Capital de confiance

Publié le 21/01/2011 à 15:26, mis à jour le 21/01/2011 à 15:46

Capital de confiance

Publié le 21/01/2011 à 15:26, mis à jour le 21/01/2011 à 15:46

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Doutes, appréhensions, méfiance… Bien souvent, on a du mal à faire confiance aux autres. Pourtant, en accordant sa confiance judicieusement — sans succomber à l’aveuglement —, on aurait bien davantage à gagner.

Auteurs : Nancy Carter et J. Mark Weber, Rotman Magazine

Tout le monde n’a pas la même propension à faire confiance. Certains considèrent que les gens se montrent généralement dignes de confiance ; par conséquent, ils s’exposent plus facilement au risque — jusqu’à ce qu’on leur prouve qu’ils avaient tort. À l’inverse, certaines personnes sont d’un naturel méfiant, et elles agiront en conséquence jusqu’à ce qu’on leur démontre, avec le temps, qu’on est fiable.

L’ensemble des personnes méfiantes correspond au modèle rationnel dominant, qui préconise un lent processus d’apprivoisement. Toutefois, de récents modèles soutiennent qu’on aurait avantage à prendre des risques beaucoup plus tôt dans une relation d’affaires. Car, selon les statistiques, les personnes qui accordent rapidement leur confiance obtiennent d’excellents résultats.

D’après la plupart des modèles économiques du processus de prise de décision, il faut, pour éviter de se faire avoir, rester sur la défensive et faire peu confiance. Les théories du choix rationnel, à titre d’exemple, suggèrent que tous les acteurs tenteront d’optimiser leurs avantages lors de leurs interactions sociales (c’est-à-dire qu’ils agiront en fonction de leurs propres intérêts) ; c’est pourquoi les décideurs chercheraient à préserver leur position de force, se protégeant ainsi contre les individus qui ne pensent qu’à leurs intérêts.###

Ces modèles de choix dominants, en préconisant une attitude défensive sur le plan social, devraient mettre chacun à l’abri de tout risque. À la lumière de ces modèles, les personnes peu enclines à faire confiance seraient ainsi plus avisées, et on pourrait aisément percevoir les autres comme des proies faciles à duper. Or, loin d’être naïves, les personnes qui font confiance sont peut-être plus à l’écoute des indices leur permettant de déterminer si l’individu avec lequel elles interagissent est digne de confiance ou non.

Le rôle de l’intelligence sociale

Cette dernière façon de voir les choses est celle de Toshio Yamagishi, un professeur de l’université de Hokkaido, au Japon. Ce chercheur a émis une théorie qui contredit celle des jeux, et selon laquelle accorder sa confiance par défaut est un signe d’intelligence sociale élevée. Selon lui, ceux qui font confiance aisément ne le font pas à l’aveugle, mais après avoir perçu et décodé des signaux sociaux qui leur en apprennent beaucoup sur leur interlocuteur. Ce faisant, ils sont en mesure de se dire : « Tiens tiens, quelqu’un qui chercherait à me tromper agirait exactement comme le fait cette personne en ce moment… », ce qui leur indique subtilement de ne pas se fier à cette personne.

Quant aux êtres méfiants de nature, leur réticence s’expliquerait par le fait qu’ils n’ont pas d’aptitude particulière à décoder ce type de signal, et le peuvent d’autant moins qu’ils s’empêchent constamment de s’ouvrir aux autres, selon Toshio Yamagishi. Néanmoins, en se protégeant constamment contre les pertes associées aux tromperies, les méfiants se priveraient aussi de belles occasions de gain.

Le problème, c’est que nombre d’études menées par des psychologues semblent indiquer que l’être humain est un piètre détecteur de mensonges. Aussi, une méta-analyse récente montre qu’on obtient en moyenne une note de 54 % quand il faut distinguer le vrai du faux, c’est-à-dire qu’on se trompe une fois sur deux. De surcroît, les personnes qui devraient être les meilleures à ce jeu, que ce soient les psychiatres, les juges ou encore les policiers, ne s’en tirent guère mieux, voire nettement moins bien que monsieur et madame Tout-le-monde.

La question se pose alors : doit-on en déduire que la théorie de Toshio Yamagishi ne tient pas la route ? Pour le savoir, nous avons mené une expérience auprès d’une trentaine de personnes, âgées de 19 à 36 ans, recrutées sur le campus de l’université de Toronto. Chacune d’elles devait passer une entrevue d’emploi fictive, leur interlocuteur leur étant présenté comme un expert en détection de mensonges (en réalité, ce n’était nullement un spécialiste en la matière, mais plutôt une personne de nature confiante ou méfiante). Chaque candidat avait reçu une consigne, distribuée au hasard, soit répondre la vérité à toutes les questions posées en entrevue, ou bien mentir à propos d’au moins trois éléments clés durant l’entrevue (les candidats ayant reçu cette dernière consigne avaient eu du temps imparti pour préparer leurs mensonges afin d’avoir plus d’aplomb le moment venu). Enfin, chacun recevait 20 $ pour sa participation, ainsi que 20 $ de plus si l’interlocuteur, à la toute fin de l’entrevue, s’avérait convaincu que le candidat avait dit la vérité tout le temps.

Résultat ? Spontanément, on serait prêt à parier que les personnes méfiantes se sont moins fait flouer par les menteurs que celles qui sont d’un naturel confiant. Eh bien non : ce sont les confiants qui ont le mieux détecté les tromperies ! De surcroît, ils avaient une opinion plus juste des candidats qu’ils avaient rencontrés, ils savaient mieux lequel choisir et avaient retenu de l’information plus utile en vue d’effectuer une sélection.

Expérience et sensibilité

Toshio Yamagishi considère que les personnes confiantes ont, plus que les autres, su développer une intelligence sociale (la capacité à bien s’entendre avec les autres et à les convaincre de coopérer, voire de les diriger), et ce pour deux raisons principales.

1. L’expérience. Les personnes portées à faire confiance prennent davantage de risques, et la possibilité de se faire berner les incite à investir davantage dans leur capacité à détecter les gens malhonnêtes ; à force, cela leur donne de l’expérience en la matière. En revanche, les personnes méfiantes ne développent guère cette aptitude, puisque leur prudence les met à l’abri de nombre de manipulations.

2. La sensibilité. Une plus grande sensibilité aux signaux de malhonnêteté diminue la vulnérabilité aux conséquences fâcheuses ; il devient alors moins risqué de croire que les autres disent généralement la vérité, car on dispose des qualités nécessaires pour détecter mensonges et arnaques. De leur côté, les moins sensibles à ces signaux ont avantage à présumer que les inconnus ne sont généralement pas fiables, ce qui signifie que les personnes moins douées sur le plan de l’intelligence sociale sont naturellement plus méfiantes — en présumant que les autres sont des menteurs, elles risquent moins de se laisser abuser.

Nos recherches ne permettent pas de déterminer laquelle, de l’expérience ou de la sensibilité, joue le plus grand rôle ; les deux peuvent intervenir de façon similaire. Une chose est sûre, cependant : certaines personnes détectent plus facilement les mensonges que d’autres, ce qui permet aux personnes les plus intelligentes socialement d’agir avec davantage d’assurance et moins de risque, et d’apprendre plus vite en cours de route. Il est également envisageable de croire que certains sont enclins à prendre plus de risques que d’autres et qu’ils apprennent de leurs erreurs, développant du même coup les aptitudes qui leur permettent d’accorder leur confiance à autrui.

Que penser des manipulateurs ?

La théorie de Toshio Yamagishi mérite aussi d’être analysée en fonction de deux comportements : machiavélique (issu d’une doctrine de Nicolas Machiavel, un diplomate italien de la Renaissance qui incitait les gens au pouvoir à employer ruse et perfidie) et prosocial (adopté au bénéfice d’autrui, sans égard à ses propres intérêts). Quoique diamétralement opposés, ces deux comportements se traduisent chez ceux qui l’adoptent par d’excellentes capacités d’adaptation sociale et de perception. Contradiction ?

On associe aisément le machiavélisme au détachement émotif, au mépris de l’éthique, au manque de sincérité dans les relations interpersonnelles et au désir d’exploiter froidement son prochain. De toute évidence, les machiavéliques sont d’habiles manipulateurs, ce qui laisse supposer qu’ils allient intelligence sociale et méfiance naturelle. À première vue, ce comportement semble contredire la théorie voulant que confiance en autrui et intelligence sociale aillent de pair; or, il n’en est rien.

En effet, le machiavélisme peut être associé à une réussite sociale (ou du moins à la volonté d’y accéder) reposant sur la capacité de convaincre, de manipuler et d’exploiter autrui plutôt que sur l’aptitude à flairer les arnaques et les mensonges. Une étude menée à cet égard a permis de découvrir qu’il n’y avait aucune différence dans la capacité de détecter les tromperies chez les personnes machiavéliques et chez celles qui l’étaient moins. De plus, il a été constaté que le machiavélisme était inversement proportionnel à l’intelligence émotionnelle (liée à la capacité à comprendre et à analyser ses propres émotions de même que celles des autres). Bref, les individus les plus machiavéliques sont les moins sensibles aux signes émotionnels transmis par les autres, ce qui inclut les indices qui trahissent la malhonnêteté.

Qu’en est-il du comportement prosocial ? Dans un article-phare, les professeurs et chercheurs en psychologie Harold Kelley et Anthony Stahelski ont observé que les personnes coopératives (prosociales) perçoivent le monde tel un mélange hétérogène d’individus coopératifs et compétitifs, tandis que ceux qui sont compétitifs voient le monde comme un univers homogène de gens compétitifs.

Selon les chercheurs, il en résulte que les individus compétitifs créent une dynamique sociale qui favorise la concurrence. À l’inverse, les individus coopératifs ont une perception plus juste de la société et ne cherchent pas à provoquer des événements pour confirmer leur vision négative. Harold Kelley et Anthony Stahelski ont également remarqué que les individus compétitifs le sont quel que soit le comportement de leur partenaire, alors que les individus coopératifs ont tendance à s’adapter au comportement de l’autre.

Enfin, des recherches ultérieures ont montré que les individus à tendance prosociale ont plus de facilité à prédire les choix d’autrui que les personnes individualistes ou compétitives. Cela suggère que les gens dotés d’habiletés prosociales affichent un comportement plus souple et plus sensible, et que leurs perceptions sociales sont généralement plus justes que celles des gens compétitifs. Ces conclusions et ces résultats confirment nos propres résultats. Si bien qu’on peut raisonnablement considérer que ceux qui ont une attitude optimiste dans la vie et qui font facilement confiance aux autres ne sont pas les naïfs qu’on croit qui vont de désillusion en désillusion. Au contraire, les plus confiants voient leurs relations s’épanouir et leurs projets fructifier, au grand dam des personnes qui ont adopté la méfiance comme mode de vie.

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