priorités stratégiques d’IBM après un « Innovation Jam » en juillet 2006, un clavardage qui a duré plusieurs jours et au cours duquel plus de 140 000 employés ont apporté des idées.

L’initiative de virtualisation a vu le jour en dehors des structures officielles, et au départ, comme activité volontaire. Quelque 200 utilisateurs précoces de plateformes virtuelles — telles que Linden Labs’ Second Life et des plateformes similaires — ont pris contact dans des forums de discussion de l’entreprise et ont créé un groupe ad hoc de personnes qui échangeaient des idées dans leur temps libre au moyen d’avatars et d’appels téléphoniques hebdomadaires, avec des conférences virtuelles interactives parfois ouvertes dans le monde virtuel. Après une année d’auto-organisation informelle, le réseau a trouvé un parrain chez les dirigeants d’IBM. Cette dernière a ensuite désigné la virtualisation comme une nouvelle occasion d’affaires et a avancé les fonds nécessaires à son développement.

Les meilleures entreprises du monde ne s’attendent pas à des théories révolutionnaires ni à des réponses parfaites. Leurs dirigeants utilisent déjà une logique institutionnelle ou sociale pour soutenir la logique économique ou financière qui guide et qui fait progresser leur entreprise. La logique institutionnelle ne peut pas être représentée par des équations de rentabilité, ni résumée en termes économiques. Pourtant, elle s’avère un puissant moteur de réussite financière.

Bien sûr, les sceptiques sont légion. Les entreprises qui affirment être des institutions soucieuses des intérêts de la société sont souvent examinées de plus près que les autres. De plus, elles n’échappent pas aux critiques à propos de l’écart entre les aspirations exprimées et les résultats obtenus, financièrement et socialement. Si elles font des profits tout en faisant le bien, on les accuse de manipulation. Par ailleurs, si elles font un peu de bien, mais pas assez pour résoudre des problèmes complexes, on les critique pour leur manque de courage ou d’engagement. Malgré le nombre croissant d’adeptes d’une nouvelle forme de capitalisme qui trouve des occasions avantageuses pour tous en créant de la valeur tant pour l’entreprise que pour la société, la controverse persiste à propos des devoirs de l’entreprise.

Les dirigeants des meilleures entreprises peuvent donner une version différente des fondements de leurs décisions. Ce faisant, ils peuvent produire de nouveaux modèles d’action susceptibles de rétablir la confiance dans l’entreprise et de changer le monde dans lequel nous vivons.

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